Le loup et l’agneau, version nouvelles technologies, par Fatiha Daoudi

Le loup et l’agneau, version nouvelles technologies, par Fatiha Daoudi

« La raison du plus fort est toujours la meilleure », disait Jean de Lafontaine dans sa fable le loup et l’agneau. Depuis un mois, nous vivons, sous nos cieux, une version nouvelles technologies de cette fable. En effet, l’Agence nationale de régulation de la télécommunication (ANRT) a interdit l’accès à la VoIP sous prétexte d’une concurrence illégale à Maroc Telecom, Meditel et Inwi, les trois opérateurs nationaux.

Et comme à quelque chose malheur est bon, cette interdiction a été, tout d’abord, l’occasion pour la profane que je suis de m’enquérir sur la signification de ce mot étrange qu’est VoIP. Et c’est ainsi que j’ai appris qu’il s’agit d’une technique permettant la communication par la voix à travers les réseaux d’internet. Dit simplement, c’est l’utilisation de Skype, Tango et Whatsapp etc… Outils dont vous vous êtes probablement servis maintes fois, comme moi,  en toute quiétude!

Depuis la décision de l’ANRT, l’accès à la VoIP est devenu problématique et le monde de l’Internet a pris subitement l’allure d’un monde ubuesque. Autrement, comment expliquer tout d’abord qu’une institution qui a pour rôle reconnu de réguler en toute impartialité  se mette tout d’un coup à interdire, acte partial par excellence?

En second lieu, comment peut-on interdire l’accès à un service de l’internet et non à d’autres car celui qui paye un abonnement à un des opérateurs paye un forfait et donc ce dernier est dans l’obligation de lui fournir un accès global aux différents services internet et non à certains d’entre eux.

Sur le plan juridique, l’interdiction est la décision d’une institution en dehors du rôle qui lui est imparti ; il s’agit et par conséquent d’un acte illégal. De même, la prestation des opérateurs nationaux est censée être complète et donc ne pas exclure l’accès à la VoIP qui a permis à un nombre incalculable de


Marocains d’ici et d’ailleurs de communiquer entre eux sans être angoissés par l’avancée des aiguilles de la montre !

Cette interdiction a provoqué un séisme émotionnel dans cette population composée de soit disant citoyens qui ont leur mot à dire, du moins si l’on se réfère à la constitution de 2011.

Elle nous a mis devant le fait accompli, décidé par une institution dont ce n’est pas le rôle. Cette  décision a-t-elle été prise pour remédier  à  un éventuel manque à gagner des opérateurs sur la téléphonie mobile ? Auquel cas nous serions en présence d’une atteinte flagrante aux libertés de millions d’individus, pour avantager trois opérateurs.

Et là, nous nous retrouvons, au 21ème siècle, devant une version nouvelles technologies de la fable de La Fontaine le loup et l’agneau. Le loup prend ici la forme des trois opérateurs nationaux, puissants et influents, et nous, après avoir été les moutons de Panurge, sommes devenus l’agneau de la fable. Trivialement et nettement, nous comptons pour beurre pour ceux qui veulent le beurre et l’argent du beurre.

Est-ce pour autant que les millions de clients de ces opérateurs devraient se contenter de fondre comme beurre au soleil devant cette interdiction abusive, ou alors se rebiffer ?

Il semble que des actions soient en train de se mettre en place dans le sens de la remise en cause de cette décision. Un front du refus de cyberactivistes dépités s’est organisé via évidemment les réseaux sociaux. Et le Parti Libéral en la personne de son Secrétaire général Me Ziane a déclaré son intention d’intenter une action en justice contre la décision de l’ANRT.

La démultiplication de ce genre d’action sera certainement l’occasion de se rendre compte que la loi du plus fort n’est pas forcément la meilleure. Et en cas d’abandon de l’interdiction, on pourrait imaginer que la morale de cette fable, version nouvelles technologies serait : n’est pas le plus fort celui qui croit l’être.