La logique du seuil et les dangers du retour à l’ingénierie électorale, par Bilal Talidi

La logique du seuil et les dangers du retour à l’ingénierie électorale, par Bilal Talidi

En politique, et lors des propositions et/ou discussions des lois électorales, et spécialement pour la question du seuil, les sciences mathématiques et statistiques font leur apparition dans le débat et se montrent cruciales dans l’ingénierie des scrutins. Chaque parti procède alors à une évaluation en termes de gains et de pertes, les grandes formations réclamant une élévation du seuil et les petites revendiquant son abaissement, voire sa suppression, pour s’assurer une place dans l’hémicycle.

Que disent les pronostics mathématiques ? Que, se fondant sur les chiffres électoraux de 2011 et de 2015, le PJD perdra des sièges, mais combien ? La fourchette basse – et non significative –  serait de 5 à 7 sièges si le parti augmente son réservoir électoral, et la fourchette haute – bien plus conséquente – serait d’une vingtaine de fauteuils au parlement si la formation de Benkirane maintient son potentiel de voix de 2011, ou même le réduit.

Mais le problème n’est pas là, car le PJD peut supporter cette perte relative en sièges si (et puisque), en contrepartie, il fait l’économie d’une guerre politique pour laquelle il sait pertinemment qu’il ne dispose pas d’alliés pour l’y soutenir… Non, le problème est dans d’autres partis que le langage mathématique et statistique donne perdants, très perdants même, si le seuil électoral recule, mais qui ne font montre d’aucune résistance contre cette mesure. Bien au contraire, certaines formations ont même affirmé leur soutien à la baisse du seuil (le PAM), tandis que d’autres ne se sont même pas encore exprimées sur la question, comme l’Istiqlal qui, voici encore peu de temps, appelait à l’augmentation de ce même seuil à 10% !

En langage mathématique toujours, et à la condition qu’on croit à la version du ministère de l’Intérieur qui explique que cette décision d’abaisser le seuil est dictée par la volonté d’élargir la représentativité partisane au parlement, on remarquera que ce seront le PJD, le PAM et l’Istiqlal, entre autres, qui paieront le prix de ladite décision… sauf à réaliser un effort supplémentaire pour augmenter leurs réservoirs d’électeurs pour le 7 octobre prochain, ce qui relève de l’impossible pour toutes ces formations.

Autrement dit, le gain


électoral de cette mesure sera pour les seuls partis arrivés en queue des huit principales formations, qui font et défont les majorités, en l’occurrence le MP, l’UC, l’USFP et sans doute aussi le RNI.

Nous ne connaissons ni ne comprenons les raisons sous-jacentes de la décision du ministère de l’Intérieur, mais il semblerait que ce choix aille plutôt, et même certainement, vers le recul relatif des grands partis et l’avancée relative aussi des partis intermédiaires. Et, au final, il n’y aura pas plus de partis au parlement, mais plus de partis au gouvernement…

En langage évaluatif qui prendrait en considération les progrès réalisés dans l’expérience démocratique du royaume, il n’y a pas en réalité de raisons de baisser le seuil électoral autres que celles de balkaniser la scène politique nationale et d’institutionnaliser – mathématiquement et statistiquement – l’affaiblissement du gouvernement en rendant très difficile, voire impossible, la stabilité et la cohésion de l’Exécutif futur.

L’expérience politique passée a montré les difficultés à apporter une logique et une cohérence au sein du gouvernement, mais le pragmatisme et l’élasticité dont il a été fait montre dans les dernières années ont permis de dépasser cela, de tourner la page et d’aller de l’avant. Mais aujourd’hui, avec cette nouvelle réalité qui se pose et s’impose – du moins dans la forme proposée – il va s’avérer sans nul doute que le principal visé par la réduction du seuil électoral sera le prochain chef du gouvernement. Et si celui-ci est affaibli, cela ira dans le sens des ennemis de la démocratie qui estiment que c’est là la seule manière d’entraver le processus des réformes.

Que le PJD maintienne plus ou moins le nombre de ses sièges parlementaires n’est pas le problème. Non, le problème est qu’il goûte encore de la victoire amère consistant à conquérir la présidence du gouvernement et qu’il s’aperçoive alors que ce gouvernement n’est pas le même que celui qui a été formé au lendemain des élections du 25 novembre 2011 car il prendra la forme d’une mosaïque de partis très difficiles à gérer, et dont les membres l’accuseront d’hégémonisme et d’autoritarisme à chaque fois qu’il s’agira d’avancer dans un processus de réformes qui n’arrange pas les poches de ses contempteurs.

Akhbar Alyoum