Benkirane prendra-t-il une retraite anticipée ?, par Taoufiq Bouachrine

Benkirane prendra-t-il une retraite anticipée ?, par Taoufiq Bouachrine

Le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane entame une année difficile, pleine de pièges et de traquenards dans son gouvernement, d’ici à l’annonce des résultats des élections législatives de 2016… Il devra subir des assauts, affronter des crises et se prémunir de coups venant de partout et provenant de tout le monde, non seulement pour défendre son parti et son bilan face à des électeurs de plus en plus politisés, mais bien plus que cela…

Il existe aujourd’hui des indications venant du cercle restreint des décideurs de l’Etat, qui semblent dire à Benkirane : « Ça suffit comme cela… le paysage politique à venir ne saurait supporter un leader politique ayant ta popularité. Le printemps arabe qui t’a porté à la tête du gouvernement s’est dans l’intervalle transformé en automne, et la rue marocaine a retrouvé sa sérénité habituelle. Quant à l’Etat, il a assimilé les secousses qui l’agitaient lorsque les jeunes du pays parcouraient les rues et les boulevards des villes et des villages. Aujourd’hui, le monde reconnaît le caractère exceptionnel du modèle marocain et donc, en conséquence, les choses peuvent et doivent redevenir comme avant, c’est-à-dire qu’une décision aussi stratégique que le choix d’un chef du gouvernement ne doit plus être dicté par les urnes, et encore moins par les leaders des partis qui arrivent en tête des élections ».

Les mêmes personnes semblent dire encore à M. Benkirane : « Rentre chez toi pour jouir et te réjouir d’une confortable retraite politique, car tu es d’ores et déjà entré dans l’histoire du pays par la grande porte, mais les nerfs de l’Etat profond ne pourraient supporter un second mandat. Tu es un rebelle à la langue bien pendue, à la popularité envahissante et à la capacité de mobilisation stressante. Ton style de gouvernement ne saurait plus durer dans un pays qui a pris l’habitude de Premiers ministres taiseux frôlant les murs, tête basse… Tu es devenu une star au sein d’un Etat où la politique ne connaît pas de star et ne reconnaît pas de star system, et tu as vaincu tes adversaires, tous tes adversaires, par KO, restant seul dans l’arène, sans ennemi ni contradicteur… Tu cherches en permanence le conflit et le combat avec le PAM, mais le PAM est aujourd’hui un élément essentiel dans les équilibres politiques que nous avons défini… Et donc, quand bien même ton PJD serait premier aux prochaines élections, il y a une forte probabilité que le choix du chef du gouvernement se porterait sur un autre nom que le tien, un homme qui serait choisi dans ton parti, mais qui ne serait pas toi… Il n’y a aucune raison que l’on instaure cette coutume de désigner le chef du parti gagnant comme chef du gouvernement »…

Quelle est donc la manière qu’entrevoient ces théoriciens de « la retraite anticipée de Benkirane » pour atteindre leur but ? La méthode douce est de convaincre l’intéressé de se retirer sur la pointe des pieds, en silence, sachant que 2016 est l’année où, constitutionnellement, son mandat arrive à échéance… La méthode musclée est de mettre tout le monde devant le fait accompli en nommant à la présidence du gouvernement un dirigeant du PJD qui ne serait pas Benkirane, et celui-ci accepterait la chose, avalant sa langue et quelques couleuvres, afin de ne pas croiser le


fer avec le pouvoir, de maintenir la détente entre PJD et décideurs et de permettre à sa formation de poursuivre les réformes engagées, mais et même sans lui.

Mais ce scénario n’est pas aussi aisé qu’il y paraîtrait. Le premier écueil est que Benkirane, justement, n’accepte point le fait accompli et rechigne à s’en retourner chez lui. En effet, lors de son émission sur Medi1TV du 30 octobre dernier, l’homme avait été on ne peut plus clair en affirmant qu’il ne rejetterait pas une proposition de son parti s’il venait à décider de le laisser en fonction pour un mandat supplémentaire. Et puis, lors d’une récente réunion du secrétariat général du PJD, il semblerait qu’il y ait eu unanimité ou presque sur le fait de proposer au Conseil national de repousser le congrès pour après les législatives. Une nouvelle idée est née au sein du parti sur l’éventualité que le chef du gouvernement ne soit pas le même homme que le chef du parti… Cela indique que  Benkirane se verrait bien rempiler à la tête du gouvernement de l’après-2016, conforté par ses réalisations au PJD et au gouvernement et renforcé par son assise populaire.

Benkirane et ses amis savent que les succès engendrés par le PJD sont dus peu ou prou à la personnalité du secrétaire général. Qu’ils soient convaincus que c’est uniquement, ou partiellement, grâce à au secrétaire général que le PJD triomphe, aucun des dirigeants du parti ne conteste « le phénomène Benkirane ». Et donc, éloigner l’homme de la présidence du gouvernement si le PJD se classe premier aux élections ne serait pas une chose qui passerait facilement. Non, cela créerait du remous au sein du parti, direction et bases, et même sur la scène politique nationale. Si ce scénario se réalise, Benkirane passerait du statut de « phénomène » à celui de « légende vivante ».

Dans les années 60, l’ancien premier ministre que fut Abdallah Ibrahim avait vécu une situation similaire quand il avait été écarté du gouvernement alors qu’il réussissait à sa fonction, du moins selon les critères de l’époque. Il était même devenu une sorte de « martyre vivant », une légende qui devait faire franchir plusieurs seuils de développement au Maroc, même si l’expression était quelque peu excessive à l’époque.

Benkirane et ses amis pensent que le premier doit être reconduit à la tête du gouvernement afin qu’il puisse tirer profit des germes de réformes qu’il a semés. Et le parti ne saurait perdre si Benkirane est toujours là car il est à lui seul un formidable et extraordinaire outil de promotion politique, difficile à remplacer. Les membres du PJD tiennent donc à leur chef et comptent sur lui pour assurer la victoire aux législatives 2016. Il n’a pas de concurrent et aucun de ceux qui voudraient bien l’être n’oserait le dire ou se présenter contre lui. Ils savent que l’homme est un véritable bulldozer politique et même s’il est confus dans son action et piètre négociateur, même s’il n’est pas un homme de dossiers mais un homme de terrain et de campagne(s) électorale(s), il n’en est pas moins un leader, qu’on le veuille ou pas.

C’est pour cela que la sagesse voudrait que si on ne peut dégager quelqu’un, mieux vaudrait alors composer avec lui… Rien n’est pourtant encore décidé, et tout est à l’étude, mais les réflexions ont d’ores et déjà commencé… Affaire à suivre.

Akhbar Alyoum