Comment détruire les institutions – et l’Etat aussi – par une simple phrase,… par Hicham Rouzzak
- --
- 18 avril 2016 --
- Opinions
« Nous, nous ne craignons pas le 7 octobre (date des élections), nous y allons en nous en remettant à Dieu, de la même manière que nous y allons avec le réel et sincère soutien de Sa Majesté le Roi Mohammed VI que Dieu Le protège (applaudissements dans la salle), qui doit savoir que notre relation avec lui est dans la légitimité – nous lui prêtons notre allégeance – et religieuse, sans jugement de valeur sur ce qu’il fait, en accord ou en désaccord. Nous sommes engagés derrière lui, en tant que parti, soumis à son autorité pour le Bien. Nous apprenons cela à nos enfants et nous l’inculquons à la société. Et nous disons à Sa Majesté, allez-y, à la grâce de Dieu, et pour tout ce que vous pensez être utile de faire avec l’ONU et avec tous les adversaires du Maroc, sachez que nous sommes derrière vous (applaudissements)… On ne fait aucun chantage à la monarchie, car telle est notre conviction et notre position. Un jour, j’ai dit à Sidna (Monseigneur) – et cela va vous paraître un peu excessif – que ‘même si vous me jetez en prison, je serai toujours avec vous’ (re-applaudissements)… Je ne peux vraiment pas en faire plus ! (applaudissements à tout rompre). Et je vous le dis et vous-y exhorte : Ne rompez jamais le fil qui vous lie à la monarchie ! Jami d’la vie (en français dans le texte) !... ».
Bon, à partir de là, on va y aller doucement, et on va tenter de comprendre tout ça.
Ce qui précède est une relation fidèle, au mot à mot, d’un discours d’Abdelilah Benkirane, homme d’Etat, chef du gouvernement, secrétaire général du parti conduisant la coalition gouvernementale.
L’homme… parle des prochaines élections et des préparatifs de sa formation en vue de cette échéance… or les élections impliquent une logique de saine compétition entre tous les acteurs politiques. Mais…
Abdelilah Benkirane implique le roi dans le scrutin. Il nous dit, le plus simplement du monde, que le PJD ira au scrutin « avec le réel et sincère soutien de Sa Majesté le Roi Mohammed VI que Dieu Le protège ». Là, il y a problème.
La règle est que le roi soit, comme disent les latins, une personne super partes (au-dessus des parties prenantes, au-dessus du lot). Elle est supposée rester au-dessus de la mêlée, observer une stricte neutralité et ne s’impliquer en faveur d’aucune partie aux élections car, autrement, elle perdrait sa symbolique principale et deviendrait, comme disent toujours les latins, inter pares, c’est-à-dire partie prenante, mais dans une position de domination… Et c’est exactement cela qu’a fait Benkirane en attirant le roi sur la scène politique et en en faisant un acteur comme les autres.
Il est convenu que dans les joutes électorales et les luttes que se livrent les partis, la constitution dispose d’un principe on ne peut plus clair, et qui est que trois éléments ne doivent jamais être impliqués dans ces batailles politiques : la religion, la nation et l’institution royale. Mais cela, Benkirane ne l’a pas respecté en impliquant le roi sur la scène politique, exactement comme il l’avait déjà fait auparavant, en invoquant Dieu dans un meeting populaire…
En effet, en déplacement pré-électoral à Dcheira Jihadia (près d’Agadir) en mars 2015, il avait parlé des pluies et des inondations qui s’en étaient suivesi en expliquant que tous ces bienfaits étaient dus au fait que Dieu bénissait son gouvernement…
Mais le propos de Benkirane cité en début de cette chronique soulève un autre problème, car prononcé par cet homme d’Etat, chef du gouvernement, secrétaire général du parti conduisant la coalition gouvernementale… Et ce problème est celui de l’image du pays que nous retrouvons dans certains rapports d’ONG internationales sur le Maroc et que le gouvernement Benkirane récuse fortement, avant que les mots de Benkirane ne les confirment…
Que disent ces rapports ? Ils évoquent des institutions de façade au Maroc, une absence de démocratie, pas de séparation des pouvoirs et encore moins de garanties pour des procès équitables dans moult affaires, politiques soient-elles ou pas…
… et c’est exactement ce que confirme Benkirane au détour d’une phrase, de cette phrase : « Un jour, j’ai dit à Sidna que ‘même si vous me jetez en prison, je serai toujours avec vous’ ».
Et voilà… Cette courte (et malheureuse) phrase pourra être invoquée par toutes les ONG qui rédigent leurs rapports sur le Maroc – systématiquement dénoncés par le gouvernement Benkirane –, pour confirmer, précisément,
le contenu desdits rapports, qui prendront alors plus de poids et gagneront en crédibilité.
Quand le chef du gouvernement affirme avoir dit au roi que même s’il le mettait en prison, il serait toujours à ses côtés, ou derrière lui, ou avec lui, cela ne dénote pas d’une marque d’affection ou de loyauté. Oh, les Marocains disent souvent cela dans leur exubérance linguistique ou l’entendent de la part des acteurs de notre si affligeante classe politique, mais là, il s’agit du chef du gouvernement, d’un homme (supposé être) d’Etat, d’un homme des institutions ! Et c’est dans ce cadre que le propos doit être compris et interprété.
Et ce cadre auquel nous renvoie l’homme des institutions, l’homme d’Etat Benkirane est un cadre très simplement navrant, car il porte et comporte une indication claire, appuyée par le patron de la formation qui conduit l’attelage gouvernemental, que le Maroc ne dispose ni d’institutions ni de rien du tout qui s’en rapprocherait. Le chef du gouvernement nous apprend que le chef de l’Etat peut jeter n’importe qui en prison, quand et comme il le veut… que le chef de l’Etat peut embastiller, à sa guise, le chef du gouvernement, et que ce chef de gouvernement, du fond de sa geôle, applaudirait à cela et continuerait de soutenir celui qui l’y a enfermé !
Autrement dit, tous ces discours, analyses, commentaires et réflexions qui ont accompagné et suivi le Mouvement du 20 février et le changement « constitissiounil » sont nuls et non avenus ! Toutes ces grandes envolées autour de la séparation de pouvoirs, sur le pouvoir judiciaire, concernent l’Etat de droit et la prééminence des lois… tout cela est désormais comme gravé sur de l’eau !
Autrement dit encore… Les rapports internationaux vigoureusement dénoncés par le porte-parole « khalfeutré » au nom du gouvernement, qu’il a rejetés comme étant des charges hostiles contre l’exception marocaine, l’expérience marocaine et l’Etat de droit… et bien ces rapports, grâce à Benkirane, trouvent une éclatante confirmation.
Benkirane, au détour d’une virgule, a impliqué le roi dans la campagne électorale, a retiré à la justice et aux juges le bénéfice et la force du principe de la séparation des pouvoirs, a conféré au roi le pouvoir d’ôter la liberté à qui il veut, quand il veut, comme il veut. En un mot comme en cent, Benkirane a réduit à néant toutes les institutions, et la constitution avec !
Il a annihilé d’une phrase tous les pouvoirs et contre-pouvoirs qui font un Etat de droit. Certes, mais…
Mais, en plus, il n’a pas oublié de s’en prendre à cette chose qui le heurte et le perturbe, qui le froisse et l’agace, en l’occurrence les médias, qu’il a gratifiés d’une louable gentillesse, que je vous laisse goûter, mais prenez bien votre respiration avant… « La duperie des fourbes et des trompeurs, des félons et de leurs méthodes, des médias qui mentent comme ce misérable quotidien Assabah »…
Ainsi, selon notre chef du gouvernement, les journaux mentent et ils sont tous comme le quotidien Assabah, ce détestable et ignoble journal…
Et oui, Benkirane ose qualifier les médias marocains d’exécrables, prenant la suite et l’exemple de cet ami de son parti, Ahmed Vautour* voici quelques mois avec ces mêmes médias, affublant ses collègues marocains de termes aussi plaisant que « maquereaux »…
Et bien évidemment, nous n’attendrons pas du porte-parole « khalfeutré » de s’excuser pour les insultes de Benkirane contre les journalistes, jugée méprisable, exactement comme il s’était déjà abstenu de le faire quand Ahmed Vautour avait fait pareil.
A cette époque-là, le site du PJD avait même repris à son compte, ou presque, les termes indignes du Vautour, et on peut s’attendre à ce que site fasse encore la même chose avec les termes de Benkirane contre la presse de son propre pays.
Mais demain, dans quelques jours, Benkirane et « Khalfeutré » viendront nous jurer, la main sur le cœur, que le Maroc est un Etat de droit où la séparation des pouvoirs n’est pas une simple vue de l’esprit.
Des pouvoirs, trois pouvoirs que Benkirane a annihilé en une seule phrase, en y ajoutant même le « 4ème pouvoir ». Et il nous sera demandé de croire dur comme fer que les pouvoirs et leur séparation et indépendance sont respectés sous nos cieux…
Et nous devrons également croire spontanément, encore et toujours, que Benkirane est un homme d’Etat et d’institutions… Comme dit en son nom son porte-parole el Khalfi.
Al Ayyam
*alias Ahmed Mansour, ce journaliste vedette d’al Jazeera, ami des Frères, qui s’en était pris violemment aux médias marocains qui avaient critiqué sa douteuse union avec une Marocaine.