L’homme de l’année 2015, par Hassan Tariq
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- 28 décembre 2015 --
- Opinions
Le 4 septembre dernier, il a été aux urnes pour le scrutin local et régional. Cette fois-ci, son comportement électoral n’a pas été animé par l’appartenance tribale ou la contrainte familiale, ou encore par la nécessité de faire honneur à l’argent qu’il a perçu. Il n’a pas non plus voté en soumission à l’influence de tel ou tel autre notable, à l’arrogance du cheikh ou du moqaddem ou en réponse aux appels de la propagande de mauvaise facture de la télé…
Le sentiment qui l’a accompagné alors qu’il glissait son bulletin dans l’urne en cette matinée ensoleillée d’un vendredi de fin d’été est qu’il avait l’idée diffuse d’un pouvoir qu’il détiendrait !
Le pouvoir de sanctionner ceux qu’il considérait comme corrompus et de promouvoir ceux qu’il pensait être à même de réformer. Le pouvoir de participer au changement. Le pouvoir de se rebeller contre l’autorité de ces notables urbains, corrompus comme il se doit et comme chacun sait. Le pouvoir de s’exercer à la citoyenneté.
Il se comportait comme celui qui redécouvre l’arme politique qu’il détient, qu’il a longtemps négligée et à laquelle il a si peu souvent accordé de l’importance. Il a tant de fois pensé que le vote est un rituel administratif qu’appelle la relation habituelle avec l’autorité locale.
L’expression de son suffrage, cette fois, était fort éloignée de la logique d’une simple mesure administrative ou même mécanique. Elle avait une autre saveur… elle portait, dans sa simplicité, un message politique clair et limpide, affichant un choix électoral assumé et mûri.
Contrairement à une habitude bien ancrée, il a considéré que sa décision de voter dépassait cette fois le cadre de son quartier, de sa ville ou de sa région. Cette fois, il a voulu dire son mot, à son niveau, sur le plan national, estimant que sa voix allait être entendue dans le pays et prise en compte dans et pour sa politique.
Durant ces 5 dernières années, il avait quelque peu retrouvé son sens politique. Il a interagi,
par télés satellitaires interposées, avec les grands événements politiques de 2011, en Tunisie, en Egypte, en Libye, au Yémen, en Syrie… Il a suivi de loin les manifestations et l’action des jeunes du 20 février. Il s’est collé à son écran pour suivre le fameux discours royal de ce début mars 2011. Il a voté « oui » à la constitution, pensant à cette transition en douceur qui ne basculerait pas en peur et en terreur. Il a participé à l’élection législative de l’automne 2011 tout en pensant engranger les fruits du printemps précédent.
Tout cela ne l’a pas transformé en politique aguerri et professionnel, mais depuis cette période-là, il s’est senti concerné par la chose publique et les affaires politiques. Il regarde Benkirane au parlement, sur son écran télé ou celui de son Smartphone. Il suit les avancées des débats sur la compensation et sur les retraites, prenant la mesure du fait que sa vie quotidienne a une relation directe avec la scène politique et ses frémissements… du litre de carburant qu’il paie à l’âge de son départ en retraite, passant par la scolarisation de sa progéniture et par la couverture médicale, la sienne et celle des siens…
Tout cela ne l’a pas laissé sombrer dans une forme de neutralité car il a appris à avoir des idées et des ressentis pour les affaires politiques de son pays. Il a aussi appris à se faire une idée sur la morale et la crédibilité des personnels politiques les plus visibles.
Et donc, alors qu’il était dans son isoloir, il s’est repassé rapidement le film de tous les événements qui ont parcouru ces dernières années depuis que, sur al Jazeera, il avait appris qu’un jeune Tunisien s’était immolé… et il a choisi son candidat et son parti, bien qu’il ne connaisse pas avec grande précision les profils et les idées des personnages figurant sur son bulletin.
Il est, à mon avis, l’homme de l’année 2015… Il est l’électeur marocain qui a restauré l’opération élective dans sa nature première d’acte politique par excellence.
Akhbar Alyoum