La fin des idéologies, ou Nabdilah Benkabdellah…, par Hicham Rouzak

La fin des idéologies, ou Nabdilah Benkabdellah…, par Hicham Rouzak

Depuis un certain temps déjà, la nouvelle « tendance », très courue par certains, est de proclamer que le temps des idéologies est désormais révolu. Que la « droite » et la « gauche » ne sont plus… qu’il n’y a plus de différence entre le « communiste » et « l’islamisant » en dehors des performances électorales et des gagnants aux élections…

Et pour nous expliquer, puis justifier, cette course douteuse après cette nouvelle « mode », il a donc suffi à une partie non négligeable des concernés de bien emballer la marchandise, afin de mieux nous la fourguer. Il leur a suffi en effet d’accoler au mot « idéologie » tout ce qui est négatif, tout ce qui n’est pas bon.

Il a suffi qu’ils nous vendent cette mystification dans un bel emballage estampillé « vérité », qu’ils nous convainquent que tous les maux et malheurs venaient et viennent de l’idéologie et seulement de l’idéologie, cet ensemble de vérités et de convictions, d’opinions et de conceptions, de valeurs spécialement fabriquées pour une catégorie sociale déterminée, porteuses de rêves et d’espoirs pour un certain nombre d’humains.

Et ainsi donc… voilà que le plus normalement du monde, et le plus froidement aussi, quelques types ont décidé d’user de toutes les ficelles de l’imposture intellectuelle, de la fourberie culturelle et de la rouerie politique pour décider, puis proclamer, la fin des idéologies et pour nous appeler à rejoindre leur attelage nommé « l’ère post idéologique »… qui n’est autre en définitive qu’une autre idéologie, mais sous une forme nouvelle. Inédite…

… Une nouvelle idéologie, dominante, hégémoniste, despotique, vendue selon une méthode aussi nouvelle qu’elle. Une idéologie qui décrète la fin des idéologies, mais ses concepteurs, ses marketteurs et ses zélateurs se sont abstenus et s’abstiennent toujours de répondre à cette simple question :

Quand nous disons que l’idéologie est révolue, que la « gauche » et la « droite » n’existent plus, cela signifie-t-il qu’il n’existe plus de valeurs aussi, d’idées, de rêves, d’ambitions qui portent et guident des catégories sociales définies ?

Une nouvelle idéologie, cela veut-il dire que toutes ces belles idées et ces encore plus beaux rêves ont disparu, définitivement disparu ?

Fort bien… Alors supposons à notre tour qu’il n’y a plus d’idéologies, que la gauche, avec ses valeurs si longtemps défendues, est finie, que la droite avec ses intérêts si puissamment protégés est morte et enterrée. Mais est-ce pour autant que la logique a disparu à son tour ?...

Admettons que la politique aujourd’hui ne reconnaît ni ne se reconnaît plus dans la droite et la gauche, qu’elle est devenue un métier à exercer  et non plus une cause à porter, que ceux qui s’adonnent à ce job sont pour une grande partie ceux-là mêmes qui ont annoncé cette nouvelle « tendance » de la fin des idéologies, que rien ne peut plus se dresser face à eux pour contrecarrer leurs plans, les plans de tous les carriéristes, c’est-à-dire la promotion et la conquête des positions… Admettons donc tout cela…

Pouvons-nous alors accepter de les voir avancer, monter, conquérants, par tous les moyens qu’ils auront décidé d’utiliser ?

Et même en supposant la mort de l’idéologie,  pouvons-nous entériner cette curieuse idée que deux idées antagonistes puissent se retrouver au sein d’un même projet politique, nonobstant son origine ou ses objectifs ? Et quand nous disons idées, nous ne pensons pas à l’économie ou à la vision qui serait la sienne, mais aux principes fondateurs de tous…

Le principe de liberté de droit…

Le principe de justice et d’équité…

Le principe de la culture que nous voulons et dont nous rêvons…

Pouvons-nous imaginer, avec toute la bonne foi du monde et en retenant l’axiome de la fin des idéologies, que la posture du moderniste puisse rejoindre, épouser et accompagner l’attitude du fondamentaliste, à propos de la liberté ?

Pouvons-nous penser que l’idée progressiste puisse approcher, coller et coexister avec la foi  islamiste en matière de libertés individuelles et collectives ?

La notion de justice peut-elle être identique chez le moderniste et l’islamiste ?

Las…

Nous pouvons certes accepter le loufoque de et dans la politique, ses ruses et ses turpitudes, de même que nous pouvons également nous résoudre à toutes ces alliances défiant toute logique, qui


se font ici et là, qui unissent la chose et son exact contraire, au Maroc ou ailleurs… Mais cela serait une insulte à notre intelligence que de vouloir nous conduire à gober la justification de ces « choix » politiques joliment emballés et présentés non comme nécessité imposée par la conjoncture politique mais comme une conviction, une idée et un principe.

Quand les camarades de Nabil Benabdallah (progrès et socialisme) ont rencontré les frères de Benkirane (Mouvement Unité et Réforme, puis PJD), nous avons accepté de croire à leurs prêches et autres prêchi-prêcha sur leurs réalisations communes au gouvernement et sur leurs efforts autoproclamés pour résoudre les grandes questions qui se posent et les graves problèmes qu’on suppose … Nous avons admis leurs grandes envolées politiques en ces temps d’échauffements électoraux, mais…

… Mais que l’on nous dise que ce rapprochement puisse porter un projet et apporter une idée, que ces épousailles entre les islamistes et les communistes soient une alliance d’idées, de visions, de conceptions et d’opinions, voilà qui est difficile à accepter pour toute personne sensée.

Il est très ardu d’admettre, même en retenant le principe de la fin (supposée) des idéologies, que quelqu’un qui se présente comme moderniste s’unisse avec un autre qui met en avant un discours religieux comme condition sine qua none d’exister politiquement, et que leur union ne soit pas seulement politique mais qu’elle repose sur une vision commune, des valeurs communes et des idées communes !

Il est dur aussi, au nom de la fin proclamée des idéologies et au temps des « révisions intellectuelles » dictées généralement par les intérêts au lieu des convictions, d’admettre que ces deux partis se soient ainsi rapprochés sur le plan des idées et non sur celui des choix (et calculs) politiques actuels.

Il est difficile que le leader des communistes marocains (Nabil Benabdallah) nous fourgue toute cette non-logique, au nom de la « parole d’homme » dont il a été dit qu’elle était le point commun entre son parti le PPS et le PJD.

La « parole d’homme » n’est pas un programme politique, pas plus qu’elle n’est un positionnement intellectuel, et encore moins une approche fondatrice d’une vision claire pour un modèle public et étatique.

La « parole d’homme » est, comme son nom l’indique, une simple « parole », une parole qui s’envolera quand l’une des deux parties, ou même les deux, comprendront qu’il n’existe plus d’hommes (dans le sens ancien du terme)… ou que du moins, qu’ils n’existent plus dans la virilité et la rigueur qui furent la marque de fabrique de la masculinité. (perso, j’ai toujours été contre cette logique réductrice qui considère que tout ce qui est beau et fort, fort et sérieux, sérieux et efficace, est le fait exclusif des hommes, et quand de tels propos machistes sortent de la bouche du « leader » d’un parti se voulant moderniste, cela est véritablement ignominieux).

Mais puisqu’il en est ainsi, abondons alors dans cette « parole d’homme »… qui n’a pas été exprimée par exemple au sein de ce parti, le PPS, en matière de libertés collectives et individuelles en rapport avec celles prônées par Benkirane et ses frères… ou concernant l’usage abusif, excessif et agressif de la religion en politique, ou encore sur les droits, le rôle et la place des femmes en comparaison à ce qu’en pensent Benkirane, son parti et le mouvement qui leur est accolé…

La « parole d’homme », au final, serait que l’homme reste fidèle à ce qu’il fut… qu’il demeure, même en versant dans ces pitreries politiques, attaché à ses paroles premières, les paroles qui l’ont fondé, qui ont imposé son parti, les paroles sur les valeurs avec lesquelles il a découvert le monde et a pris conscience de sa propre existence.

« Les hommes » naissent, grandissent et passent, puis ils sont oubliés, mais ce sont la « parole », le « Verbe », qui restent, qui vivent, qui sont immortalisés, bons et vertueux soient-ils ou douteux et affligeants.

Autrefois, les Arabes disaient que c’est le droit et la droiture qui caractérisent les hommes et non l’inverse. Mais aujourd’hui, nous considérons le droit et nous connaissons ce qu’est la droiture, même en l’absence d’hommes.

Al Ayyam