Diplomatie de combat au Maroc, par Aziz Boucetta

Diplomatie de combat au Maroc, par Aziz Boucetta

« On ne croit qu’en ceux qui croient en eux », disait Talleyrand, diplomate chevronné qui avait servi plusieurs rois dans la France du 19ème siècle. Le Maroc croit de plus en plus en lui, et il vient, en la personne de son chef d’Etat, de désigner quelques 70 ambassadeurs, changeant d’un coup plus que les deux tiers de son corps diplomatique à l’étranger. Une première nationale, et certainement mondiale, hors révolutions et coups d’Etat. Pourquoi le Maroc a-t-il fait cela, comment, qui ? Essai de décryptage en 3 enjeux, servis par 3 groupes d’ambassadeurs, avec 3 remarques subsidiaires.

Les 3 grands (nouveaux) enjeux de la diplomatie marocaine.

Il est loin le temps où l’on disait, fiers, que la politique marocaine pouvait se résumer dans la formule « Taza avant Gaza ». C’était inconséquent, et depuis quelques années, le slogan a quelque peu changé en « Taza ET Gaza, et même Brazza »… Le Maroc s’ouvre donc, après une décennie de quasi enfermement diplomatique. Le roi voyage, beaucoup, et reçoit encore plus. Entre les deux, il envoie ses missi dominici un peu partout. La raison est que la diplomatie du Maroc se trouve confrontée aujourd’hui à trois grands défis.

1/ L’évolution de la question du Sahara et le durcissement à l’égard d’Alger.

La question du Sahara a connu, globalement, quatre grandes périodes. Le conflit armé de 1975 à 1991, puis le conflit larvé de 1991 à 2007, année de la présentation du plan d’autonomie, et attentisme jusqu’en 2013. Depuis cette date, le Maroc est passé à l’offensive, en mettant en œuvre une diplomatie royale plus agressive dans le propos d’abord, puis dans l’acte ensuite.

Depuis 2013, donc, avec les réelles avancées en droits de l’Homme et en développement économique – toutes choses étant perfectibles par ailleurs  –,  le Maroc a fait l’objet d’attitudes inamicales, des Etats-Unis, de l’ONU, parfois d’Espagne, et même de France. La diplomatie marocaine avait réagi, remettant les pendules à l’heure, mais son action était dans la réaction, non dans l’anticipation. Nommer des ambassadeurs nouveaux, et bien choisis, permettrait de devancer les différents problèmes qui peuvent se poser, pour ne pas avoir à les résoudre en catastrophe. Et les nommer à Laâyoune représente une symbolique plus qu’évidente, marquant un acte de pleine souveraineté à partir d’une région où le Maroc dispose de (toute) sa souveraineté.

Avec l’Algérie, la guerre diplomatique est déclarée côté Maroc aussi, et c’est la nouveauté. Jusque-là, on encaissait, en silence. Là encore, c’est Mohammed VI qui est à la manœuvre, de manière spectaculaire lors de son discours du 6 novembre 2015. Avec Alger, le conflit a comme terrain d’engagement l’Afrique et l’ONU essentiellement et, dans une moindre mesure, l’Europe. Il faut des diplomates aptes à porter la parole du Maroc, et surtout à se départir de la traditionnelle courtoisie marocaine.

2/ La COP22.

Le Maroc veut faire de « sa » COP une réussite aussi grande que fut celle de la COP21 en France. Pour cela, il ne suffit pas de lancer Noor I, avec toute l’importance que peut quand même revêtir ce gigantesque projet. Il faut savoir vendre le Maroc auprès des quelques 200 gouvernements dans le monde, pour espérer en recevoir la moitié au moins au plus haut niveau (chef d’Etat ou premier ministre). Et ce n’est pas en septembre qu’il faut commencer les démarches.

En octobre, le gouvernement changera très certainement et les (désormais) trois chefs de la diplomatie aussi. Il faut un appareil aguerri, expérimenté, rôdé, qui s’est déjà mis en ordre de marche et qui fonctionne de manière optimale. D’où la vague de nouvelles nominations et la COP22 devra faire partie de la feuille de route sur laquelle les diplomates seront régulièrement évalués.

3/ La nouvelle position diplomatique du Maroc, fondée sur sa sécurité et ses services.

Cela n’aura échappé à personne. Le Maroc est sollicité de toutes parts, aujourd’hui, pour l’efficacité de ses services de sécurité, bien utiles et même demandés en ces temps troubles où les organisations terroristes tuent et estropient, aveuglément. Cela a eu un coût, et cela doit avoir un prix. Les nouveaux ambassadeurs devront être là pour savoir rappeler où se trouve leur intérêt aux Etats qui sollicitent l’aide de Rabat. Les communiqués du ministère des Affaires étrangères accolent toujours « la coopération sécuritaire » quand il s’agit d’Union européenne.

Pour tout cela, le Maroc a nommé près de 70 nouveaux ambassadeurs, répartis en trois grands groupes, du moins selon les informations disponibles aujourd’hui, dans l’attente de l’officialisation de leurs désignations.

Les 3 catégories des nouveaux


diplomates                                                                

Avant, on nommait  « les copains et les coquins », mais ça, c’était avant… Aujourd’hui, des noms circulent, et certains ont été confirmés par eux-mêmes ou par des « sources sûres », comme on dit. L’un d’eux, Ahmed Reda Chami, a même fait montre d’une certaine légèreté en annonçant sa nomination sur Twitter, une légèreté qui n’enlève par ailleurs rien à sa compétence,mais une légèreté quand même. On peut scinder les nouveaux missi dominici du royaume en trois grandes catégories.

1/ Les politiques

Il semblerait que chaque parti a son ambassadeur, désormais. Même le PJD, et c’est une première, verra un de ses cadres figurer  dans le corps diplomatique marocain, en la personne de Reda Benkhaldoune. La « normalisation » avec ce parti est en marche, et c’est heureux. Que ce soit en Malaisie, en Indonésie, au Liban ou au Danemark, les nouveaux ambassadeurs partisans se disperseront à travers le monde, mais auront – et leurs partis avec eux – une idée précise de la déclinaison de la diplomatie nationale new age.

2/ La société civile

Certains noms circulent, venant de la société civile, comme Abdeslam Aboudrar, Amina Bouayache ou encore Abdelkader Chaoui (muté). Cela va dans le sens de la constitution qui entérine et consacre le rôle de la société civile dans la politique du pays. La diplomatie ne peut ni ne doit rester l’apanage des diplomates de carrière ; elle doit s’ouvrir sur les compétences de celles et ceux qui militent en dehors des cercles gouvernementaux. C’’est actuellement chose faite.

3/ Les diplomates de carrière

Le ministre des Affaires étrangères Salaheddine Mezouar a dû, et su, faire montre d’un talent d’équilibriste hors pair pour sélectionner les diplomates de carrière qui sillonnent à longueur de journée les couloirs de son (grand) ministère.  C’est à un jeu de chaises musicales que le ministre s’est livré, dépêchant certain(e)s à l’étranger et permettant des promotions aux autres, resté(e)s à Rabat et appelé(e)s à combler les postes désormais libérés. La diplomatie est un métier et les professionnels ne doivent pas manquer, apportant leurs connaissances et leur expérience aux nouveaux, et c’est la tâche qui incombera au nouveau ministre délégué nommé dans la foulée, Nacer Bourita, qui devra remplir le rôle de la courroie de transmission entre ces dizaines de nouveaux ambassadeurs.

… et les 3 remarques subsidiaires…

1/ A notre connaissance, deux femmes de sensibilité de gauche sont nommées dans deux capitales scandinaves (Khadija Rouissi et Amina Bouayache). C’est heureux et bien pensé, les pays de cette zone sont résolument féministes et ancrés à gauche. La forme est respectée et le fonds suivra, vu les compétences de ces dames, qui auront à affronter l’agressivité des Algériens (sous couvert du Polisario) dans cette zone géographique.

2/ La princesse, et cousine du roi, Lalla Joumala Alaoui traverse l’Atlantique pour s’en aller de Londres à Washington, dit-on…  tout le monde admet son action engagée et utile au Royaume-Uni, et son départ à Washington permet de penser à une anticipation des Marocains sur une très probable élection d’Hillary Clinton à la Maison Blanche. Si tel est le cas, cela serait une heureuse anticipation, connaissant les relations très étroites de Clinton avec les Alaouites.

3/ Dans la continuité de sa politique d’indépendance à l’égard de Riyad, dont l’amitié devient quelque peu encombrante en raison des soubresauts de la politique moyen-orientale, de la politique va-t-en guerre des al-Saoud et de la volatilité des engagements saoudiens vis-à-vis du Maroc, Rabat envoie un ambassadeur en Iran. L’acte fera du tort à Riyad, mais il sera fort pour Téhéran. Il ne faut pas insulter l’avenir, et l’avenir des relations internationales est avec la Perse, moins avec les Wahhabites.

Il était temps, donc, que la diplomatie marocaine s’active. Et il est à noter que ce très large mouvement ait été initié par celui qu’on avait, un peu trop vite, désigné comme « le plus mauvais ministre des Affaires étrangères » du Maroc. On sait, en effet, que ce mouvement a été conçu et pensé au ministère, quoique encadré par le palais, dont la diplomatie est le domaine réservé. Voici quelques mois, Mezouar avait confié à des proches qu’un mouvement diplomatique était en cours, spectaculaire, qu’il sera orienté autour de thématiques régionales et que les nouveaux ambassadeurs allaient tous être évalués régulièrement. « Son passage à la tête de la diplomatie marocaine en sera marqué », affirme un ancien titulaire de la fonction.

Aujourd’hui, la machine diplomatique est enfin en ordre de marche et en position de combat, avec ces nouveaux ambassadeurs qui « croient en eux », pour reprendre le mot de Talleyrand. On ne peut que s’en féliciter.