Que faut-il corriger dans les manuels et les programmes religieux dans l’enseignement ?, par Ahmed Aassid
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- 27 février 2016 --
- Opinions
Partant du principe que l’islam évoqué dans la constitution et dans la charte de l’éducation et de la formation est désigné par la « tolérance » et « la modération »… et du fait de cet autre principe, élémentaire, que les manuels scolaires ne sont pas une partie de la religion, mais une production humaine, et donc exposés à des erreurs d’appréciation car ils sont fondés sur des lectures elles-mêmes basées sur des contextes historiques et politiques particuliers et des positions idéologiques aussi particulières… On peut énumérer les éléments et contenus qu’on peut ou qu’on doit changer dans les manuels d’éducation religieuse.
Il faut, pour ce faire, retenir préalablement les critères suivants
1/ L’abolition de tout ce qui entre en opposition avec les desseins divins visant à honorer la personne humaine et à préserver sa dignité, en prônant la paix, la fraternité et la solidarité humaine ;
2/ La suppression de tout ce qui n’est pas en conformité avec les engagements de l’Etat en matière de citoyenneté, d’égalité, d’équité et de respect des libertés individuelles et collectives ;
3/ Le renoncement à tout ce qui enfreint les principes internationaux des droits de l’Homme tel que repris dans la constitution marocaine, considérée de fait comme « un tout indivisible » ;
4/ L’abandon de tout ce qui peut contribuer à répandre la haine et à promouvoir la violence ou les conflits entre individus, menaçant la paix sociale et la stabilité du pays par le non-respect des différences en matière de religion, de langue, de couleur, d’origine ou d’appartenance familiale ;
5/ La renonciation à tout ce qui pourrait être lié à des contextes sociaux et/ou politiques aujourd’hui révolus, qui aurait pu être souligné dans le passé par des textes religieux, à l’époque du califat, et qui de nos jours ne saurait être maintenu en raison de l’évolution des sociétés.
Ces critères, à notre sens, sont aussi nécessaires qu’incontournables pour distinguer, dans les manuels scolaires, entre ce qui participe au renforcement de la citoyenneté et à l’instauration d’une transition véritable vers la démocratie, et ce qui va à l’opposé de ces valeurs en nuisant à la prise de conscience des citoyens et en les orientant dans le sens contraire du contrat social entre un Etat moderne et l’individu citoyen.
Du point de vue de la méthodologie :
1/ Il est important de rompre avec l’approche patrimoniale(ancestrale) de la religion et de promouvoir un enseignement religieux sur la base d’une jurisprudence nouvelle, d’une pensée religieuse des Lumières élaborée par des théologiens et des exégètes à l’idéologie renouvelée car intégrée dans la série d’évolutions de leur pays, des intellectuels qui ne voient pas de contradictions entre les valeurs des droits de l’Homme et les acquis de notre siècle d’une part et, d’autre part, les contenus religieux.
2/ Il faut considérer la religion comme un moyen et non une fin en soi, plaçant l’Homme au centre des réflexions, en sa qualité de valeur suprême, de même qu’il faut considérer l’éducation religieuse comme un moyen pour répandre la valeurs humaines et humanistes dans tout ce qu’elles comportent comme noblesse auprès des jeunes générations.
3/ Il est crucial de renoncer à cette idée de « particularité islamique » dans son sens étroit, en ce qu’elle sème dans l’esprit des apprenants comme rejet des valeurs contemporaines et modernes car cela fait de l’éducation islamique un outil d’assujettissement idéologique contre la raison, la science et les valeurs d’équité et d’égalité des êtres humains.
4/ Il faut retenir l’idée que l’objectif ultime de l’éducation religieuse est de façonner un citoyen modèle vertueux, apte à dérouler une pensée méthodique et critique saine, et non un citoyen qui sublime le patrimoine et sacralise le passé révolu, avec tous ses manquements, versant par là-même dans la lutte contre l’évolution positive.
5/ Il faut renoncer à approche selon laquelle l’éducation religieuse est destinée à des enfants enfermés dans une communauté confessionnelle aussi intégrée que renfermée sur elle-même, et remplacer cette approche par une autre… celle de leçons qui inculquent aux enfants les notions de citoyenneté fondée sur les vertus qui ne contredisent pas les concepts modernes d’une société plurielle avec ses différences et ses Autres. En effet, l’idée de « Jamaâ », de communauté, détruit le principe du vivre-ensemble des sociétés modernes.
6/ Il faut intégrer l’éducation religieuse dans une ouverture sur les sciences et les acquis modernes, ouvertes sur les inventions et les innovations de notre temps, afin de permettre aux jeunes d’épouser la civilisation actuelle de la connaissance et de la découverte et de rejeter l’idée que tout ce qui est moderne est « étrange » ou « étranger », que seul l’islam est « authentique » et porteur de nos racines.
7/ Il faut rapprocher l’éducation islamique des autres religions pour trouver et retrouver les valeurs communes avec les autres confessions, rompant avec ce concept qui veut que la force de l’islam se bâtit sur la négation de ces autres religions et en confrontation avec elles.
8/ Il faut fonder l’éducation islamique sur une culture de vie, d’amour, de création et de beauté, et renoncer à l’idée et à la culture qui célèbrent la mort et la terreur, l’effroi et la haine de
l’Autre.
9/ Il faut éviter de confier la révision de ces manuels d’éducation religieuse à ceux qui se sont rendus coupables des errements passés dans cette discipline, afin d’éviter à notre enseignement ce qui s’est produit en Arabie Saoudite. Dans ce pays, et avec l’apparition et la montée du terrorisme, les Etats-Unis avaient imposé aux dirigeants de revoir leurs manuels d’enseignement religieux, et ces responsables, obtempérant, avaient chargé les mêmes oulémas wahhabites extrémistes qui avaient confectionné les anciens programmes de repenser les nouveaux ; le résultat en a été l’absence d’évolution, ces gens ayant reformulé leurs idées condamnées par le monde par d’autres, exprimées autrement mais portant les mêmes contenus.
Du point de vue du contenu :
1/ Les premiers contenus qu’il est important de supprimer et de remplacer dans les manuels scolaires sont ceux qui font l’apologie de la violence, matérielle et symbolique. En effet, dans les livres scolaires de l’éducation religieuse, et en contradiction avec les préceptes de l’école moderne, la foi est déclinée dans la description et l’explication des versets détaillant le châtiment, effrayant jeunes enfants qui apprennent ces leçons, en plus du fait qu’elle exalte le fait que les grandes conquêtes islamiques où le fait de tuer des non-musulmans est une marque de la grandeur de l’islam. Ainsi, on lie la religion à la violence et à la conquête hégémonique et on fait de cette conquête une partie de la foi, dans l’esprit de jeunes enfants qui n’ont pas encore assez de recul et de connaissances pour remettre tout cela dans son contexte historique.
2/ Dans la même logique, il faut relier la foi à l’amour au lieu de la peur, à la tolérance au lieu de la violence, à la liberté au lieu de la haine… faisant ainsi de Dieu le symbole du Bien absolu et la Beauté absolue. De cette manière, la croyance devient une responsabilité et les potentiels émotionnels des enfants seront orientés vers la vertu des relations avec les autres et non plus vers le manichéisme croyant-non croyant, conflictuel, violent et destructeur.
3/ Il est important de proscrire les contenus qui entrent en flagrante contradiction avec le droit positif en vigueur. En effet, à quoi cela sert-il de réviser le Code de la famille (Moudawana) tout en maintenant des contenus relevant des anciennes jurisprudences ? Que signifie de laisser passer des enseignements sur les châtiments corporels (amputation de la main des voleurs) alors que dans le Code pénal, ce sont des peines privatives de liberté qui ont prévues ?
4/ Il faut également proscrire dans les nouveaux manuels scolaires d’éducation religieuse tout ce qui porte sur le rabaissement des chrétiens et des juifs ou tous adeptes d’autres religions que l’islam. Au lieu d’insister sur le fait que notre religion est la seule « vraie », et que les autres, toutes les autres, sont des « déviances », il est meilleur de proclamer la complémentarité des confessions, car autrement on détruit la capacité de tolérance et de respect des enfants pour les religions et on renforce leurs aptitudes à la haine pour ceux qui ne seraient pas ses coreligionnaires. Cela va à l’encontre de la vertu moderne du vivre-ensemble.
5/ Il est crucial de renoncer à cette idée de préférence pour l’homme au détriment de la femme, ou de son exclusivité pour certains métiers, à l’exclusion de la gent féminine, ou de considérer les différences physiologiques comme un facteur de discrimination envers les femmes… les nouveaux manuels doivent épouser les évolutions de notre époque, qui entérinent l’égalité des genres et la compétence des femmes dans tous les domaines. Il est aussi important que les images des femmes et des filles incluses dans les livres d’éducation religieuse soient conformes à la réalité sociale. Ainsi, on doit supprimer les dessins ou photos de femmes portant des tenues vestimentaires prônées par un courant de pensée déterminé alors que les femmes et filles marocaines s’habillent de façons différentes. L’islam et la foi ne sont pas liés aux mises vestimentaires ou aux apparences extérieures, comme on le peut constater chaque jour dans nos villes, nos avenues et nos quartiers.
6/ Dans les manuels d’éducation religieuse, il existe des principes qui brouillent les principes de droits humains en les diluant dans d’autres idées qui ne correspondent pas aux normes nationales actuelles. Exemple : « la tolérance avec ton frère musulman » est une idée qui comporte une connotation discriminatoire, contre laquelle la tolérance précisément s’élève.
7/ Il faut, enfin, veiller à éviter les antagonismes et les contradictions dans le même cours, ce qui contreviendrait à la pédagogie la plus élémentaire. Ainsi, pourquoi parler dans une seule et même leçon de l’utilité de la copulation et de la multiplication des progénitures, puis du planning familial ?
Tous ces contenus énumérés plus haut sont de nature à isoler l’individu du contexte général d’évolution qui caractérise l’Etat et la société, et cela précisément peut le conduire à une situation conflictuelle avec son propre environnement, avec ce que cela implique comme déraison, irrationalité et même violence. Il existe donc d’autres contenus sur lesquels nous reviendrons plus tard avec des cas précis.
Cet article fait suite à un autre, du même auteur.