Les messages du roi à Bouteflika, Ross et Abdelaziz, par Taoufiq Bouachrine

Les messages du roi à Bouteflika, Ross et Abdelaziz, par Taoufiq Bouachrine

Trois nouveautés et quatre messages étaient contenus dans le discours délivré par le roi Mohammed VI à l’occasion du 40ème anniversaire de la Marche verte. Les quatre messages sont destinés, dans l’ordre, à : Christopher Ross et les Nations Unies, Abdelaziz Bouteflika et la diplomatie algérienne, Mohamed Abdelaziz et les 40.000 Sahraouis de Tindouf et, enfin, la jeunesse sahraouie à laquelle le roi a dit : « Ce qui nous intéresse, c’est de préserver la dignité des fils du Sahara, surtout les générations montantes, et d’instiller en eux l’amour et l’attachement à la patrie ».

Quelles sont les nouveautés qui ont marqué le discours et qui lui ont conféré sa charge politique et médiatique ? Un, ce discours était lu en direct et non retransmis en différé, comme c’est le cas des habituelles adresses royales à la nation. Deux, le discours est venu de Laâyoune et non de Rabat, Tanger ou Casablanca, et il fait partie d’une visite officielle sans précédent au Sahara, lors de laquelle a été annoncée une nouvelle génération de projets de développement inscrits dans le cadre d’une régionalisation élargie, qui est la voie vers l’autonomie. Trois, le propos dur et direct tenu par le roi à l’adresse de nos voisins algériens. Il s’agit en effet de la première fois que le fils d’Hassan II dit à l’Algérie : vous avez réduit les enfants libres et dignes du Sahara à « un butin de guerre, un fonds de commerce illégitime  et un moyen de lutte diplomatique » contre le Maroc et durant 40 ans vous n’avez pas pu, ou voulu, procurer aux habitants des camps 6.000 logements, soit une moyenne annuelle de 150, pour préserver leur dignité.

Quant à l’ONU, le roi a dit en substance : Le Maroc œuvrera unilatéralement à appliquer la solution politique au conflit du Sahara, car Rabat ne peut attendre éternellement ce qui viendra ou ce qui ne viendra pas. Le Maroc apporte ainsi sa contribution en payant la facture de cette solution : une régionalisation élargie qui ouvre la voie à l’autonomie à travers un important projet de développement qui coûtera plus de 7 milliards d’euros pour moins de 200.000 Sahraouis. A Ross, Mohammed VI a également dit : « Certains cercles au sein d’organisations internationales, qui ignorent l’histoire du Maroc, (…) cherchent à présenter des conceptions éloignées de la réalité car concoctées dans des bureaux feutrés, comme autant de propositions pour régler le différend régional suscité autour de la marocanité du Sahara. Le Maroc refuse toute aventure aux conséquences incertaines, potentiellement dangereuses, ou toute autre proposition creuse ne servant à rien d’autre qu’à torpiller la dynamique positive enclenchée par l’Initiative d’autonomie ». En clair, cela signifie que Mohammed VI brandit son veto face au projet fédéral diffusé par l’Américain arabisant Christopher Ross. Plus encore, le roi accuse l’envoyé de Ban Ki-moon de vouloir avorter le projet d’autonomie… et cela est probablement le coup de grâce aux « vains » efforts du diplomate américain…

Pour Bouteflika, et l’Algérie, le roi a signifié que la patience du palais à l’égard de son voisin belliqueux est épuisée et que le Maroc, désormais, adoptera la loi du talion, sachant que ce n’est pas lui qui a déclenché les hostilités. Ainsi, et alors que Rabat s’est toujours retenu de s’immiscer dans les affaires


intérieures algériennes, voilà qu’elle évoque le cas des Kabyles aux Nations-Unies et rend coup pour coup à Alger dans sa politique d’ingérence au Sahara. Alors que le Maroc a toujours tenu à l’édification de ce si fragile Maghreb, voilà que le souverain marocain adresse de virulentes critiques à Alger, que l’on ne lit même pas dans les médias les plus acerbes à l’égard de notre voisin. Il est à craindre aujourd’hui, face aux crises que connaît l’Algérie et à la psychologie d’un président qui œuvre à démanteler l’Etat militaire qui est le sien, depuis son lit de mort, que les deux pays ne soient entraînés à plus que la guerre médiatique ouverte à laquelle nous assistons.

Puis, s’adressant à Mohamed Abdelaziz et aux Sahroauis qui le suivent encore, Mohammed VI a tenu en substance le propos suivant : Vous n’avez aucune chance de réussir votre séparatisme et des jours pénibles se dessinent devant vous dans vos camps ! Puis, Le roi a appuyé sur la plaie des Sahraouis : « Je tiens à poser aux habitants des camps de Tindouf cette question: Etes-vous satisfaits des conditions dramatiques dans lesquelles vous vivez ? Les mères acceptent-elles le désespoir et la frustration de leurs enfants qui buttent sur un horizon bouché ? ». Mohammed VI n’attend pas de réponse, puisqu’il en formule une lui-même : « Je récuse cette situation inhumaine qui vous est imposée. Mais si vous vous en accommodez, n’en faites le reproche qu’à vous-mêmes en voyant le Maroc assurer le développement de ses provinces du Sud et créer pour  leurs habitants les conditions d’une vie digne et libre ».

Mohammed VI s’adresse donc directement aux jeunes Sahraouis, mais sans leur ressasser encore l’histoire des liens d’allégeance qui unissent les tribus du Sahara et le trône alaouite… Non, il leur tient le discours qu’ils comprendront, avec des arguments qui leur parlent : un pays libre, un projet de développement intégré et plus de chances de réussite, avec davantage d’opportunités d’emplois et un plus grand ancrage à la terre.

Et voici le dernier message de ce discours de 20 minutes, un temps relativement long pour une adresse de Mohammed VI, qui fait généralement court. Ce message est adressé aux Sahraouis unionistes, auxquels il a encore certifié la rupture avec la rente et l’économie qui va avec, les privilèges et la corruption qu’ils induisent, la centralisation et la bureaucratie qu’elle implique. Et donc, après avoir annoncé un projet de développement inspiré par le Conseil économique, social et environnemental qui a mis à plat et à mal les programmes antérieurs, le roi a placé tout le monde face à ses responsabilités, et en premier le capital et les richesses du Sahara qui sont investies partout ailleurs qu’au Sahara, en second  l’administration qui a fait prospérer tant de rentiers, en troisième lieu les notables qui marchent, un pied au Maroc et un autre à l’étranger et, enfin, en dernier, les partis qui ont échoué à s’installer et s’implanter au Sahara, pour des raisons propres à chacun d’entre eux.

Dans le passé, les Marocains avaient un dicton qui voulait que « tout vient du Sahara, bon ou mauvais ». Aujourd’hui, la question, voire le défi, se décline de cette manière : Comment multiplier les bonnes choses et réduire les mauvaises dans un environnement régional qui pullule de tous les périls imaginables et inimaginables ?

Akhbar Alyoum