Le gouvernement à « deux balles », par Ali Anouzla
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- 27 décembre 2015 --
- Opinions
Les déclarations « douteuses » d’une ministre marocaine lui ont attiré une déferlante de critiques et de sarcasmes sur les réseaux sociaux, et sur internet d’une manière plus générale. La raison en est que cette jeune ministre a pris sur elle de défendre la retraite confortable des députés une fois qu’ils quittent l’hémicycle après 5 ans (jusqu’à 9 ans pour les conseillers). Cette retraite est servie à vie à de très nombreux élus qui ont campé au parlement des décennies entières, non parce que le peuple leur avait accordé sa confiance – on sait comment les élections se passent dans ce pays – mais du fait qu’ils ont su et appris comment durer en fonction et faire durer leurs sinécures, de toutes les façons possibles, légales ou non, légitimes ou pas.
Les propos de la ministre, donc, qu’elle a placés sous le signe de l’ironie, voire de la provocation, ont porté sur cette retraite des parlementaires qu’elle a qualifiée de « retraite à deux balles ». elle n’est pourtant pas loin de 8.000 DH/mois. L’expression indique la modicité de la somme et même son insignifiance au regard de la ministre, alors même que le Smic, qui est rarement respecté par les employeurs, ne dépasse pas 3.000 DH/mois, et que le seuil minimum de la retraite pour le commun des mortels ayant travaillé quatre mille jours est de 1.000 DH/mois, quand il est respecté à son tour…
Les médias marocains ne cessent de rapporter les cas de soldats ou ouvriers retraités, qui ont passé leur vie durant à assurer des travaux d’une grande pénibilité, et qui à la fin de leur parcours perçoivent une poignée de dirhams qui ne suffiraient pas à la poudre et au maquillage qu’utilise notre jeune ministre chaque jour.
Il ne s’agit pas de la première fois que des parlementaires, des ministres ou des hauts-fonctionnaires au sein de l’Etat font dans ce genre de provocation à l’encontre d’un peuple dont tout les sépare et dont ils ignorent les affres quotidiennes, vivant dans leurs salons feutrés, devisant dans leurs salons climatisés et trônant dans leurs hautes tours d’ivoire.
Un autre ministre du gouvernement actuel, toujours en fonction, pour mieux signifier sa capacité à assumer ses responsabilités, n’avait pas trouvé mieux que de comparer les Marocains à un troupeau. Il avait expliqué que, jeune enfant, il avait déjà commencé à apprendre le métier en conduisant des troupeaux de moutons et qu’aujourd’hui, ils continue avec le troupeau des Marocains…
Ces deux affirmations présentent deux coïncidences… La première est que les deux ministres appartiennent au même parti politique, lequel s’est bâti sur les décombres du « parti communiste » marocain alors que l’on aurait pu supposer que des adhérents à cette formation auraient été plus à même d’entrer en empathie avec le peuple ! Et
par ailleurs, les deux ministres coiffent des départements non productifs, ce qui laisse supposer qu’ils perçoivent leurs traitements de l’argent public sans contrepartie chiffrée. En effet, la jeune ministre est chargée de l’eau, dans un pays qui connaît régulièrement des périodes de sécheresse et dont les populations sortent régulièrement dans des sortes de « marches de la soif », durant l’été, à la recherche de quelques gouttes d’eau pour étancher leur soif. Ce département de l’eau est tout à fait formel, créé pour la première fois de l’histoire du Maroc dans le gouvernement actuel pour nulle autre raison que l’arithmétique exécutive et la satisfaction des ambitions des uns et des autres.
Quant à l’autre ministre, il occupe la tête du département de l’emploi dans un pays où l’emploi se fait rare, voire introuvable, où les gens essaiment dans les secteurs informels et où le chômage apparaît dans les chiffres des organismes officiels, après avoir été soigneusement « retravaillés ».
Mais si ce n’était que cela… En effet, aux déclarations malheureuses de ces deux ministres vient s’ajouter celle de leur collègue qui, racontant son entrevue avec la ministre suédoise des Affaires étrangères, avait affirmé que cette dernière avait été « ébranlée et secouée » ! Et aussi cette histoire d’un autre ministre qui s’en était très indélicatement pris au président Obama en disant que « même Obama, ce satané Obama, ne dispose pas d’écoles comme il en existe chez nous ! », une saillie reflétant de la provocation et de l’irrévérence à l’égard du président américain.
Et cela continue… il y a eu l’affaire de ce ministre qui a offert du chocolat pour 30.000 DH à son épouse bien aimée, sauf que l’argent est sorti des caisses de l’Etat… et aussi cette idylle entre deux ministres, qui a fait la joie des réseaux sociaux, et encore la catastrophe sportive qui a fait du Maroc la risée du monde quand la pluie a inondé le terrain de foot de la capitale Rabat en plein match international, au grand désespoir des stars qui sont cessé de courir pour se mettre à flotter sur la pelouse…
Les gaffes et les maladresses de nos ministres sont une histoire sans fin. Une affaire n’est pas encore finie et oubliée qu’une autre apparaît déjà, au point que l’on se demande si cela n’est pas fait volontairement pour détourner l’attention des populations de ce qui est vraiment important. On pourrait penser que l’existence de ces gouvernements dirigés et ne dirigeant rien est d’occuper le bon peuple avec les bons mots et les mots malheureux des ministres. Un gouvernement gouverné et qui ne gouverne rien… Un gouvernement de temps perdu et d’efforts et de gains encore plus perdus dans la perte générale du pays… Un gouvernement qui évoque assez singulièrement la gaffe de la ministre, c’est-à-dire un « gouvernement à deux balles »…
Hunasotak