Au-delà de la condamnation de la tuerie de Paris..., par Taoufiq Bouachrine
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- 16 novembre 2015 --
- Opinions
La Ville Lumière a éteint ses lumières et se drape de noir en signe de deuil pour les victimes du terrorisme aveugle qui l’a frappé avec autant de force que de bestialité. Un coup de force sans précédent qui a secoué le monde et qui a conduit l’écrasante majorité des peuples de la terre et des gouvernements à exprimer leur solidarité, leur tristesse et leur plus vive condamnation de cette nouvelle forme de barbarie.
Le terroriste qui a crié « Allah Akbar » avant de se faire exploser au milieu de dizaines de personnes a, à la fois, menti et dit vrai. Il a dit vrai car Dieu est effectivement grand, mais il a menti car Dieu refuse le meurtre en son nom, proscrit la terreur des populations au nom de la religion et en celui de son prophète, à propos duquel le Coran a dit : « Et Nous ne t'avons envoyé qu'en miséricorde pour l'univers » (21 : 107).
Il appartient aux musulmans d’élever leur voix, partout où ils se trouvent, pour dénoncer et condamner le massacre de Paris, l’attentat contre l’Airbus russe et celui à la ceinture d’explosifs perpétré dans la banlieue sud de Beyrouth. Refuser toute agression contre des innocents est un devoir moral, quelles que soient les identités des victimes, françaises soient-elles ou américaines ou russes ou libanaises, chrétiennes ou bouddhistes, arabes ou non… Un assassinat est un assassinat et sa définition est pareille dans tous les dictionnaires de la terre.
Et il appartient également aux musulmans, qui sont les victimes principales du terrorisme, de s’élever contre le détournement de leur religion par ce gang appelé « Daech », qui veut nous ramener à l’époque des conflits et des guerres entre la croix et le croissant, qui veut dissimuler les différends politiques, économiques et stratégiques derrière la religion pour convaincre les esprits faibles et les gens naïfs et les amener à une guerre qui n’est pas la leur, à une guerre perdue d’avance et qui nuit à leurs justes causes.
La cervelle de moineau des types de Daech a-t-elle donc pensé que le meurtre de 130 civils à Paris était une grande victoire, une belle vengeance au nom du prophète de l’islam pour répondre aux raids des chasseurs français bombardant les positions de ce groupe qualifié à tort d’islamique ? Cela est de la folie, de la pure folie furieuse ! Frapper des civils innocents dans les capitales du monde est du terrorisme aveugle. Tuer avec autant d’abjection des personnes qui n’ont rien fait revient à impliquer les jeunes musulmans de la 3ème génération dans une bataille perdue d’avance. C’est une forfaiture contre l’islam et une douteuse aventure pour l’ensemble des musulmans, et c’est aussi du pain bénit pour les mouvements d’extrême droite qui essaiment en Europe et qui font de l’islamophobie une nouvelle idéologie et un projet politique pour accéder au pouvoir et mettre à mal les fondements des sociétés modernes édifiées sur des socles de diversité et d’ouverture et aussi de coexistence pacifique au sein de systèmes démocratiques qui ne font aucune distinction entre les appartenances raciales, religieuses et culturelles de leurs citoyens.
Aujourd’hui, c’est l’heure des condoléances et de la condamnation de la barbarie, c’est le moment de la solidarité avec les victimes françaises et leurs familles… mais, dans le même temps, c’est l’occasion d’appeler à la raison et à la nécessité d’une bonne réponse au terrorisme. La France tuera une seconde fois ceux qui sont déjà morts si elle ne réfléchit pas à la meilleure façon de punir les meurtriers.
Daech, ses gens et ses semblables veulent entraîner la France dans des réactions empressées, énervées et irréfléchies… des réactions contre l’islam et les musulmans, sans faire la part des choses ni comprendre la stratégie de l’ennemi. L’objectif de Daech à travers le massacre du vendredi 13 novembre est d’impliquer les 15 millions de musulmans d’Europe – dont 5,5 millions pour la seule France – dans ce conflit et sur le terrain de bataille… le groupe terroriste veut faire en sorte que ces millions
de musulmans soient les victimes des politiques colériques de leurs gouvernements. Ce faisant, Daech élargira son champ de recrutement en Europe même.
Cette chose que l’on appelle « Etat islamique » ne représente ni les musulmans, ni l’islam, pas plus qu’elle ne peut parler des affaires du monde arabe. Daech est une mauvaise pousse qui a germé et grandi dans des Etats douteux, soit « foireux », soit dictatoriaux soit, enfin, en proie à des guerres civiles. Daech est ce pus qui coule d’une plaie ouverte et qui n’a trouvé personne pour la panser ou même la nettoyer ; cette plaie est l’Irak qui a fait l’objet d’une invasion américaine illégale avant d’être livré à la vindicte du communautarisme chiite contre le sunnisme. Daech est la réponse suicidaire aux crimes de Bachar al-Assad qui n’ont pas trouvé un monde avec une conscience humaine et une morale pour les condamner, les faire cesser et juger leurs auteurs. Daech est fille de l’autocratie et de la pauvreté qui a radicalisé la jeunesse du monde arabe (100 millions de ces jeunes n’ont pas d’emploi en terres arabes et maghrébines). Daech est la conséquence du désespoir qui saisit tous les Arabes face à un monde qui observe en spectateur les crimes de l’occupation israélienne en Palestine, face à une Europe et à une Amérique qui détournent les yeux devant la discrimination raciale qui est la marque de fabrique de la droite d’Israël.
Le marché s’est mondialisé, la culture s’est mondialisée, les médias se sont mondialisés… alors pourquoi le terrorisme resterait-il prisonnier d’une seule région ? Le terrorisme s’est à son tour aussi mondialisé, frappant partout et ailleurs, commettant des crimes supranationaux, tuant des victimes ici et là, s’étendant au-delà des frontières et des continents.
Il ne suffit pas, donc, de condamner le massacre perpétré à Paris, ni de ressentir toute cette compassion et cette affliction face aux malheurs et douleurs des familles des victimes… Il est aujourd’hui indispensable, aussi, en plus de ces sentiments humains, de faire la lumière sur les « racines du terrorisme », qui ont germé, poussé et grandi, déclarant la guerre au monde entier et constituant un « Etat » avec un peuple, un pouvoir, des armes et un discours jihadiste qui attire de plus en plus de musulmans sur la terre.
Je voudrais dire aux Français : Vous êtes les enfants d’une belle et glorieuse Révolution, vous êtes les enfants de valeurs de renaissance, de modernité et de Lumières, alors comment et pourquoi ne dites-vous rien à vos gouvernements qui se taisent face à l’occupation de la Palestine par Israël ? Comment et pourquoi vous taisez-vous alors que Bachar al-Assad tue autant de personnes dans son propre pays ? Et pourquoi vous accommodez-vous de votre aviation qui largue ses bombes sur 8 millions d’Irakiens et de Syriens, eux-mêmes otages de Daech qui les gouverne par le fer et le feu, faisant que ceux qui ne meurent pas de la main des types de Daech sont écrasés sous vos bombes ? Comment ce peuple français peut-il permettre à son président François Hollande de vendre des armes à un dictateur appelé al-Sissi qui a tué en une seule journée, celle de la manifestation de Rabea, dix fois plus de ses compatriotes qu’il n’y a eu de morts à Paris la semaine dernière ? Le sang des Egyptiens, des Irakiens, des Syriens, des Palestiniens serait-il de moindre valeur que le vôtre ? Le meurtre est-il le même partout ou, à l’inverse, est-il sélectif en fonction de la géographie où il a lieu ?
Et ainsi donc, apporter le soutien nécessaire au monde arabe pour qu’il se défasse de l’autocratie, de la corruption, du radicalisme et de l’exacerbation des esprits n’est plus une mission diplomatique ordinaire, mais un acte prioritaire pour préserver la sécurité de l’Europe et de la France. Il s’agirait là d’une politique préventive pour sauver des vies françaises, belges, allemandes… Si le monde arabe emprunte la voie du développement, de la stabilité et de la démocratie, il produira moins de violence, de terrorisme et de menaces pour ses voisins dans le tout petit village planétaire qui est désormais le nôtre…
Akhbar Alyoum