La démocratie, ou comment mener une guerre réussie contre le terrorisme, par Abdeliali Hamieddine
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- 02 décembre 2015 --
- Opinions
Selon un récent rapport du Royal United Services Institute (RUSI) au Royaume-Uni, spécialisé dans les affaires de défense et de sécurité depuis 180 ans, la montée en puissance de l’organisation « Daech » durant ces dernières années a une étroite relation avec la vague de putschs et de perturbations des pouvoirs islamiques arrivés au pouvoir à la suite du printemps arabe.
Le même rapport ajoute que la victoire des partis proches des Frères musulmans en Egypte, Tunisie, Libye et Maroc, avait permis de circonscrire – brièvement – les mouvements jihadistes les plus radicaux à travers l’espoir instillé par la possibilité que des mouvements islamistes puissent arriver au pouvoir par des moyens non violents, dans des contextes politiques démocratiques.
Il ne s’agit pas ici de la première fois qu’une relation objective est établie entre les désillusions de la transition démocratique et la montée des fondamentalismes et du terrorisme.
Certains pseudos journalistes ont bien tenté de décrédibiliser à escient les résultats de cette étude, œuvrant à accabler le gouvernement et son parti, les accusant de vouloir mobiliser les jeunes pour rejoindre des organisations terroristes radicales !!
Ce genre de manœuvres de basse besogne ne sont pas de la simple propagande politique, pas plus qu’elles ne sont des tentatives de liquidation d’adversaires politiques en les taxant des pires maux et en accusant des hommes d’Etat qui ont eu par le passé à affronter des menaces sérieuses de la part de ces mêmes organisations terroristes… Ces attaques médiatiques nécessitent que l’on s’y arrête et qu’on y réfléchisse avec attention, dans la perspective d’adopter une loi qui criminalise de telles actions d’excommunication politique.
Il est en effet grand temps d’adopter des textes de lois pour interdire pénalement les excommunications religieuses qui sont prononcées dans le cadre de fatwas émises anarchiquement sur certains sites et réseaux sociaux. Mais il est temps aussi de faire de même avec ces exclusions politiques à travers des accusations aussi graves que dangereuses qui nuisent au Maroc et mettent à mal ses acquis en matière de stabilité et d’endiguement de la pensée radicale.
Pour en revenir à la thèse du rapport britannique, nous remarquons que quand les manifestations populaires avaient commencé dans les pays arabes, les prédications d’al-Qaïda avaient singulièrement reculé, de même que leur portée et tous les autres appels à la violence. Et quand l’un des théoriciens d’une organisation jihadiste avait été interrogé sur son opinion quant au changement à travers les manifestations pacifiques, il avait répondu que « de notre temps, il n’y avait pas encore Facebook !!... ».
Il y a donc eu, plus tard, des contre-révolutions et il est clairement apparu que l’effondrement de certains régimes dictatoriaux ne signifiait pas nécessairement la chute des
lobbies d’influence et des centres d’intérêts, plus puissants les uns que les autres et qui ne cessent ni n’ont jamais cessé d’alimenter les régimes déchus. Et, de fait, il est apparu que l’effondrement des dictatures et la construction de systèmes démocratiques à leur place était chose impossible.
La contre-révolution a donc culminé quand l’armée a pris le pouvoir dans certains pays, après avoir brutalement interrompu le processus démocratique en renversant des présidents régulièrement et démocratiquement élus.
Et parallèlement à ces évolutions dramatiques, toutes les tentatives d’assurer des transitions démocratiques fluides dans plusieurs pays arabes ont échoué, et continuent de rencontrer les écueils de diverses natures.
Et donc, dans une telle conjoncture, et face à la désillusion qui a saisi les habitants de cette région du monde, la route a été tracée devant le terrorisme pour qu’il propose une autre méthode de changement dans le monde arabe.
« L’Etat islamique », « le califat » sont des mots d’ordre qui attirent des musulmans en situation intellectuelle fragile et affichant une connaissance précaire de leur religion… et en dehors d’un encadrement intellectuel et politique efficace, on peut prédire que cette région connaîtra de graves et sérieux problèmes.
En dehors de légitimes questions quant au succès de quelques centaines de combattants de Daech à instaurer leur autorité et leur pouvoir sur de vastes régions de Mésopotamie, face à la débâcle de l’armée irakienne pourtant entraînée par les forces américaines, on s’interroge aussi sur leur capacité à menacer nombre de pays voisins malgré les frappes aériennes occidentales conduites par les Etats-Unis !!
Qui aide Daech ? Comment ce groupe a-t-il pu engranger tant de succès ? Que l’on réponde ou non à ces questions, force est de constater que le phénomène est toujours là et qu’il est toujours aussi attirant pour les très nombreux jeunes, enthousiastes à l’envi.
Le paradoxe est que le monde s’est engagé dans une guerre totale contre le terrorisme, mais sans qu’il n’ait pris conscience de la relation étroite entre l’interruption des processus démocratiques et la résurgence des discours terroristes et radicaux. Ainsi, alors qu’un président élu croupit en prison avec nombre de ses partisans, Daech et ses semblables se pavanent sur le terrain et raillent cette démocratie illusoire importée de l’Occident et à laquelle ont participé les musulmans, avant qu’elle ne mène certains d’entre eux en prison, qu’elle ne marginalise d’autres et qu’elle ne jette des miettes à ceux qui restent… C’est cette logique qui prévaut aujourd’hui dans la propagande de Daech.
Et donc, en conclusion, nous pouvons affirmer que la guerre contre le terrorisme passe par une approche globale qui ne pourrait se décliner que par la relance du processus démocratique dans la région… ce n’est qu’à cette condition que la lutte contre le terrorisme et contre Daech pourra réussir.
Akhbar Alyoum