Le gouvernement Benkirane, trois succès et trois échecs, par Taoufiq Bouachrine
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- 14 janvier 2016 --
- Opinions
Le mandat du gouvernement Benkirane tire à sa fin et à mesure que les élections approchent, le débat se fait plus précis et pressant sur le bilan de ces 4 dernières années, sur cette expérience dite de la « réforme dans la stabilité »... C’était là le slogan de Benkirane et de son parti, le PJD, face aux manifestants sortis dans les rues à l’occasion du printemps arabe.
Que demandait le peuple ? Une monarchie parlementaire « constitutionnelle » où le roi règne et ne gouverne pas, et une lutte engagée contre la corruption, la rente et la domination de la vie politique, économique et sociale dans tous ses aspects. Nous pouvons souligner trois grandes réalisations de ce gouvernement mais, en face, trois grands échecs également de ce même gouvernement venu sous les vents d’un printemps qui n’a jamais fleuri.
Les succès.
1/ Le gouvernement Benkirane a réussi à faire passer le PJD de la case fondamentalisme à celle du conservatisme. Durant 4 ans, cette formation a agi comme un véritable parti politique, et non plus religieux... Son souci a été de servir la société et pas d’appliquer une tutelle sur les us et coutumes des populations, sur leurs modes de vie et leur relation à la religion. Le PJD au gouvernement ne s’est pas laissé entraîner par une volonté d’imposer son idéologie mais, à l’inverse, a fonctionné avec un très louable sens pragmatique, comme tout parti qui arriverait au commandes par la voie des urnes et non par les voix célestes, ou en se fondant sur la légitimité religieuse.
2/ Le gouvernement a su s’armer du courage nécessaire pour entreprendre les réformes structurelles que nécessitait le Maroc et son économie, sans trop de calculs politiciens ni populisme débordant. Il a su y faire avec la décompensation des prix des carburants pour alléger le fardeau financier sur le budget général de l’Etat. Il a également augmenté le prix de l’eau et de l’électricité pour les nantis et les classes moyennes, réussissant ainsi à sauver de la banqueroute l’Office national de l’eau et de l’électricité. Puis le gouvernement s’est attelé à la grande réforme des caisses de retraites qui menacent faillite elles aussi ; il a pris des mesures aussi amères que nécessaires, comme le relèvement de l’âge de la retraite de 60 à 63 ans et la baisse des pensions, en plus de l’augmentation des cotisations des salariés. Toutes ces politiques sont impopulaires, mais le gouvernement Benkirane a préféré prendre le risque de sacrifier sa popularité au bénéfice des réformes plutôt que de tergiverser et de les repousser à des lendemains meilleurs, de peur de mécontenter les populations peu habituées
à ce genre de volontariat politique.
3/ Le gouvernement a su garantir la paix sociale et la stabilité politique durant 5 ans, bien que le Maroc se trouve dans un environnement très volatile, avec un voisinage tumultueux. Benkirane aura finalement réussi à insuffler de l’espoir dans les esprits des gens sur la possibilité de réformer sans avoir besoin de brandir les fameuses pancartes « dégage ». En effet, dès les premiers mois de la législature, la rue s’était calmée et les manifestations hebdomadaires s’étaient espacées. Et bien que l’accouchement du gouvernement se fût fait dans la douleur, il est arrivé une fois formé à convaincre les gens que leurs revendications allaient trouver leur chemin dans les circuits institutionnels, progressivement, lentement mais sûrement.
Les défaillances.
1/ Le dilettantisme dans la mise en œuvre d’une constitution sortie de la matrice du printemps marocain, conformément à la volonté du palais royal quant à une transition démocratique qui redonnerait vie à la politique et ouvrirait une nouvelle phase, après l’échec de la première alternance socialiste d’Abderrahmane el Youssoufi. Mais Benkirane, craignant une rupture avec le palais, a pris sur lui de renoncer à nombre de ses prérogatives et de s’orienter vers une interprétation peu démocratique de la constitution qui a pourtant ouvert les voies vers l’émergence d’un gouvernement véritablement politique et un exercice du pouvoir qui lierait la responsabilité à la reddition des comptes.
2/ Benkirane a hissé le drapeau blanc face à la corruption, sous toutes ses formes, oubliant ainsi son mot d’ordre électoral : « Ta voix est ta chance pour lutter contre la corruption et l’absolutisme ». Les quatre dernières années se sont écoulées au rythme de « Dieu pardonne ce qui est passé ». Un jour de spleen, Benkirane a même eu cette phrase : « Ce n’est pas moi qui combat la corruption, mais l’inverse ». Et le gouvernement, donc, est tombé dans le piège de la corruption qui se défend par la politique de la terre brûlée...
3/ La crainte de trop s’approcher des noyaux durs du pouvoir, à savoir l’intérieur, la justice et les médias publics, et de tenter de les réformer. Ces institutions sont restées fort éloignées de toute politique réformatrice, menaçant un retour à tout moment sur les acquis. Les réformes, en effet, exigent des institutions fortes pour les protéger et les renforcer, en plus de les prolonger au sein de l’Etat et de la société qui doit être rassurée quant à son avenir.
La morale de tout cela est que la réforme progressive n’est pas un chemin pavé de roses dans ce pays, mais bien plus difficile que l’on pourrait le croire. Le Maroc a besoin d’élites disposant d’une véritable feuille de route pour ne pas, ne plus, naviguer à domicile.
Akhbar Alyoum