La destruction d’une « Oumma », par les exécutions et le tribalisme..., par Hicham Rouzzak
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- 09 janvier 2016 --
- Opinions
... Même quand il s’agit de victimes de la sauvagerie, les arabes et les musulmans réussissent à personnaliser les choses... à (se) créer leur héros... à mettre un nom sur un drame, après avoir passé leur vie entière à coller des visages à toutes leurs affaires, toutes leurs réalisations... et toutes leurs défaites aussi. A chaque fois, ils cherchent, et trouvent, le nom de leur « champion », un et un seul même quand l’enfer, le drame et le malheur sont collectifs...
Le régime saoudien a exécuté 47 personnes, mais on n’a trouvé et retenu que le nom de l’une d’elles, Nimr al-Nimr, promu symbole de ce massacre collectif.
47 tués, tous escamotés derrière un seul homme, exécuté parmi eux, choisi par la « culture » de la personnalisation, désigné héros au milieu de ses compagnons d’infortune... comme s’il était plus mort qu’eux.
L’Arabie Saoudite a exécuté 47 hommes, et voilà que des gens, beaucoup de gens, sont venus nous causer dans leur langue « tribale » qui ne diffère pas tant de celle de la « Oumma», cette « Oumma » qui continue aujourd’hui encore, aujourd’hui toujours, à se bercer des illusions de l’unité de la Cause, de l’unité de l’identité, de l’unité du destin... de l’unité de la nullité...
Une « Oumma » qui a érigé ses « tentes » à la lisière des « villes, de la civilisation, qui a agglutiné ses « troupeaux » dans les déserts arides, les persuadant que les verts pâturages sont le domicile des loups et que les sources d’eau sont empoisonnées... et aussi que les gens des villes, les populations « civilisées » ont comploté, complotent et continueront de comploter contre des tentes qu, pourtant, ne résisteraient pas au moindre souffle de vent.
L’Arabie Saoudite a tué 47 personnes, sous couvert de la justice et au prétexte d’une condamnation judiciaire... restaurant les « tentes » dans leur nature et leur logique premières, la ramenant à leurs langues originelles... Et voilà que le crime, que ce crime collectif est devenu synonyme de sécession, de scission, de fitna !
Une « Oumma » où, chaque jour, des gens sont exécutés de toutes les manières, plus sordides et abjectes les unes que les autres, mais on ne parle de scission et de fitna que quand la victime appartient à un autre rite, qu’elle relève d’une autre communauté... comme si l’appartenance était la règle, comme si les êtres humains naissent avec la fatalité d’appartenir à une communauté, sans pouvoir s’en dissocier... comme si la « Oumma » ne devait pas signifier, en fait, le droit à la vie et à l’existence.
Et voilà donc que, si l’on devait emprunter la voix de la tribu, la voie de la tente et la logique communautaire, les exécutés en Arabie Saoudite ont été 47, dont 4 chiites parmi lesquels figurent le cheikh Nimr al-Nimr, et les 43 autres victimes furent des sunnites.
... Et ce n’est donc que pour la seule raison qu’il y a une des icônes du chiisme dans les rangs des victimes que certains ont déroulé l’idée de la désunion d’une « Oumma » qui n’a jamais connu d’union, ou alors il y a longtemps, ou alors on a oublié... à moins que ce ne fut une union dans la dislocation, la dispersion, la disparité et la guerre civile si peu civilisée...
Si l’Arabie Saoudite n’avait exécuté « que » des sunnites, personne n’aurait hurlé, ou même simplement protesté... Oui, sur cette terre saoudienne, 153 êtres humains ont été mis à mort pour la seule année 2015, sans que personne, pas un seul homme, de cette « Oumma » n’ait craint une scission ou une sécession... personne n’a même pensé ne fût-ce qu’à manifester « une réaction d‘appartenance à la race humaine ».
Le régime saoudien a abattu 47 personnes... mais l’Iran n’a protesté que pour la mort de Nimr al-Nimr !!
Ce même Iran qui, selon les rapports des organismes internationaux, a exécuté pour la seule première moitié de 2015 pas moins de 753 condamnés confirmés... un chiffre qui devait être porté à pas moins mille tués à la fin de l’année.
Cet Etat repeint au rouge du sang, au noir du deuil, qui tue et pend à tour de bras, qui concurrence l’Arabie dans le meurtre... cet Etat proteste... il proteste, non pas pour les exécutions massives, mais pour le fait qu’on ait ôté la vie à un chiite en terre sunnite.
L’Iran qui, chaque jour, chaque mois, chaque année, produit des jugements de mort contre son peuple, contre ses fils et ses filles, contre ses opposants, contre des leaders de minorités... l’Iran proteste contre la mort d’un chiite en Arabie.
L’Iran, ce pays qui fulmine contre les Saoudiens pour
la mort de son Nimr, vient de condamner ces derniers jours 27 prédicateurs et étudiants en études religieuses dans le Kurdistan iranien, actuellement détenus dans la prison de Rajai Shahr de la ville de Karaj, près de Téhéran et qui attendent l’application de la sentence.
L’Iran proteste et conteste, tout en mettant froidement à mort des jeunes qui n’ont même pas atteint le très jeune âge de 17 ans...
L’Iran proteste en déroulant chaque heure et chaque minute ses talents dans le meurtre et la torture de sa minorité arabe ou de sa communauté kurde, quand ce n’est pas, plus généralement, contre ses jeunes qui mettent en doute les interprétations religieuses extrémistes de ses mollahs...
Ô Seigneur, que ces saigneurs forment une « Oumma » qu’ils disent tienne et qu’ils prétendent unifiée et unie... Unie et unifiée dans l’assassinat de l’humanité et le déni de cette même humanité.
Une « Oumma » à laquelle ne manque que l’abjection de ce qui s’est produit en Arabie pour comprendre, ou faire semblant de comprendre qu’elle est la cible de gens qui veulent la diviser et semer la discorde entre ses « peuples » !!
Nul ne parle de l’exécution d’innocents en Arabie Saoudite, sauf quand cela concerne un chiite...
Et personne ne publie de communiqué « tiède » à défaut d’être « incendiaire » contre l’Iran quand il abat ses opposants, ses jeunes et ses minorités.
Aucun être ne s’inquiète de la division de la « Oumma » quand les gens sont mis à mort au nom de la religion et en application des dispositions de sa charia.
La peine capitale n’est pas synonyme de Nimr al-Nimr. Beaucoup de gens, beaucoup trop, sont tués chaque jour sans que personne n’y prête la moindre attention, sans qu’aucun consulat ne soit saccagé ou qu’aucune ambassade ne soit ravagée... sans que personne ne pense même, au moins, à aller déposer une gerbe de fleurs devant les (hauts) murs d’enceinte de la représentation diplomatique du pays tueur, en mémoire et en respect des morts et des tués.
Tous ces « fils de la communauté » qui rédigent à la chaîne aujourd’hui leurs communiqués n’avaient pas pensé à le faire suite à l’exécution en Iran de la jeune Rihana Jebari qui avait tué l’un des caciques du régime pendant qu’il tentait de la violer...
Personne, absolument personne, de ceux qui s’égosillent aujourd’hui n’a pipé mot quand, chaque semaine, le régime saoudien fouette le citoyen Raef Badawi qui s’était dressé contre la police religieuse et les tribunaux d’inquisition pompeusement créés sous la bannière de « la prescription du Bien et la proscription du Mal »...
Aucun de ceux des « tribus des tentes » ne s’est rappelé le sens des mots ni des phrases quand Qatar a incarcéré un poète, ou quand des travailleurs asiatiques ont péri dans cette lugubre plaisanterie appelée Mondial 2022 du Qatar aux relents nauséabonds de corruption et de fric et de coups de trique.
Ce qui s’est passé en Arabie n’est pas une fitna communautaire, pas même un appel à cette fitna. Non, ce qui s’est produit dans ce pays, suite à l’exécution de 47 personnes sensément condamnés par la justice, est bien plus abject.
Ce qui s’est passé là est, en toute simplicité, un nouvel appel on ne peut plus solennel des membres des tribus à une révolte contre l’humanité qui réside en nous. C’est une nouvelle victoire de la « tente » sur la « ville », du « berger » sur son « troupeau »...
Ce qui s’est passé en Arabie Saoudite et s’y passe toujours, ce qui se passe en Iran, ces deux pays où la justice ou ce qui se fait appeler justice tue est... la destruction d’une « Oumma »...
Une « Oumma » qui aurait pu tirer bénéfice de sa diversité et de ses différences. Mais non...
Elle a perverti sa richesse en la transformant en horreur.
Elle a corrompu l’arabité en arabisme.
Elle a débauché l’islam par ses interprétations dévoyées.
Elle a troqué la différence en appartenance obligée et contrainte, à laquelle n’échappent que les morts...
Puis elle est restée là, à contempler son effondrement, et à hurler au complot contre ses « tentes »...
Une « Oumma » qui a épousé la forme et la norme de son désert, qui a accepté de devenir un « troupeau » et qui s’est cherchée des « bergers » pour se placer sous leur coupe...
Une « Oumma » qui fabrique ses icônes chaque jour que Dieu fait, qui se met à les adorer, et qui prétend adorer son Créateur.
Une « Oumma » qui tue les siens chaque jour et qui ne considère que le meurtre n’est une abjection que quand il est le fait de quelqu’un venant d’une autre « tente ».
Une « Oumma » qui ne fait plus rire les nations par son ignorance, comme on dit, mais qui les fait aujourd’hui pleurer par son abjection.
Al Ayyam