Le racisme français, le racisme américain, et nous…, par Sanaa Elaji

Le racisme français, le racisme américain, et nous…, par Sanaa Elaji

Il est très facile de s’en prendre à l’Autre, de l’invectiver et de le pourfendre pour sa haine et son extrémisme… mais il nous faut aussi, et c’est plus dur, réfléchir à l’image que nous renvoyons aux autres ; il nous appartient de nous armer de la volonté de faire notre autocritique et de pointer nos défauts… Nos défauts, et pas seulement ceux des autres. Ce faisant, nous risquerions d’être encore plus supris en découvrant que nous agissons, souvent, de la même manière que ceux que nous critiquons.

Observons donc certains événements récents. Cela fait un temps déjà que le candidat à la présidence américaine Donald Trump exprime le plus explicitement du monde son extrémisme et sa haine des musulmans. Il est clair que cette attitude ne saurait être acceptée, qu’elle doit être rejetée en cela qu’elle reflète une attitude de racisme religieux et ethnique tout à fait inacceptable, de même qu’elle montre une ignorance crasse du personnage quand il généralise aussi facilement, logeant tous les musulmans à la même enseigne.

Mais soyons honnêtes… n’adoptons-nous pas, nous aussi et bien souvent, le même comportement de haine envers l’Autre ? Dans les mosquées, ne nous arrive-t-il pas à plusieurs reprises de prier Dieu pour que les enfants des chrétiens et des juifs deviennent orphelins et leurs épouses des veuves ? Comment pourrait donc réagir un juif, que pourrait penser un chrétien en entendant de pareils prêches et de tel discours ?... Ne seraient-ils pas aussi offusqués que nous face aux péroraisons de Trump, alors que ces prêches sont livrés de l’intérieur même de nos mosquées ? Pire encore : l’imam de la Grande Mosquée de La Mecque n’a-t-il pas affirmé que les chiites (oui, les chiites aussi), en plus des chrétiens et des juifs sont tous des mécréants contre lesquels on doit faire le jihad (la vidéo est sur youtube, traduisant toute notre rancœur et notre rejet de l’Autre, différent de nous) ?

En début du mois, la France votait au premier tour des élections régionales et les électeurs ont placé le Front national au premier rang de la scène politique. Cette formation est connue pour ses idées radicales et extrêmes contre les Arabes, les musulmans et, d’une façon plus générale, contre les étrangers.

Aussitôt, des réactions ont fusé sur les réseaux sociaux, nous déniant le droit de contester ce choix des électeurs français au prétexte que dans la plupart de nos pays, nous votons bien à notre tour pour des partis islamistes extrémistes. Et de fait, cette contradiction dont nous faisons montre en critiquant le choix du Front national tout en portant le nôtre sur certains partis mérite un moment d’arrêt et de méditation : pourquoi, en effet, reprocher aux Français d’avoir voté en masse pour un parti d’extrême-droite alors que nous votons, au Maroc, en Egypte,


en Tunisie ou ailleurs sur les terres arabes où l’on peut (plus ou moins) s’exprimer en faveur de partis islamistes qui adoptent des attitudes d’exclusion à l’égard des autres ? En Egypte, par exemple, les Frères musulmans préconisaient l’imposition d’une taxe religieuse aux chrétiens…

Mais il y a un bémol… Il est dans la nature humaine d’en attendre toujours plus des bons élèves. Or la France, pays des droits de l’Homme, de la démocratie et de la laïcité, doit montrer des positions politiques plus matures que celles que peuvent afficher des nations qui font tout juste leur apprentissage de la démocratie. Cela étant, les électeurs français ont corrigé le tir en montrant au deuxième tour leur attachement aux valeurs de la République, exactement de la même manière que les résultats du premier tour avaient prouvé qu’un imbécile ou un extrémiste (ce qui revient au même, note du traducteur) qui vote peut avoir plus d’impact que dix intellectuels qui s’abstiennent ou boycottent.

Par ailleurs, et à titre personnel, je ne considère pas que le vote du premier tour ait été une simple réaction aux derniers attentats terroristes qui ont frappé Paris. Je pense que les choses sont bien plus profondes et encore plus dangereuses : Le vote en faveur du Front national est une position émotionnelle reflétant un sentiment de peur, mais aussi une attitude de rejet, de discrimination et de haine de l’Autre… Cela devrait à mon sens être médité pour les prochaines élections.

Mais… mais, et pour revenir à notre point de départ : Marine Le Pen ou Donald Trump ou bien d’autres encore du même genre sont le reflet de l’image que nous renvoyons… une réplique des exclusions que nous exprimons. Ne considérons-nous pas les autres que les musulmans comme des mécréants ? Ne pensons-nous pas que seuls nous irons et méritons le paradis ? Ne nous arrive-t-il donc jamais d’adopter des postures racistes, envers nous-mêmes, en interne, entre sunnites et chiites, entre Arabes et Imazighen ? Ne sommes-nous pas racistes envers les immigrés subsahariens, et parfois même à l’encontre de Marocains à la peau sombre ?

Le racisme de Trump ou de Le Pen sont, encore une fois, inadmissibles. Leur discours discriminatoire doit être rejeté en cela qu’il est raciste, profondément raciste. Mais quand nous nous sentons offensés et blessés par leurs discours et que nous exprimons notre désapprobation pour leurs idées et leur haine, il nous appartiendrait également de penser aux prêches de certains de nos imams dans les mosquées, de certains de nos enseignants dans les écoles et de plusieurs de nos prédicateurs religieux sur les télés satellitaires et sur le web… Et alors, nous prendrons la mesure du fait que nous aussi, pour notre part, nous sommes dans l’exclusion et la discrimination envers l’Autre, sauf que nous nous en apercevons que lorsque nous sommes nous-mêmes victimes de ces exclusions et discriminations.

Al Ahdath al Maghribiya