Un ministre de la Communication… « khalfkaïen » !, par Aziz Boucetta

Un ministre de la Communication… « khalfkaïen » !, par Aziz Boucetta

Rarement un ministre de la Communication au Maroc aura fait autant unanimité contre lui… très rarement même, voire jamais. Le ministre actuel Mustapha el Khalfi, dont on attendait tant, aura fait si peu, et si mal, que l’ensemble de la profession s’est élevée contre lui et son projet de Code de la presse. Il faut dire qu’il aura largement contribué à cette bronca contre lui. Mais lui n’en a cure, porté par son idée fixe d’entrer dans l’histoire et par son obsession de faire mieux que celui qu’il considère comme son rival, son lointain prédécesseur (et actuel collègue) Nabil Benabdallah, comme il le glisse discrètement à certains de ses proches...

La raison de cette bronca ? Son idéologie fermée et sa très large opiniâtreté. Mustapha el Khalfi aura commencé son mandat en liguant contre lui l’ensemble des dirigeants de l’audiovisuel pour son projet de cahier des charges. Comble de l’humiliation, un arbitrage avait été confié à Nabil Benabdallah qui avait su arrondir les angles, s’attirant une aussi muette que tenace rancœur d’el Khalfi.

Un Don Quichotte de la foi

Mustapha el Khalfi voulait imposer, par exemple, plus de programmes religieux, en plus de la diffusion des 5 appels quotidiens à la prière sur les chaînes télé (ce qui a été fait et ne dérange personne d’ailleurs…). Il avait voulu placer des hommes de religion dans les débats télévisés ! Il s’était aussi lancé, et c’est toujours le cas, contre la diffusion des publicités pour les jeux de hasard, ce qui lui avait valu une sèche remontrance de son collègue d’alors à la Jeunesse et Sports Mohamed Ouzzine qui avait lancé qu‘ « el Khalfi n’est pas un mufti qui autorise et qui interdit ».

Porté par sa foi en lui-même, en plus de celle qu’il porte tout naturellement à Dieu, il avait ainsi touché à la gouvernance éditoriale, puis financière, des chaînes de télévision publiques, dénonçant en filigrane des malversations, qu’il s’était néanmoins soigneusement gardé de dévoiler en public. Assommé par l’arbitrage royal en sa défaveur, il avait dû reculer… pour mieux revenir. Ou du moins essayer.

Le Grand Inquisiteur de la loi

Depuis 2012, Mustapha el Khalfi s’est montré plus discret, se faisant connaître plutôt par ses différentes interdictions. L’idéologie fermée et la fermeture idéologique, encore une fois… Le ministre de la Communication s’est « lâché » en 2015, interdisant tour à tour le film Exodus (pour et parce qu’il avait cru y voir une incarnation de Dieu), puis Charlie Hebdo en raison d’un dessin, puis Much Loved (sans même que le réalisateur  eut demandé un visa d’exploitation), puis Sciences et Avenir (en raison d’une minuscule miniature représentant le Prophète dont on ne voit pas le visage)…

Lors du dernier festival Mawazine, la diffusion sur 2M du concert (il est vrai fort lascif) de Jennifer Lopez avait conduit le chef du gouvernement à adresser un courrier à la HACA, qui l’avait débouté sur la forme. D’après nos renseignements, le courrier, signé par erreur par Benkirane chef du gouvernement et non chef de parti, avait été suggéré et même rédigé par el Khalfi, qui avait donc induit en erreur son chef. Qui semble s’interroger sur son ministre, dit-on…

Le Code de la presse et le (non) droit

Quand l’ensemble d’une profession se soulève avec virulence contre un projet de loi concernant son secteur, l’initiateur dudit projet doit, en principe, se remettre en question (s), et s’en poser aussi. C’est ce qui s’est produit pour le Code de la presse d’el Khalfi, mais sans que ce dernier n’accepte de s’ouvrir sur les autres et de s’interroger. Dans sa première mouture de novembre, il prévoyait tellement d’interdictions qu’il fallait y penser à plusieurs fois avant de penser à se faire journaliste. Tollé général de la profession.

Recul précipité du ministre, et suppression d’un certain nombre d’articles indirectement privatifs de liberté car passant par l’intermédiaire du Code pénal. Mais le transit par ce même code est toujours effectif dans l’actuelle mouture déposée, mystérieusement, au parlement.  Trop de points vagues, comme l’


« atteinte » à la famille royale (qui n’a rien demandé), à l’islam (plus fort que cela), à l’intégrité territoriale (reconnue de et par tous), aux personnes… Trop de risques d’interdiction et de saisies de journaux, en plus de blocages de sites, en dépit d’un passage, qui apparaît très formel, par la justice… Une intrusion dans les modèles économiques à travers la réglementation des relations entre supports et agences de communication, l’affichage obligatoire des grilles tarifaires, l’interdiction des publicités des organismes d’Etat régissant les jeux de hasard…

Ce Code de la presse avait déclenché une tempête lors du Conseil de gouvernement du 22 décembre, plusieurs ministres, qui ont reçu le texte la veille seulement (au soir), s’en étant alors pris à el Khalfi, avant que ce dernier ne reçoive le soutien malgré lui de Benkirane. Les ministres, en plus de ne pas avoir apprécié d’avoir eu connaissance du  projet juste avant le Conseil,  avaient réagi contre l’interdiction des publicités pour les jeux de hasard, une mesure qui mettrait en péril l’existence même des trois organismes publics gérant ces jeux et déversant une manne d’argent qui bénéficie au secteur du sport, voire qui lui permet d’exister ; une mesure qui, aussi, plongerait les jeux dans la clandestinité (problème de santé publique lié à l’addiction) et favoriserait la circulation d’argent , de beaucoup d’argent, dans le circuit informel, incontrôlé et dangereux.

Mustapha el Khalfi ne doit plus dire à qui veut l’entendre que le Code est un projet de gouvernement, mais que c’est SON projet, un projet qu’il tient absolument à faire adopter pour « passer dans l’histoire » comme il doit le penser et pour faire jeu égal avec les Ramid, Hakkaoui, Rebbah, ses pairs ministres PJD qui ont eu, eux, leur loi.

Envoyé presque en cachette au parlement, le projet reste étrangement entouré d’un halo de mystère, puisque même sur le site de la Chambre des représentants, la copie du projet remis par le gouvernement n’est pas accessible, contrairement à tous les autres projets de loi… un mystère qui ne fait qu’approfondir celui déjà existant du fait des trois projets différents qui ont circulé depuis deux mois. Résultat : Nul ne sait comment est cette mouture, puisque même au niveau de la Chambre des représentants, le texte n’est pas cliquable, une semaine après avoir été adressé à la commission de la communication.

Nos confrères du huffpostmaghreb.com ont publié une étude d’excellente facture, élaborée par un collectif de juristes, sur ce fameux Code, puis ont donné ensuite la parole à Mustapha el Khalfi, qui a excellé dans les généralités.

Populisme idéologique

Pour se défendre et défendre ses décisions d’interdiction, Mustapha el Khalfi brandit la carte, toujours électoralement payante, de protection des jeunes… Fort bien, mais alors quid de la publicité des jeux sur les bus et les panneaux en ville, du mariage des mineures, de l’âge minimum des travailleur(se)s à domicile, de la qualité des salles de classe, de tous ces mineurs embastillés (près de 1.500), de ces enfants épuisés par le froid dans les régions qui ne votent pas PJD ?… Le ministre de la Communication n’en pipe mot, renvoyant avec une certaine irritation vers ses collègues. Et si on insiste, il menace de ne plus répondre aux sollicitations, de s’en remettre à l’arithmétique des institutions, et au diable la concertation avec la profession…

Le Maroc avance à grands pas avec une assurée et assumée politique des petits pas. Une démocratie bien de chez nous s’ancre dans les esprits, avec un roi qui règne et qui gouverne, et un gouvernement qui l’assiste (du point de vue de Benkirane). Notre diplomatie devient plus forte et notre industrie aussi. L’agriculture tire certes la langue cette année, mais cela devrait être soulagé et passager. Le Maroc n’a pas besoin d’un ministre de la Communication aux idées tortueuses, aux mesures laborieuses et aux discours racoleurs, électoralistes et populistes qui en font un ministre… « khalfkaïen », qui n’est finalement pas si « clair » que cela...

On s’en sera finalement  aperçu, on aurait dû initialement s’en douter.