Mustapha El Khalfi… plus musulman que le calife des musulmans…, par Hicham Rouzzak
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- 01 février 2016 --
- Opinions
Je ne vous le cache pas... quand j’ai appris, pour la première fois, la nouvelle de l’interdiction de Sciences et Avenir par le ministre Mustapha el Khalfi, je n’ai pu retenir un grand rire, un rire nerveux qui s’est vite transformé en fou rire, hystérique, irrépressible, incompréhensible… J’ai relu l’information, encore et encore, mais rien n’y a fait, je riais toujours autant, d’une manière toujours aussi inexplicable… Je me suis même pris à douter de moi-même, me reprochant de rire ainsi alors que nous étions face à un véritable scandale !
Comment pouvais-je autant rire, et si fort, d’une nouvelle qui allait placer encore une fois, une fois encore, le Maroc face à la sempiternelle question de la liberté d’opinion et d’expression ?!... Riais-je donc de cette interdiction, à l’ère de la haute technologie de l’information et de l’internet ? Non, je ne le pense pas, car cela serait une raison d’être triste, non enjoué et gai.
Alors peut-être que je riais de la justification apportée par le ministre el Khalfi pour expliquer sa décision… là aussi non. Cette justification était certes risible, mais pas à ce point.
Je me suis donc repris à lire, relire, encore et toujours, opiniâtrement, jusqu’à trouver le secret de ce fou rire inextinguible. Et soudain, je compris ! Je compris en effet que je riais pour la simple évocation de cette expression : « le ministre Mustapha el Khalfi ». Je riais de lire qu’el Khalfi était ministre, ministre de la Communication et porte-parole officiel d’un gouvernement. Oui, cela est amplement suffisant pour qu’un honnête gars s’écroule de rire.
Et donc, ce gouvernement du Maroc a décidé, à travers son ministre de la Communication, « le censeur el Khalfi », d’interdire la distribution sur nos terres de ce numéro Hors-série de Sciences et Avenir qui titrait sur « Dieu et la science ».
M. le ministre de la Communication a donc occulté la couverture ainsi que les débats et réflexions profondes qu’elle laissait prévoir, du propre aveu du « ministre censeur » qui avait dit en effet pour expliquer sa décision : « Les idées apportées dans ce dossier sont fort intéressantes et ouvertes aux discussions intellectuelles, et s’il n’y avait pas cette représentation offensante au Prophète (que la paix et le salut soient sur lui), la distribution de ce numéro n’aurait posé aucun problème ».
… mais comme cela n’était pas le cas, et que les images figuraient bien dans le dossier, alors le ministre a empêché cette revue de parvenir à ses lecteurs marocains. Le ministre a interdit le numéro de circuler au Maroc car le ministre a jugé que les images qui illustraient l’article étaient offensantes pour le Prophète des musulmans.
Ce dessin qui a suscité la réserve du gouvernement en la personne de son « ministre censeur » el Khalfi n’est pourtant pas une caricature, pas plus qu’il n’est de la plume ou du crayon d’un des « ennemis de la nation d’islam ». Non.
Ce dessin remonte au 16ème siècle et est l’œuvre de l’artiste turc, et donc musulman, Lutfi Abdullah (mort en 1607), qui l’avait réalisé sur demande du calife d’alors, du calife des musulmans donc, le sultan Mourad III.
Et donc maintenant… pour que nous croyions vraiment que ce dessin nuit et offense le prophète de l’islam, il nous faudra nous livrer à une analyse « khalfkaïenne ». Et nous comprendrons… Il nous faudra considérer que le dessinateur turc et musulman Lutfi Abdullah était hostile à l’islam et aux musulmans… et il nous faudra penser également que le sultan d’alors, le calife des musulmans Mourad III , qui avait demandé ce dessin, nourrissait aussi de l’animosité envers les croyants et ne respectait en aucune manière leur prophète !
Et c’est dans ces conditions que nous pourrons enfin admettre que la décision d’el Khalfi était opportune et raisonnable, du moins pour ceux qui pensent encore qu’un dessin ou qu’un mot puissent représenter une menace pour la foi ou une offense pour la religion.
Mais si nous ne pouvons pas prouver que le dessinateur et son donneur d’ordre le calife ne détestaient pas la religion et n’offensaient pas le prophète Mohammed, il faudra alors chercher une autre analyse, encore plus « khalfkaïenne ».
Nous pourrions alors suggérer que le ministre el Khalfi a une foi plus marquée que celle de Lutfi Abdullah et que celle de Mourad III… et alors, dans ce cas, et à partir de l’éminence de sa position de croyant supérieur, il aurait le droit d’interdire un magazine comportant un dessin fait pour un musulman pour le sultan des musulmans. Mais…
Mais… pour notre bonheur et pour le malheur
d’el Khalfi et de ses semblables, l’islam est la seule et unique religion où il n’existe pas de tuteur des croyants, des croyants qui restent seuls juges de leur relation avec leur Créateur… Et du fait qu’il n’existe aucun organisme ou aucune institution qui pourrait confirmer el Khalfi et ses amis dans la transcendance de leur islam par rapport à celui du dessinateur et de son calife, alors nous pouvons soutenir l’idée que la censure de ce Hors-série par Mustapha el Khalfi est une farce, une plaisanterie nulle et non avenue.
Pour dire les choses autrement, la décision de bloquer le magazine est la vraie et véritable offense que l’on puisse faire à l’islam.
Mais nous n’en sommes encore qu’à l’explication religieuse qu’el Khalfi a mise en avant pour justifier sa décision. Or voilà, el Khalfi est aussi un homme d’Etat, responsable (et ce fou rire me prend encore …), et donc il a cherché une raison plus « civile » à la censure qu’il a décidée… Il a cherché cette raison, et il l’a trouvée…Et voici ce qu’il nous dit, le ministre Mustapha el Khalfi, porte-parole du gouvernement, gouvernement au nom duquel il a pris sa décision de censurer un magazine :
« Conformément à la résolution 65-224 de l’Assemblée générale des Nations-Unies, datée du 21 décembre 2010 et portant sur l’opposition à toute atteinte aux religions, et particulièrement en son article 19 où l’Assemblée générale ‘se félicite des mesures prises récemment par les États membres pour protéger la liberté de religion en adoptant des dispositifs et des lois internes pour prévenir le dénigrement des religions et les représentations stéréotypées négatives de groupes religieux’ »… Comment diable expliquer à ces Nations-Unies que, dans le cas présent, ceux qui sont supposés avoir offensé la religion sont un dessinateur musulman et son sultan, par ailleurs calife des croyants ?...
Allez, entre nous soit dit, cela se veut être une bonne nouvelle… Il nous aura finalement été donné d’assister à ce spectacle d’un ministre islamiste qui endosse des résolutions de l’ONU et se fonde sur elles pour justifier une de ses décisions…
En général, ce genre de résolutions ou d’accords figuraient dans la littérature d’el Khalfi, de son parti et de son aile prédicatrice, uniquement pour être rejetés, critiqués, vilipendés… car représentant entre autres une menace pour « notre identité et notre spécificité marocaines en péril ».
Oui, à chaque fois que l’occasion était donnée de débattre de textes internationaux, et tout particulièrement en matière de droits de l’Homme et de droits de la femme, les « frères d’el Khalfi » étaient les premiers à se dresser comme un MUR pour exiger de n’en rien faire, de renoncer à ces traités et de laisser les choses telles qu’elles étaient… au nom de l’identité et de la spécificité.
Mais aujourd’hui, le ministre de la Communication justifie l’interdiction non pas seulement par une résolution de l’ONU dont il a fait interprétation à sa mesure, mais aussi en veillant à garder la moindre virgule et la moindre particule de ladite résolution.
Bon, et maintenant qu’on a ri et joué, comment expliquer cet embrouillamini à el Khalfi ?
Comment faire admettre à notre ministre de la Communication que les résolutions et les textes internationaux ne sont pas un jeu « auquel tu te livrerais quand tu n’as rien de mieux à faire ou de plus intelligent à dire ».
Allez, on va essayer de lui montrer tout ça dans un langage qu’il dit comprendre…
Les accords internationaux, cher ministre de la Com, c’est comme ces boisons alcoolisées pour lesquelles on avait fait la pub qui dit « un verre ça va, trois verres bonjour les dégâts ». Ces accords, c’est comme l’histoire des jeux de hasard… tu ne peux en interdire la pub tout en veillant à en retirer taxes et recettes. Ou ces jeux sont haram et il faut les interdire, ou alors ils représentent de substantielles rentrées d’argent pour l’Etat. Ces accords, enfin, c’est comme la lutte contre l’économie de rente ; tu ne peux afficher les noms des bénéficiaires de cette rente, puis les laisser continuer d’en bénéficier.
Bref, allez… on va conclure… Interdire le Hors-série de Sciences et Avenir est une mystification… une mystification comme cette fable de la lutte contre la corruption et la rente… une mystification comme le fait que la raison d’interdire Sciences et Avenir est due au dessin fait par un musulman, sur demande du calife des musulmans.
Une mystification… comme celle qui consiste à penser et croire que, vraiment, Mustapha el Khalfi est ministre (et là encore, je suis là, à me rouler par terre de rire… jaune).
Al Ayyam