Il est temps que le monde arabe et ses islamistes se questionnent, par Aziz Boucetta
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- 22 novembre 2015 --
- Opinions
Turquie, Russie/Egypte, Liban, France, Mali, en passant par les « loups solitaires » aux Etats-Unis, les menaces incessantes sur l’Espagne et la Belgique, et les massacres quasi-quotidiens en Syrie et en Irak… L’organisation terroriste dite indûment « Etat islamique » est en pleine activité. Daech est en guerre contre le monde, et le monde subit. Quant au monde arabe, et en particulier musulman, il observe, attendant sans doute son tour…
Daech et ce qui reste d’al-Qaïda tuent, partout, sans distinction, dans la sauvagerie la plus totale, dans le dénuement idéologique le plus absolu. Cela fait six mois que les attentats se sont accélérés, dans le silence le plus assourdissant du PJD, du MUR, d’Ennahda, des Frères musulmans, des wahhabites de la Péninsule arabique. Dans le meilleur des cas, on ne condamne que du bout des lèvres, en reculant presque, en s’excusant quasiment de le faire …
Le monde arabe est responsable
Pourquoi dire monde arabe et non monde musulman ? Parce qu’il est malheureusement évident que le terrorisme islamique et la violence religieuse sont le fait des Arabes. En terres arabes, il n’existe pas d’égalité entre les sexes pas plus qu’il n’existe de liberté d’expression religieuse ou de possibilité de discuter les textes religieux, Coran en premier, pris dans leur lettre et dans le rejet de leur esprit. Dans les pays musulmans non arabes, en revanche, plusieurs femmes ont dirigé leur pays alors que chez les musulmans arabes, les femmes ne demandent encore qu’à exister et parfois même se demandent si elles existent.
Le monde arabe est désormais déconsidéré par le monde tout court parce que, entre autres, il faut le dire, il existe une forme de terrorisme intellectuel largement admis au sein de ses sociétés, de Casablanca à Bagdad. On ne parle pas de religion, on ne remet rien en cause, et on attaque avec virulence toux ceux qui se réclament d’un islam des Lumières ; on vit dans le déni des autres, chrétiens, juifs et autres... On ânonne des versets à longueur de journée, sans en appliquer la philosophie ni en comprendre la portée et la pensée, et encore moins le contexte où ils ont été révélés.
Le monde arabe se veut moderne, mais cela s’arrête à l’usage des inventions de la modernité. Il se dit ouvert mais il ne s’ouvre qu’à ceux qui pensent comme lui, se fermant au reste et s’enfermant sur lui-même. Ce monde arabe ne comprend pas qu’une société, comme en Espagne, au Royaume-Uni, au Japon ou ailleurs, peut être religieuse sans être recluse, qu’elle peut être conservatrice sans être destructrice, et il ne comprend pas plus que pour être démocratique, tout le monde doit pouvoir s’exprimer, savoir écouter les autres, se remettre en cause, accepter l’autocritique et juger les auteurs d’appels à l’exclusion, qui débouche sur la violence.
Les réseaux sociaux sont mal utilisés
Les réseaux sociaux n’ont pas aidé à répandre ces Lumières, mais à approfondir les ténèbres ; il n’est qu’à regarder, chez nous, les commentaires qui accompagnent des textes de penseurs et de chroniqueurs qui ne font qu’exprimer des pensées. On brandit le Coran à tort et à travers, sachant pourtant que ce texte ne doit être étudié, commenté et analysé que par des spécialistes et des exégètes.
Des armées d’internautes sont là pour attaquer, invectiver, insulter, excommunier ceux qui dénoncent des actes barbares. Sur les réseaux, on s’élève contre les amalgames opérés en Europe entre islam et terrorisme, mais on ne voit pas que chez nous aussi, on fait le même
amalgame entre laïcs et athées, entre chrétiens et juifs d'un côté et sionistes de l'autre ; on reproche à l’Europe de ne pas dénoncer l’Amérique de Bush et l’Israël de Netanyahou, mais on ne se demande pas pourquoi on ne dénonce pas à notre tour les massacres commis par ceux qui se réclament de ce bien qui nous est collectif, l’islam.
Au lieu de sévir contre ces radicaux qui ne respectent ni les lois ni les hommes, musulmans autoproclamés qui n’ont rien compris à l’esprit de l’islam et mais qui se sont attachés à ce qu’ils compris de sa lettre, on se contente de condamner ceux qui émettent leurs opinions, parce qu’elles sortent de l’unanimité de l’inconscient collectif.
On organise des manifestations gigantesques – et légitimes – pour dénoncer l’apartheid croissant du gouvernement israélien à l’égard des Palestiniens, mais les organisateurs ne bronchent pas quand on massacre en Tunisie, au Liban, en Egypte, en France, au Nigéria, au Kenya, en Somalie et bien sûr en Mésopotamie. Sur les réseaux, on dit la France responsable de ce qui lui arrive en raison de ses guerres contre l’islamisme… on dit la Turquie responsable des attentats qui tuent et estropient pour sa laïcité… On dit le Liban responsable parce qu’il abrite une frange chiite au sein de sa population… mais en aucun cas, on ne veut reconnaître sa responsabilité morale en ne condamnant pas les auteurs des violences commises.
Au Maroc, les islamistes ne brillent pas par la pensée, mais par le silence
Pourquoi, au Maroc, le MUR ne marche pas pour condamner ce qui s’est produit ces six derniers mois de la main des terroristes islamistes sunnites ? Pourquoi ne condamne-t-on que du bout des lèvres les massacres et autres tueries partout en Europe, au Maghreb et en Afrique ? Pourquoi a-t-on cette impression que les condamnations de ces actes par les islamistes ne sont faites que pour se donner bonne conscience et montrer mollement ce qu’on ne pense pas réellement ?
Si les islamistes se disent modérés, sur le plan politique, il faut qu’ils sachent – mais ils le savent sûrement – que leurs prédications littérales de la religion et leurs imprécations contre toute pensée moderniste font le lit de l’extrémisme, qui donne lui-même naissance au terrorisme.
Quand Abdelilah Benkirane demande à Driss Yazami de s’excuser pour sa recommandation sur l’égalité en héritage, il trace un boulevard à tous les extrémistes qui s’ignorent et à la violence qui prospère… Quand Mustapha Ramid défie quiconque d’aller manger pendant le ramadan sur la voie publique, il légitime la violence qui s’en suivrait le cas échéant… Quand Najib Boulif affirme qu’il n’y a pas de relation directe entre la créature et son Créateur, il jette en proie à la vindicte populaire tous les laïcs et les libre-penseurs.
Il est temps que les islamistes cessent de faire de l’islamisme sous couvert de politique… Il est grand temps qu’ils se décident à clairement choisir entre la politique avouée et la prédication inavouée… Il est temps également que les religions soient reléguées aux lieux de culte et qu’elles désertent les espaces publics… Il est plus que temps que l’éducation prenne le relais, en terres arabes en général et au Maroc en particulier, pour inculquer aux jeunes – et sérieusement – l’esprit de la religion et non sa lettre. Car l’ignorance donne l’inconscience, puis l’intolérance, qui aboutit à la violence.
Dans l’intervalle, nos condoléances et nos excuses aux Français, Russes, Libanais, Turcs et autres pour les abjections commises au nom d’une religion qui est notre bien commun à tous.