Samira Sitaïl a raison de dire que « le Maroc n’est pas un Etat arabe », par Aziz Boucetta

Samira Sitaïl a raison de dire que « le Maroc n’est pas un Etat arabe », par Aziz Boucetta

Elle a dit ce qu’elle pensait et elle s’est attirée les attaques de tous bords, en interne et ailleurs. Elle a dit que le « Maroc n’est pas un Etat arabe » et les Arabes, arabisants et autres panarabes se sont rués sur elle. Elle, c’est Samira Sitaïl, directrice de l’information à 2M, et elle n’a fait que lire la constitution, pourtant adoptée à la quasi unanimité des Marocains, et redire ce qui y figure, ou plus précisément ce qui n’y figure pas…

La constitution          

Que dit la constitution sur « l’arabité » du Maroc ? Rien. Qu’on en juge… Le terme « arabe » y est cité trois fois seulement, et dans le seul et même article 5 : « L’arabe demeure la langue officielle de l’Etat. L’Etat Œuvre à la protection et au développement de la langue arabe, ainsi qu’à la promotion de son utilisation (…). Il est créé un Conseil national des langues et de la culture marocaine, chargé notamment de la protection et du développement des langues arabe et amazighe et des diverses expressions culturelles marocaines, qui constituent un patrimoine authentique et une source d’inspiration contemporaine ».

L’ « arabité » est soulignée également et seulement par deux fois, dans le Préambule de cette constitution… « Son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie » et, plus loin, « approfondir le sens d’appartenance à la Oumma arabo-islamique, et renforcer les liens de fraternité et de solidarité avec ses peuples frères ». Voilà tout.

On notera que la constitution évoque « trois » composantes de l’unité nationale, en l’occurrence l’arabo-islamique (l’arabité est consubstantiellement liée à l’islam), l’amazighe et la saharo-hassani. Nous sommes donc, aux termes de la Loi fondamentale, autant « arabo-islamiques », qu’ « amazighes » et « saharo-hassanis ». Et quand on dit « approfondir le sens d’appartenance à la Oumma arabo-islamique », c’est qu’on sous-entend que cela reste encore à faire, et que cela n’est donc pas absolu.

Quant aux composantes fédératrices de la nation, selon l’article premier de la constitution, ce sont dans l’ordre « la religion musulmane modérée, l’unité nationale aux affluents multiples, (et) la monarchie constitutionnelle et le choix démocratique ». On ne parle pas d’arabité, mais d’affluents multiples.

Et rappelons, à toute fin utile, que la constitution a été officiellement adoptée à 97,58% de « oui » et 1,52% de « non, les 154.067 Marocains qui ont rejeté le texte ayant eu plusieurs raisons de l’avoir fait, essentiellement politiques. Et le taux de participation à la consultation référendaire avait été dépassé le record (hors temps d’Hassan II) de 75,5%...

L’histoire

Le Maroc antique n’a subi qu’une faible influence culturelle et politique de ses envahisseurs. Les Romains, les Vandales et les Byzantins ont pu successivement occuper le Maroc et empêcher la résurgence de royaumes berbères, mais sans parvenir à marquer profondément sa composition ethnique ou opérer des transformations radicales au niveau de son identité et sa culture. Seul l’islam et les vagues successives de migration arabe réussiront à s’agréger à la composante berbère et fonder les bases de la nation marocaine. Les alliances entre les Arabes hilaliens et les tribus berbères ont créé la lignée marocaine, à partir des 8ème et 9ème siècles, avec son exception culturelle qui perdure aujourd’hui encore.

Quand, à la fin du 7ème siècle, le général Oqba Bnou Nafiî a fait sa percée sur le territoire actuel du Maroc, il est à la tête d’un contingent de quelques centaines de cavaliers arabes, sans femmes… Au retour, il est encerclé et tué par l’armée du chef berbère Kusayla.  Un


sociologue marocain nous a dit une fois que « les Arabes sont venus en hommes et, une fois installés, ils ont enfanté avec les femmes berbères. Cela fait qu’il n’existe pas de Marocains arabes de souche, ou si peu »…

Selon Ibn Khaldoun, « l’apport arabe est très minoritaire dans les populations maghrébines  car quelques dizaines de milliers d’envahisseurs arabes n’ont pas pu, matériellement, changer des centaines de milliers de Berbères en Arabes ».

La (dure) réalité 

L’argument essentiel des défenseurs de l’arabité du Maroc est que l’arabe est la langue du Coran. C’est certes cela, et cela uniquement, qui ancre les Marocains à la culture arabe, mais le parler usuel des 38 millions de Marocains (vivant dans leur pays ou à l’étranger), la darija, n’a que peu à avoir avec l’arabe classique, enseigné dans les écoles, utilisé à l’écrit et employé par les élites lors d’allocutions publiques, et uniquement publiques.

La darija fait depuis quelques années irruption dans les messages gouvernementaux, à deux titres. Sur le plan de la communication, les messages sont de plus en plus déclinés en darija, y compris les messages institutionnels et gouvernementaux. Cela parle mieux à la population. Au niveau politique, les chantres les plus farouches de l’ « arabité » du Maroc, Abdelilah Benkirane en tête, ont bâti leurs carrières sur la communication en darija. On doute que le chef du gouvernement ait autant de popularité s’il s’exprimait en arabe classique, et on sait le sort de ceux qui parlent aux Marocains dans un arabe classique châtié.

Un autre argument des défenseurs de l’arabité, comme certains éditorialistes, verse dans l’invective, chargeant Samira Sitaïl ou Noureddine Ayouch (qui s’était rendu célèbre par sa défense de la darija) en les accusant d’être francophones (comme si c’était un mal), de ne pas connaître l’arabe (comme si c’était une tare), et de défendre « le parti de la France » (comme c’est facile).

En dehors de l'attaque personnelle, la langue arabe mérite mieux comme arguments pour continuer de s'imposer au Maroc, mais elle n'est pas renforcée par les liens systématiques entre arabité, islam et Palestine et elle est desservie par les excommunications de ceux qui pensent autrement.

Que sommes-nous alors ?

Des Marocains, tout simplement, marqués par une réelle « exception culturelle »… Quand on vote à près de 100% une constitution qui affirme dans son Préambule que «son unité (du Maroc), forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen », on ne peut qualifier le groupement national et humain marocain d’autre chose que de marocain. Même pas maghrébin, contrairement à ce que pense Samira Sitaïl, car cet ensemble géopolitique présente bien des divergences culturelles à travers son tiraillement culturel de Nouakchott à Benghazi et ses différences culturelles et linguistiques.

La constitution dit expressément, toujours en Préambule, que le « Maroc est un Etat musulman souverain », rien ne l’empêchait de dire qu’il est, aussi, un « Etat arabe souverain ». Cela n'a pas été fait, et avoir comme langue officielle l’arabe ne fait pas pour autant de nous des Arabes, ou alors nous sommes aussi Amazighe puisque cette langue est aussi langue officielle.

La « petite phrase » de Samira Sitaïl relance donc un débat sur le fameux « qui sommes-nous et que sommes-nous ? ». L’attaquer est une marque de faiblesse, la tancer  marque l’indigence de l’argumentaire et la contredire par l’invective démontre la fébrilité de ses contempteurs, défenseurs sur la défensive d'une langue qui ne demande pas tant. Merci donc à elle d’avoir (re)mis ce débat en exergue.