Benkirane et la responsabilité politique, par Ahmed Amchakah

Benkirane et la responsabilité politique, par Ahmed Amchakah

Et finalement, après une longue hibernation, le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane est allé à la Chambre des conseillers pour y répondre aux questions brûlantes concernant le social et l’action de l’Exécutif dans maints domaines et secteurs.

Une fois encore, il nous a été donné d’assister à des instants sensibles et nerveux, tantôt avec ces moments de grand spectacle politique auquel l’homme nous a habitués, tantôt par l’envoi de messages codés, très codés. Nous avons eu droit à des insinuations sur la politique de contrôle qui caractérise le Maroc, et nous avons eu droit également aux coups bas… Benkirane est apparu comme un homme en butte à diverses embûches, dont les plus dures se trouvent au sein même de son gouvernement, et avec certains de ses ministres.

Le chef du gouvernement a donc causé santé publique, puis il a parlé également emploi, mais il a consacré la part du lion au secteur de l’éducation et de l’enseignement, ne se privant pas d’accabler son ministre de l’Education nationale Rachid Belmokhtar auquel il a enjoint, auquel il a même intimé l’ordre, en public, de revenir sur sa décision de franciser l’apprentissage d’une partie des matières scientifiques à la fin du secondaire, car « cela revient à jouer avec le feu »…

Mais ce que n’a pas dit Benkirane sur ce point est bien plus important que ce qu’il a bien voulu dire.

En effet, n’aurait-il pas été plus convenant que le chef du gouvernement nous entretienne de la responsabilité politique qui manque si cruellement à Belmokhtar ?

S’il n’était pas étonnant que Mohamed Louafa quittasse le département de l’éducation nationale dans le cabinet Benkirane II, il était par contre surprenant que ce même ministère, aussi important qu’il soit, puisse être retiré des mains des partis politiques pour être confié à un ministre technocrate qui y a déjà officié par le passé.

Belmokhtar appartient à la classe de ces hommes de compétences qui  font la fierté de ce pays, et il dispose de toutes les qualités, qualifications et savoir-faire nécessaires pour occuper un ministère. Mais à sa fonction actuelle, il ne défend pas des positions politiques, d’où la grande question : Où est donc passée la responsabilité politique évoquée avec tant d’enthousiasme dans la constitution de 2011 ?

Avant l’adoption de cette constitution, on pouvait désigner un ministre  selon une optique particulière, ou une autre. Mais après le vote des Marocains, massivement, pour ce texte, le respect de la logique démocratique est devenu fondamental, et non seulement dans le choix du chef du gouvernement, mais aussi pour celui des titulaires tous les départements ministériels. Et cela est d’autant plus important quand il s’agit


d’un portefeuille qui concerne l’ensemble des familles marocaines. Alors, aujourd’hui, à qui Rachid Belmokhtar doit-il rendre des comptes ? Question primordiale et essentielle s’il en est.

Là est la question de fonds, oui… Et c’est sur ce point qu’aurait dû se focaliser Abdelilah Benkirane du haut de sa tribune à la Chambre des conseillers. Cela aurait ouvert sur cette autre question : Pourquoi donc lui, le chef du gouvernement, avait-il accepté la présence de technocrates dans son équipe, dont il s’enorgueillit du caractère politique et dont il est fier de dire et de redire qu’elle a été installée après les manifestations du printemps arabe ?

En répondant aux questions des Conseillers, Benkirane avait d’ores et déjà perdu la partie, se contenant de périphrases, et surtout quand il s’est attelé à discuter de l’éducation nationale.

Et puis, autre point… Belmokhtar a-t-il pris sa décision d’introduire le français sans passer par des sujets prioritaires, bien plus importants, qui figurent comme conclusions du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS) ? Le chef du gouvernement n’est-il pas impliqué dans les travaux de ce Conseil, à travers nombre de ses ministres, de membres de son parti et de responsables publics relevant de son autorité ?

Le chef du gouvernement ne comprend-il donc pas que nous parlons d’un domaine plus que sensible et encore plus important, qui requiert un traitement spécial et dédié, sans tension ou crispation ou irritation incontrôlée ?

Le drame de l’école publique est que chaque fois, à chaque étape, elle vit une réforme expérimentale, et à chaque étape, les mêmes erreurs sont commises, et les mêmes déconvenues et désillusions sont au rendez-vous. Et aujourd’hui encore, après les expériences avortées du Pacte national éducation-formation et du Programme d’urgence de réforme de l’enseignement, étant entendu que les deux ans passés par Mohamed Louafa au ministère s’étaient caractérisées par l’absence de pacte et de programme, nous voici avec Rachid Belmokhtar drapé dans la bannière du CSFRS, sachant que cette expérience nouvelle n’a pas de couverture ni de responsabilité politique, ainsi que l’a voulu Benkirane qui a toujours estimé cette question sensible au point d’en devenir brûlante… d’où la formule d’ « allumer le feu » qu’a lancée le chef du gouvernement à son ministre.

Il est donc à craindre, vraiment, que cette manche aussi, nous la perdions encore une fois ! Benkirane sera-t-il assez fort pour rejeter les recommandations du CSEFRS concernant  ce que ce conseil appelle la diversité linguistique, qui signifie l’introduction du français et de l’anglais dans l’apprentissage de certaines matières ? Ou alors préférera-t-il reprendre encore une fois sa marotte de « la politique du contrôle », qui a remplacé depuis longtemps sa fable « des démons et des crocodiles » ?

Al Massae