De faux calculs pour des aventures dangereuses, par Taoufiq Bouachrine

De faux calculs pour des aventures dangereuses, par Taoufiq Bouachrine

Une semaine avant le 5ème anniversaire du mouvement du 20 février, le président du RNI et ministre des Affaires étrangères du royaume Salaheddine Mezouar s’est invité dans « la contestation populaire ». Il a clairement appelé à protester contre un gouvernement qi n’entend ni n’écoute le peuple…

Voici ce qu’il a dit dans sa déclaration de rupture avec Benkirane, lors du Conseil national de son parti : « Il n’est pas étonnant que la rue marocaine connaisse des mouvements de grogne qui restent dans leur globalité aussi justifiés que légitimes. Il est du droit des Marocains d’exprimer leur colère quand l’action du gouvernement ne répond pas à leurs ambitions et à leurs attentes ».

C’est vraiment la première fois que j’entends une aussi explicite incitation à la révolte de la part d’un ministre, et quel ministre ! Le ministre des Affaires étrangères et numéro deux de la coalition de la majorité. Et parce que Mezouar est un militant « progressiste et rationnel », avec un (léger) passé de gauche en France, il appelé la rue à se soulever contre un gouvernement dont il a brossé un tableau bien sombre… un tableau dont ne réchappent même pas les ministres de son propre parti, en plus des technocrates, des semi-technocrates et des ministres politiques.

Réécoutons ce qu’a dit Mezouar, à l’immense stupéfaction des membres de son Bureau politique face aux propos de leur nouveau leader : « Soyons sincères, car la responsabilité appelle la sincérité. Il est fini le temps du « tout va bien, Madame la Marquise », et nos succès ne masquent pas nos revers. Nous ne pouvons pas nous endormir sur nos lauriers, alors même que le chômage des jeunes de moins de 35 ans atteint presque 40%,que l’investissement privé est en recul, que les secteurs sociaux sensibles sont en déclin, comme la santé, l’éducation, l’habitat (clandestin ou menaçant ruine). Le monde rural est toujours dépendant presque totalement de l’agriculture et de la pluviométrie, avec un chômage qui le ravage. Le développement des zones rurales est encore très faible, avec la moitié de leurs populations qui vivent en deçà du niveau requis. Nous pouvons même considérer le développement du monde rural comme l’un des grands échecs de notre action gouvernementale »…

Durant ces quatre années, l’opposition n’est pas arrivée à dérouler un discours aussi critique sur le bilan du gouvernement que celui produit par un de ses membres, samedi dernier, veille de la fête de l’amour. Et en dépit de cela, Mezouar n’a pas encore estimé nécessaire de quitter le navire, avec son parti, pour s’en aller militer dans les rangs de l’opposition… Et savez-vous pourquoi ? Parce qu’il sait bien que le rôle qui lui est imparti est de rester un pied dans la majorité, et un autre dans l’opposition…  Il est comme une sorte de cinquième colonne infiltrée au sein du gouvernement et de sa majorité.

Certains militants du PJD m’ont confié qu’il s’agit là d’un complot ourdi contre leur parti, affirmant que « les manifestations contre Amendis répondent à un timing prédéfini, de même


que le net refus des enseignants stagiaires des propositions du gouvernement relève d’un large mouvement d’échauffement contre le gouvernement ; il y a aussi cette attitude des syndicats contre le projet de réforme des retraites qui répond à des considérations politiques et œuvre à chauffer les bases en cette année électorale. Enfin, la réflexion autour de toute une batterie de lois électorales vise à altérer la saine compétition politique et revient sur les acquis de 2011…
 ».

J’ai également entendu parler d’un vaste plan médiatique et politique dont l’objectif est de braquer les populations contre Benkirane et de mettre en place un front social énervé à quelques mois du scrutin législatif, en vue de donner le sentiment que le chef du gouvernement a perdu sa popularité et que c’est la société qui l’a fait tomber et personne d’autre. C’est pour cela que le PAM a choisi l’apaisement avec Benkirane, un apaisement de façade tout en soufflant les braises sous la Lanterne au lieu d’une confrontation frontale contre le chef du gouvernement, qui en sort toujours vainqueur en raison de sa puissance oratoire.

Je n’ai pas cru en cette théorie du complot, car je m’en méfie toujours, jusqu’à preuve du contraire… Les complots et autres manœuvres existent toujours, et cela fait partie de la compétition électorale et politique, mais inclure toujours le complot dans les réflexions et mouvements nuit à l’analyse et établit une logique policière qui doute de tout, et de tous…

Mais quand on oit  un ministre appeler à la rébellion ouverte contre le gouvernement auquel il appartient, cela sème le doute et mène à se poser la question de savoir ce qui se trame derrière ce sale jeu…

La fonction d’un ministre est de régler les problèmes, et non de jeter de l’huile sur le feu. La fonction d’un ministre est de mettre en place des politiques publiques qui servent l’intérêt général et non de lancer des slogans aussi rageurs que ravageurs qui alimentent la vindicte populaire. La mission des partis et des syndicats est de porter les revendications populaires au sein des institutions et non de les inciter à descendre dans les rues ; cela est le rôle des mouvements protestataires et des coordinations de quartiers et même ces derniers ne doivent avoir recours aux manifestations de rue qu’après avoir épuisé toutes les voies du dialogue et de la concertation avec le gouvernement.

Si Mezouar et ceux qui sont derrière lui pensent mettre le feu au sein de la coalition, puis de le nourrir, alors ils sont dans l’erreur car le feu des contestations sociales, on sait où il commence mais après, on ne le contrôle plus et on ne sait jamais quand et où il s’arrête… C’est comme la guerre : on prévoit son déclenchement mais on ne peut jamais dire ce qu’il en adviendra par la suite.

Refaites vos comptes et reprenez vos raisonnements, chers vous, car il y a bien d’autres moyens d’affronter et de contrer le PJD dans les urnes, sans mettre en péril la sécurité du pays, et sa stabilité…

Akhbar Alyoum