Rachid Belmokhtar, entre Khadija Zoumi et Abdelilah Benkirane, par Hassan Tariq
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- 07 décembre 2015 --
- Opinions
Abdelilah Benkirane n’avait pas vraiment besoin de blâmer son ministre de l’éducation nationale Rachid Belmokhtar de cette façon si spectaculaire, lors de la séance mensuelle des questions adressées au chef du gouvernement. Mais c’était sans doute là sa manière d’exploiter ce moment pour adresser ses messages politiques urbi et orbi.
Et là, dans cette circonstance, le message politique est on ne peut plus clair et n’a nul besoin de codage ou décodage. Benkirane veut dire explicitement que c’est lui le chef du gouvernement et que cette situation qui est la sienne lui confère le droit de superviser l’action de ses ministres (de tous ses ministres), suivant leurs activités et supervisant leurs décisions, en plus de sa tâche plus ordinaire de coordination et d’arbitrage au sein du gouvernement.
Pour cela, Abdelilah Benkirane se fonde sur une réalité institutionnelle avancée qui a fait progresser le statut de sa fonction vers une présidence effective du pouvoir exécutif après que cette même fonction fut assurée par de « simples premiers ministres » qui détenaient alors un rang légèrement supérieur à leurs pairs au gouvernement et qui remplissaient un rôle de coordination formelle et artificielle.
Cette situation institutionnelle posée par la constitution de 2011, part de l’idée d’un gouvernement politique « élu », issu du suffrage universel et donc, par conséquent, responsable devant le parlement.
C’est pour cette raison que les dysfonctionnements ne sont certainement pas dans la nature constitutionnelle et la structure institutionnelle. Non, les dysfonctionnements résident dans la persistance d’une logique politique (ou plutôt non politique) inscrite dans le prolongement de l’avant-2011 et allant dans le contresens de la Loi fondamentale de 2011. Ces anomalies sont également à inscrire en partie au débit de Benkirane lui-même, dont il est responsable aussi.
C’est cette même logique qui a conduit le ministre de l’éducation nationale a émettre une circulaire portant sur une francisation de certaines matières scientifiques au secondaire, ignorant un courrier de son chef du gouvernement dans lequel celui-ci demandait de surseoir à cette décision. Et c’est toujours cette logique qui a permis au même ministre de garder les yeux rivés sur son portable ou de papoter avec un de ses collègues alors même que l’élue parlementaire Khadija Zoumi
s’adressait à lui sur la question du français à l’école lors d’une séance au parlement.
Nous sommes face à une logique, donc, de domination technocratique et de mépris pour les institutions démocratiques consistant à prendre de haut les principes de responsabilité et de reddition de comptes devant le peuple.
Le responsable technocratique sent et estime qu’il ne doit pas sa fonction à la confiance de l’électeur, qu’il n’est en rien lié au parlement et encore moins à une majorité politique. Il ne ressent absolument pas le besoin de rendre des comptes devant les citoyens et/ou leurs représentants. Et si d’aventure il le fait, c’est au nom d’un devoir professionnel, et non dans une posture politique.
Dans le passé, la technocratie avait institué une forme de gouvernance dans une sorte de prolongement de l’autorité au sein des différents gouvernements et de contradiction à la logique partisane. C’est pour cela que, dans le fond, cette technocratie avait représenté une alternative à la démocratie, voire une guerre menée contre la politique. Ce faisant, on était face à une incarnation de la non-responsabilité devant les institutions constitutionnelles.
Et ce qui devait arriver ne manqua pas d’arriver, avec un échec cuisant de cette forme de gouvernance et de gouvernement, et de la démocratie aussi, avec des résultats qui tardaient à arriver, voire n’arrivaient jamais, et une efficacité absente. Les technocrates sont responsables de la « crise cardiaque » dont les politiques sont appelés à traiter les conséquences au nom de l’intérêt national et, par ailleurs, ce sont ces mêmes technocrates – dans une grande majorité – qui ont laissé le pays sombrer dans la corruption et patauger en queue des classements internationaux, en tout.
Et donc, aujourd’hui, la technocratie ne peut travailler que dans un cadre politique, au cœur de la démocratie et de ses principes. En effet, le succès technocratique n’est qu’une fable et une vue de l’esprit.
Les pays avancés du monde ne sont pas arrivés à là où ils en sont aujourd’hui, en progrès et en prospérité, par la grâce de technocrates exceptionnels dont l’intelligence leur permet de mépriser le peuple et ses représentants. Les pays développés le sont en raison et en vertu d’un principe simple : la responsabilité et la reddition des comptes qui va avec.
Akhbar Alyoum