Retour sur l’affaire Loubna Abidar, par Nadia Lamlili (Jeune Afrique)

Retour sur l’affaire Loubna Abidar, par Nadia Lamlili (Jeune Afrique)

Cela fait presque dix mois que cette polémique dure. Dix mois que les torrents de la haine se déversent sur les réseaux sociaux et autres canaux d’informations adeptes d’un sensationnalisme de bas étage.

Machisme

Plus qu’une histoire de machisme dans ses plus belles manifestations, les déboires de Loubna Abidar posent un problème de fond : le droit à la différence dans une société où la place de l’individu dans le groupe reste à construire. Voilà une femme, marocaine, qui a incarné à l’écran avec talent le rôle d’une prostituée, qui a quitté un pays qui ne peut plus la protéger de la violence de certains de ses compatriotes et qui ose afficher sa liberté et ses choix dans sa nouvelle vie. La totale !

Elle ose, a osé

De quel droit Loubna Abidar a-t-elle osé sortir de son groupe même si ce dernier l’a insultée et agressée ? Comment peut-elle être nommée aux Césars pour « un rôle de pouf » ? (sic !) C’est à peine si l’on n’entend pas sur les réseaux sociaux ces voix haineuses susurrer : c’est une fille de chez nous, et nos filles doivent baisser les yeux quand on leur parle et faire acte de repentance si elles ont commis un écart ou un péché…

Elle reste dans toutes les mémoires

Personne ne l’a oubliée même si elle est installée en France depuis novembre. Et chacune de ses apparitions est sujette à polémique. Détestée, l’actrice est au centre des attaques les plus basses. Tout cela parce qu’elle a eu le courage d’interpréter


un rôle qui renvoie à certains Marocains, peut-être trop crûment, l’image d’une réalité qu’ils ne veulent pas voir mais que personne ne peut contester pour peu qu’on regarde en face le monde de la prostitution et de ces filles qui se démènent pour survivre et faire vivre leur familles.

Le livre

Veut-elle écrire un livre sur la femme et l’islam radical ? Et alors : chacun a le droit de s’exprimer… Elle poste des vidéos de sa nouvelle vie de star pour « narguer » ses compatriotes ? Et alors ? Seuls les gens remplis d’agressivité se sentent provoqués. Pourquoi ouvre-t-on les plateaux télé français à une fille qui « parle si mal le français » ? J’ai envie de demander à ceux qui posent la question s’ils n’ont jamais vu sur ces mêmes plateaux des invités non francophones essayer, comme ils peuvent, de se faire comprendre. Je dirais même que railler Loubna Abidar pour son expression en français un peu hésitante traduit un profond complexe d’infériorité.

Une femme blessée

Car ce que je vois dans ses déclarations jugées « provocantes », c’est d’abord une femme profondément blessée, toujours dans l’incompréhension de ce qui lui est arrivé, de la part de gens qu’elle a aimés et qu’elle aime sûrement encore. Éprise du métier d’actrice, elle voulait interpréter le vécu d’une prostituée qu’elle a côtoyée dans son enfance et ne s’attendait pas à autant de haine de la part de certains Marocains. Sonnée, elle est rentrée dans leur jeu agressif, mais pas pour leur faire du mal, simplement pour réhabiliter son image et affirmer son droit d’exister.

Jeune Afrique