La France, le Maghreb, et les pays du Maghreb, par Noureddine Miftah
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- 14 avril 2016 --
- Opinions
La France a quitté ses anciennes colonies et protectorats au Maghreb voici plus d’un demi-siècle, mais les liens du passé entravent toujours le présent. De même que la présence française était différente d’une contrée à l’autre en ces temps-là de colonisation, les relations de Paris avec les pays du Maghreb varient d’un pays à l’autre de cette région du monde. Ces relations relèvent de la personnalité des locataires de l’Elysée et de Matignon, mais aussi des choix politiques et stratégiques faits par les dirigeants maghrébins.
L’Algérie, qui a subi l’occupation française durant 130 années environ et qui a connu une guerre d’indépendance ayant emporté la vie de plus d’un million de personnes, est toujours prisonnière de ce passé douloureux, non seulement politiquement, mais aussi idéologiquement. Et même psychologiquement.
L’Algérie indépendante avait opté pour ce qui fut le camp de l’Est et s’est organisée sous la coupe du parti unique (FLN), puis elle avait adopté un comportement d’arrogance géostratégique, fondée sur sa légitimité révolutionnaire combinée à la révolution pétrolière. Le résultat en avait été une relation plus que tumultueuse avec la France que jamais un président algérien n’avait visitée depuis l’indépendance, à l’exception de Chadli Bendjedid… et il aura fallu attendre l’arrivée de l’actuel chef de l’Etat aux affaires, en 1999, pour le voir fouler le perron de l’Elysée 7 fois en 15 ans de pouvoir.
Quant à la France, ses relations stratégiques avec l’Afrique sont toujours passées, peu ou prou, par le Maroc, et cela a toujours été le cas depuis l’indépendance, jusqu’à nos jours. Les raisons en sont multiples, et elles tiennent au modèle de multipartisme adopté par Rabat depuis le début, puis son ouverture diplomatique et, enfin, le choix quant à son partenaire principal qui est la France. Et donc, en dépit des nombreuses crises traversées par les deux pays, de Gilles Perrault et François Mitterrand à Zakaria Moumni et François Hollande, sans oublier la disparition/assassinat de Ben Barka en France du temps de de Gaulle, la France a toujours misé sur le Maroc pour préserver ses intérêts en Afrique, y compris la francophonie, en contrepartie de son assistance et son appui ses questions existentielles à la tête desquelles se trouve la question du Sahara.
Cela a conduit l’Algérie, qui ne fonctionne au rythme du multipartisme que depuis une date récente, à penser que Paris s’est aligné sur le Maroc du jour où le cessez-le-feu avait été décrété en 1991. Mais Alger a continué à afficher son attitude diplomatique hautaine en persistant à exiger des excuses pour ce qu’elle appelle des crimes de guerres commis par le colon entre 1954 et 1962. Notre voisin de l’est a également préféré faire l’économie de toute ouverture ou partenariat économique, puisque sa manne gazière lui permettait d’acheter les faveurs de tout un continent, l’Afrique.
Tout ceci était en arrière-fond de la récente visite effectuée par le Premier ministre français Manuel Valls sur le sol algérien. Si l’Accord de partenariat franco-algérien n’imposait pas de telles visites semestriellement, les deux pays auraient fait l’économie de cette rencontre où les inconvénients et les désagréments ont largement dépassé les bienfaits, matérialisés par deux ou trois signatures qui ne servent à rien, apposées sur des accords qui ne servent pas à bien plus…
L’Algérie est dans une profonde crise aujourd’hui en raison de l’effondrement des prix des hydrocarbures, et quand elle a enfin compris qu’elle devait changer de fond en comble son orientation économique, elle a alors, soudain, pris la mesure de l’éloignement qu’elle a installé avec ses voisins, et principalement le Maroc. Celui-ci n’est pas particulièrement expert en négociation internationale, ou du moins pas plus que l’Algérie, mais il a fait les bons choix qui ont donné des résultats probants.
En effet, quand notre querelleur voisin avait opté pour l’industrie lourde, le Maroc s’était orienté vers l’agriculture… quand le Maroc avait choisi d’investir
dans le tourisme, l’Algérie avait décidé de tourner le dos à ce secteur, le considérant comme la misérable pitance de ceux qui ne disposent pas de richesses naturelles… quand le Maroc s’est ouvert aux investissements extérieurs, son voisin a hurlé à la mort contre l’impérialisme mondial, etc… et cela s’est poursuivi jusque dans la formation de sa population, qui manque cruellement aujourd’hui à Alger.
Cette semaine, et alors que le Maroc lançait l’ « écosystème de Renault » pour un montant d’un milliard d’euros, Manuels Valls et son homologue Abdelmalek Sellal ne parvenaient pas à signer un accord pour l’installation d’une usine Peugeot en Algérie, un fiasco dû à la complexité économique et politique croissante dans une région maghrébine en pleine disparité contradictoire… En effet, le Maroc évolue, gérant ses difficultés économiques dans le cadre de la rareté et l’Algérie s’effondre alors qu’en principe elle nage dans l’opulence et l’abondance.
La crise entre Paris et Alger semble avoir pris la forme, ou du moins s’être articulée autour de la colère du Monde contre l’Algérie en raison du refus de visa pour ses journalistes suite à sa Une sur le président Bouteflika, associé à son ministre de l’Energie impliqué dans le scandale des Panama Papers… mais non, cela est encore une fois plus complexe. La crise est due à la position de la France sur l’affaire du Sahara, clairement exprimée par le Premier ministre Manuel Valls à Alger, ce qui a valu à ce dernier une réaction brutale et diplomatiquement inédite du ministre des Affaires étrangères Ramdane Laâmamra.
Autrefois, le président Boumédiène avait prophétisé que le Sahara serait toujours un caillou dans le soulier de Rabat, et il apparaît aujourd’hui que ce caillou existe bel et bien, sauf qu’il se trouve dans la chaussure de l’Algérie, dont les dirigeants ne parviennent pas à lancer des projets pour sortir leur pays d’une crise économique aussi étouffante que la crise politique est effrayante… Le chef de l’Etat est dans un état tel qu’il a reçu Valls dans une position qui ne fait pas honneur à sa dignité, ni à la dignité humaine ; les révolutions de palais et les putschs de laquais se suivent et se ressemblent, au sein du renseignement militaire, ou de la Garde républicaine et même au FLN qui tient les rênes du pays.
Il n’existe qu’une leçon à tirer de ce qui s’est passé en Algérie ce weekend, et cette leçon – pour les rêveurs utopiques comme moi – est un changement du dogme des dirigeants algériens, pour eux-mêmes, pour leur population et pour leurs relations avec la France ou tout autre pays. C’est ce changement de dogme qui fera redémarrer la croissance dans cette région et permettra de plus et mieux s’occuper des populations et des nations au lieu de se préoccuper d’une affaire de séparatisme d’avance et déjà perdue. Si cette leçon est tirée et appliquée à Alger, l’intégration complémentaire entre les pays pourra être effective et il n’y aura plus ni terrorisme, ni crime organisé ni contrebande… je ne pense pas exagérer en affirmant qu’une réconciliation entre Rabat et Alger nettoiera cette région de tous les Daechiens.
Imaginons ce Maghreb, illuminé par la verte Tunisie, sa démocratie naissante et son économie soulagée, par les extraordinaires révolutions libyennes, par les immenses ressources naturelles algériennes, par la culture mauritanienne et, enfin, par l’expertise connue et l’expérience reconnue du Maroc… Imaginons.
C’est donc cette voie, et elle seule, qui apportera la solution et la France, occupée par sa prospérité et celle de son peuple, n’est aucunement responsable de ce que certains d’entre nous, au Maghreb, ont fait d’eux-mêmes après leur indépendance. La France n’est pas responsable non plus de la faiblesse de ses partenaires. Notre force, notre puissance, se sont dissoutes dans les sables du désert, où ont commencé nos problèmes et où sont enterrés nos espoirs. Attendons donc l’après-Bouteflika pour savoir ce que décideront les descendants de l’émir Abdelkader.
Al Ayyam