Les erreurs de Benkirane, par Noureddine Miftah
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- 03 novembre 2015 --
- Opinions
Où donc est passée la victoire du PJD aux élections ? Et où est l’éclat supposé de la dernière loi de finances du gouvernement de M. Abdelilah Benkirane ? Tout cela a disparu et s’est laissé escamoter dans la cascade des affaires successives où, quand l’une survient, la suivante n’est jamais bien loin…
Aujourd’hui, les politiques ne parlent que du fameux Fonds de développement rural et du litige qui a opposé à ce sujet le chef du gouvernement et son ministre de l’Agriculture Aziz Akhannouch. La question est de savoir si Benkirane était informé de l’introduction de cet article 30 dans le projet de loi de finances (PLF), qui confère au milliardaire du Souss la fonction d’ordonnateur de ce Fonds doté d’un budget de 55 milliards de DH sur 7 ans pour désenclaver et développer le monde rural.
A l’exception de ce qui a été diffusé par les médias marocains sur ce qui aurait été dit par Abdelilah Benkirane à Aziz Akhannouch en conseil de gouvernement, la seule version officielle disponible à ce jour tient dans la version du ministre de l’Agriculture. Celui-ci a clairement indiqué avoir informé Benkirane des tenants et aboutissants de ce Fonds ainsi que de ses attributions d’ordonnateur : et le propos a été soutenu par le ministre des finances Mohamed Boussaïd qui en est arrivé à estimer que le chef du gouvernement serait bien niais s’il n’avait pas pris connaissances des détails d’un article de cette importance dans le PLF.
Le plus étrange dans cette affaire est que, contrairement à son habitude, Abdelilah Benkirane a choisi de se taire. Lors de la rencontre qui l’a réunie avec son groupe parlementaire et aussi sa majorité gouvernementale, il avait eu l’occasion d’envoyer ses messages habituels, mais non… il s’est contenté de ses boutades et allusions, puis a été ailleurs soliloquer sur « la maîtresse » et l’épouse… Le chef du gouvernement est apparu aussi pacifique que soumis aux yeux de sa majorité alors que les observateurs et commentateurs l’avaient attendu plus combattif et espéré plus mordant.
Alors la question est : Abdelilah Benkirane a-t-il été réellement leurré ? Et pourquoi ?
Il est difficile de répondre à cette question alors même que le principal concerné a opté pour le silence. Il est également difficile de se fonder sur le fait que le chef du gouvernement n’a pas examiné l’ensemble du PLF car cela serait une accusation portée contre les deux ministres. Mais, au final, on peut dire que même si ce vacarme était fondé, Abdelilah Benkirane endosse une plus grande part de responsabilité que les ministres des finances et de l’agriculture car lui, chef du gouvernement issu de la volonté populaire, il lui appartient d’être vigilant parce qu’il ne s’agit pas ici d’un article obscur pour le projet secondaire d’une loi improbable, mais d’un domaine vital doté d’une enveloppe de plusieurs dizaines de milliards de DH, 55 pour être précis.
Pour résumer sur un ton badin, on peut affirmer que glisser un cachet soporifique dans le jus de fruits de quelqu’un est quelque chose que l’on peut à la rigueur concevoir, mais planter un bâton dans le verre de ce même quelqu’un, sans qu’il ne s’en aperçoive, est plus dur à… avaler !
Conséquence ? La classe politique est plus malmenée, surtout après un processus électoral où les résultats directs du suffrage universel avaient donné le sentiment que les électeurs s’étaient exprimés et avaient sanctionné les manipulateurs, avant de prendre conscience que ces derniers, sortis par la grande porte étaient revenus par les petits
trous… Pourquoi donc ce qui s’est produit s’est-il produit ?
Là, il nous faut sortir des réalités qui nécessitent la rigueur objective pour nous engouffrer dans les incertitudes des commentaires, et nous développerons des scénarios que nous entrevoyons, dans la limite du surréalisme.
Depuis que les courants, mouvements et partis islamistes ont vu leur étoile pâlir après être montée au firmament du printemps arabe, il aurait été logique que le PJD suive la même tendance au Maroc. Et même si le gouvernement islamiste n’est pas tombé après avoir perdu sa majorité parlementaire suite à la défection de l’Istiqlal et son basculement dans l’opposition, le parti de Benkirane devait en principe perdre une partie importante de sa popularité sous les coups de boutoir répétés de ses adversaires (Ilyas el Omari + Chabat + Lachgar) et aussi du fait des décisions impopulaires qu’il devait prendre et dont le citoyen devait payer le prix (Caisse de compensation, réforme des retraites, refus de l’augmentation des salaires), sans oublier toutes ces affaires sociétales, vraies ou non avérées, qui représentaient un certain embarras pour les islamistes, que l’on a si souvent considérés comme réactionnaires ou radicaux, face à une classe moyenne plus moderne et inscrite dans son temps.
C’est à l’aune de cela que les résultats des élections communales et régionales ont constitué une grande surprise… en effet, non seulement les islamistes n’ont pas été sortis, mais ils ont engrangé des performances absolument contraires à ce qui était prévu, voire à ce qui avait été programmé de la part des adversaires politiques de Benkirane.
Et c’est pour cela qu’un processus particulier avait été enclenché dès le premier soir de ces résultats. Nous avons alors assisté à ces farces des alliances dans les villes et dans les régions puis, encore plus scandaleusement, dans la désignation des membres de la Chambre des conseillers. Disons-le… Ce qui s’est passé après le 4 septembre est bien plus important et grave que l’histoire du malheureux Fonds de développement rural, car des partis comptés dans la majorité gouvernementale se sont résolument rangés aux côtés du PAM, montrant, voire reléguant le gouvernement à un simple appareil de gestion des affaires courantes, attendant le scrutin législatif de 2016.
L’affaire du Fonds de développement rural entre dans le cadre de la sensibilité qu’il y aurait à voir le PJD investir les campagnes. Mais était-il vraiment nécessaire de recourir à toute cette « comédie » ? Je ne le pense pas. En effet, dans le cadre d’action qu’il s’est fixé et même dans toutes les grandes concessions faites par lui quant à ses attributions constitutionnelles, Benkirane aurait-il vraiment refusé la demande de confier la gestion de ce Fonds au ministère d’Akhannouch ? Je ne le pense pas non plus.
Mais bon, disons que les choses ne sont pas aussi graves qu’elles le peuvent paraître… Le litige du ministre avec son chef du gouvernement semble bien peu important, presqu’un détail, par rapport aux enjeux qui se posent et aux défis qui s’imposent, car le parlement pourra s’il le désire restaurer la gestion du Fonds à la présidence du gouvernement en amendant le PLF. Et s’il ne le fait, parce qu’il ne le peut pas, alors les élections à venir remettront encore une fois les pendules à l’heure, et ce seront au final les Marocains qui auront le dernier mot non seulement pour un Fonds qui n’est aujourd’hui doté que d’une partie des 55 milliards de DH, à savoir « seulement » 1,3 milliard, mais aussi et surtout pour l’orientation réformatrice au Maroc.
Et c’est là le grands fonds dont la valeur est inestimable.
Al Ayyam