Qui complote contre le Maroc ?, par Taoufiq Bouachrine
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- 24 avril 2016 --
- Opinions
Le dernier discours du roi Mohammed VI lors du Sommet Maroc-Conseil de coopération du Golfe a été aussi clair que sincère mais, dans le même temps, il a instillé une certaine peur dans les cœurs des Marocains qui ont entendu pour la première fois leur chef d’Etat faire état d’un plan destiné à morceler le Maroc et de complots visant sa stabilité, son unité et la légitimité de sa présence au Sahara.
Qui complote contre le Maroc ? Qui cache (ou se cache derrière) un vaste plan pour le morceler, le diviser, y distiller le chaos et l’amputer d’une large partie de son territoire ? Bien entendu, le roi n’a pas évoqué l’Algérie en premier car ce pays est trop faible pour déstabiliser qui que ce soit, Maroc ou autres pays arabes ; le président Bouteflika est malade, à l’image de l’économie de son pays, exsangue, et ses élites dirigeantes sont divisées… Certes, c’est l’Algérie qui tire les ficelles du conflit du Sahara depuis 1975, mais elle n’a jamais réussi qu’à gêner le Maroc et à entraver la coopération et l’intégration maghrébine… Alger n’a jamais réussi à aller au-delà de cela.
Alors, qui sont ceux dont a parlé le roi dans son discours à ce premier Sommet Rabat-CCG ? Le SG de l’ONU Ban Ki-moon ? Je ne le pense pas car ce dernier n’est qu’un fonctionnaire, un fonctionnaire sur le départ. Et en dépit du grand malentendu survenu entre lui et le Maroc et le manque de connaissance qu’il a de la question du Sahara et qui l’a conduit à prendre part en faveur d’un camp contre l’autre, cela n’en fait pas pour autant le premier ennemi du Maroc.
Et donc, qui est cette mystérieuse puissance qui dérange tant le roi du Maroc, au point de le conduire à prononcer un discours aussi fort devant ses pairs du Golfe, quelques heures à peine avant la réunion de Barack Obama avec les mêmes chefs d’Etat, consternés par les positions de la Maison Blanche concernant le Moyen-Orient et sa complexité ?
La réponse à cette question tient dans ce paragraphe du discours du souverain : « Il y a cependant de nouvelles alliances qui risquent de conduire à des divisions et à une redistribution des cartes dans la région. Ce sont, en réalité, des tentatives visant à susciter la discorde et à créer un nouveau désordre n’épargnant aucun pays, avec des retombées dangereuses sur la région, voire sur l’état du monde. Pour sa part, tout en restant attaché à la préservation de ses relations stratégiques, le Maroc n’en cherche pas moins, ces derniers mois, à diversifier ses partenariats, tant au niveau géopolitique qu’au plan économique. Et c’est dans ce cadre que s’inscrit notre visite réussie en Russie, le mois dernier, visite marquée par le développement de nos relations hissées au niveau de partenariat stratégique approfondi et par la signature d’accords structurants dans de nombreux domaines vitaux. Nous nous acheminons également vers le lancement de partenariats stratégiques avec l’Inde et la République Populaire de Chine, où Nous nous rendrons en visite officielle bientôt. Le Maroc est libre dans ses décisions et ses choix et n’est la chasse gardée d’aucun pays ».
Qui donc se trouve dérangé par ce rapprochement avec Moscou et par ces visites programmées en Chine et en Inde, en plus du renoncement de Rabat à son statut de chasse gardée de l’Occident ? L’Amérique... Qui donc est accusé d’avoir encouragé le printemps arabe pour
créer une situation de chaos et pouvoir rebattre les cartes dans la région ? L’Amérique encore... Qui est accusé de s’être rapproché de l’Iran chiite pour bousculer l’Arabie sunnite, à laquelle Obama a fait porter la responsabilité directe de l’exportation du radicalisme religieux dans le vaste monde. L’Amérique toujours... Qui sont les fonctionnaires les plus influents au sein du cabinet de Ban Ki-moon ? Des Américains… Jeffrey Feltman, le premier conseiller du SG, suivi de Christopher Ross, l’ancien ambassadeur américain, chargé de la question du Sahara.
Le message est donc clair : le roi Mohammed VI « se révolte » contre cette administration américaine qui est derrière le SG de l’ONU et à l’origine des politiques des fonctionnaires internationaux qui ne perdent jamais de vue les choix et orientations de la première puissance mondiale et la plus influente dans le Palais de verre de New York… Le roi sait pertinemment que les USA n’ont pas plus d’amis éternels que d’ennemis permanents ; seuls leurs intérêts priment et leur politique tourne autour d’un système unique au monde, soumis à des influences externes et internes.
Mohammed VI cherche donc une marge de manœuvre face à l’aigle américain, et il est à la recherche d’alliés nouveaux pour diversifier ses partenariats et montrer ainsi aux Américains qu’il n’est la « chasse gardée » de personne, pas plus qu’il n’est un Etat-laboratoire sur et dans lequel on peut tout tester. Le roi a aussi expliqué que l’affaire du Sahara n’est pas celle du palais mais du peuple, et que si les Etats-Unis ne sont pas un ennemi, ils ne sont pas non plus un ami qui peut tout se permettre.
Je me trouvais, un jour passé, avec quelques confrères, à la table de l’ancien ambassadeur américain à Rabat, Margaret D. Tutwiler et je lui avais demandé la raison de l’opacité de la position US concernant l’affaire du Sahara et de la neutralité de Washington, tanguant tantôt vers Alger et tantôt vers Rabat. La diplomate avait souri, puis avait dit ceci : « N’attendez pas une position claire des Etats-Unis dans cette affaire. Washington ne dira jamais que le Sahara est marocain, pas plus qu’elle ne soutiendra que l’autodétermination est LA solution. L’Amérique encourage les deux camps à aller vers une solution, s’ils la veulent vraiment et tendent vers elle ».
A l’inverse des gouvernements européens qui ne changent de politique que dans une proportion de 30% à chaque alternance au pouvoir, aux Etats-Unis, le changement peut aller jusqu’à 70% avec l’arrivée d’une nouvelle administration, parfois même 90%. Ainsi de la politique de Bush, installé en Iraket qui s’apprêtait à attaquer l’Iran, et puis celle d’Obama qui s’est retiré d’Irak et quasi normalisé ses relations avec Téhéran et même Cuba. Bush voulait tout changer, occultant la situation intérieure de son pays et Obama avait concentré toute son énergie sur la politique intérieure américaine, estimant que le Moyen-Orient est bien compliqué et que ses problèmes ne sauraient trouver d’issue en 10, ou même 20 ans.
C’est donc l’Amérique qu’évoquait le roi Mohammed VI comme ami/ennemi dans son discours de Riyad. Quant à la capacité des USA à atteindre leurs objectifs, cela ne dépend pas seulement d’eux, mais aussi et surtout des Etats visés, de leur vigilance, de leur consistance et de leur intelligence. Les Etats-Unis ne réalisent pas toujours leurs objectifs et, pour l’affaire du Sahara, les cartes sont à 99% au Maroc. L’avenir de cette question se trouve dans les décisions qui seront prises et les orientations à venir dans les 10 prochaines années.
Akhbar Alyoum