Crise Iran/Arabie Saoudite, le Maroc souffle le chaud, jette un froid et adopte une position tiède, par Aziz Boucetta

Crise Iran/Arabie Saoudite, le Maroc souffle le chaud, jette un froid et adopte une position tiède, par Aziz Boucetta

Le torchon brûle entre Riyad et Téhéran. Samedi 2 janvier, l’Arabie Saoudite exécute une cinquantaine de personnes, condamnées indistinctement pour « terrorisme » ou « subversion »... Au-delà d’une exécution qui confine à un « massacre » (47 personnes tuées en un seul jour !), c’est la mise à mort d’un chef religieux chiite qui a énervé l’Iran, où des manifestants ont investi et détruit une partie de l’ambassade saoudienne. Le Maroc a réagi à sa façon, adoptant une attitude diplomatique saine, mais qui paraît aujourd’hui « mal vendue ».

La diplomatie marocaine a en effet publié un communiqué appelant les deux parties à la raison, avant que les choses n’échappent à tout contrôle dans une région aux équilibres fragiles. Mais c’était avant le saccage de l’ambassade saoudienne à Téhéran. C’était aussi, et surtout avant, que plusieurs pays ne rompent ou ne réduisent leurs relations diplomatiques avec l’Iran, comme la Jordanie, le Soudan ou encore les Emirats Arabes Unis et Bahreïn.

Un conflit ancien, mais entre Perses et Arabes et non entre chiisme et sunnisme

L’antagonisme entre l’Arabie Saoudite, sunnite wahhabite, et l’Iran, chiite duodécimain, n’est pas tant religieux que culturel et surtout géopolitique. Rappelons que l’université d’al-Azhar avait reconnu dans une fatwa que le rite duodécimain chiite était l’égal des autres rites sunnites ! Notons également que l’Arabie Saoudite ne voit pas de mal à l’extension des Iraniens vers les pays musulmans sunnites asiatiques, non arabes, mais se dresse dès que Téhéran regarde vers  son couchant... Le conflit est donc entre Perses et Arabes et oppose les deux puissances régionales tutélaires sur leur environnement immédiat. Mais, pour mieux « vendre » la légitimité de sa lutte contre Téhéran, Riyad brandit l’épouvantail confessionnel pour rallier les autres pays arabes à sa cause.

Avec le temps, le chiisme est devenu comme la question de l’héritage ou du ramadan, on n’en discute pas, on le brandit comme un tabou relevant plus de l’inconscient collectif que d’une action raisonnée...

L’Arabie Saoudite, puissance désormais impuissante

L’Arabie Saoudite a ceci de désagréable qu’elle se pose et s’impose comme le chef de file du sunnisme. Son wahhabisme et sa gestion des lieux saints (devenue intégrante du titre de ses rois, « serviteurs des lieux saints ») lui confèrent, à ses yeux, ce privilège.

De plus, la crise ouverte au sein de la famille royale


saoudienne depuis l’intronisation de Salmane et les révolutions de palais qu’il a menées le contraignent à un aventurisme régional, à la recherche de légitimité, mais aussi d’un équilibre rompu par la concomitance de plusieurs événements marquants : le rapprochement Iran-USA, la réintégration de Téhéran dans la communauté internationale, l’intrusion de plus en plus audacieuse de l’Iran dans le « pré-carré » saoudien (Irak, Yémen, Bahreïn...), la mise à mal de sa puissance financière due à l’effondrement des cours du pétrole...

Le Maroc, pays à l’islam particulier, doit avoir un positionnement diplomatique singulier

Le Maroc s’est tout récemment réveillé à une diplomatie conquérante, alimentée par son passé et sûre de son avenir. On l’a vu lors de la crise avec Paris, on l’a vu aussi dans les pays du Golfe, et on l’a bruyamment entendue enfin en Afrique francophone.

Cette crise entre Téhéran et Riyad doit donner l’occasion au Maroc de s’imposer comme pays « sage », une nation qui résiste aux instincts communautaires, religieux ou autres. En refusant de s’aligner sur Riyad, Rabat doit savoir lui tenir un langage vrai, celui de la raison, au risque de déplaire, momentanément. La politique du Maroc est que, le pays étant conduit par un roi qui dispose de larges pouvoirs religieux, il refuse de sombrer dans des conflits en apparence confessionnels. La diplomatie marocaine est politique et non religieuse ou ethnique.

En 1967 déjà, Rabat avait su résister à un panarabisme exacerbé qui avait poussé les pays arabes à rompre leurs relations avec l’Allemagne, laquelle soutenait Israël dans la Guerre des Six jours. Rabat en avait engrangé par la suite tous les bénéfices économiques et politiques, et avait imposé sa diplomatie comme incontournable pour toutes les affaires concernant le monde arabe.

Aujourd’hui, il appartient au Maroc de tenir bon dans cette flambée de haine entre Riyad et Téhéran, en continuant d’adopter une position médiane entre les deux camps. Mais il lui appartient aussi et surtout de savoir médiatiser sa position, de ne pas paraître hésitant.

Les médias du monde entier parlent du grave conflit entre Iran et Arabie Saoudite, évoquent les réactions des pays alignés sur la seconde, mais ne pipent mot de la (sage) attitude du Maroc. La diplomatie marocaine a ceci de particulier qu’elle prend discrètement des positions potentiellement bruyantes ; elle gagnerait à plus les faire savoir et à mieux les faire connaître.