Le racisme et l’équité, l’hypocrisie et le courage…, par Sanaa Elaji

Le racisme et l’équité, l’hypocrisie et le courage…, par Sanaa Elaji

Je voudrais m’atteler cette semaine à deux sujets en apparence fort éloignés l’un de l’autre mais qui, en réalité, ont un point commun qui les rapproche. Ce point commun consiste en le fait qu’il existe des individus ou des groupes de personnes qui défendent certaines valeurs mais qui, dans leurs comportements habituels, quotidiens ou saisonniers, montrent qu’en vérité ils ne croient pas vraiment en ces valeurs.

Défendre des valeurs d’humanité et de justice signifie en effet qu’on prolonge cela aussi dans la pratique, dans les agissements et les comportements usuels, réels… mais cela n’empêche pas que nous avons besoin de lois et de règlements qui nous encadrent et garantissent ces droits, si jamais il advient que les slogans prennent le dessus sur la pratique… car, en effet, certains d’entre nous n’appliquent pas ce qu’ils disent penser.

Prenons deux exemples pour mieux illustrer le propos…

Le premier concerne la manifestation de solidarité avec le peuple palestinien, organisée voici une dizaine de jours, le dernier dimanche d’octobre. Cette marche nous a stupéfaits, heurtés, choqués… elle nous a plongés dans une étrange douleur et dans une encore plus grande incompréhension. Ce qui s’est en effet produit ce dimanche-là doit faire monter le rouge au front des organisateurs de même qu’il doit nous avertir des dangers qui guettent…

Durant cette marche, nous avons eu droit à la mise en scène d’un crime de meurtre (et disons-le, elle était déplacée car l’endroit idéal pour une mise en scène est… une scène, et même une scène de rue a des règles et il n’est pas bien convenable de l’organiser durant une manifestation de soutien à une cause quelconque). Je reprends ici l’idée d’un confrère qui a dit avec justesse que la mise en scène d’un assassinat est une forme de complicité, voire une participation, à cet acte.

Et c’est ainsi que pendant que les gens manifestaient leur soutien à la Palestine, des jeunes ont porté des keffiehs qui leur enveloppaient le visage, puis ont brandi des reproductions d’armes qu’ils ont placées sur la nuque d’autres personnes qui avaient revêtu les habits de rabbins. Défendre les droits des Palestiniens passerait-il donc par le meurtre ??!!... car oui, Messieurs, c’est là le seul message que nous percevons quand nous regardons les images de cette mise en scène aussi morbide que sordide.

Marcher pour soutenir les droits de la Palestine est une initiative que chacun ne peut que saluer car la cause de ce peuple qui endure et subit les pires avanies de l’occupant israélien est juste, de l’avis même des organisations internationales. Mais on ne peut défendre les droits d’une communauté en piétinant ceux d’une autre, dont les membres ne sont pas concernés par les humiliations et affronts causés à la première.

Il est impossible de défendre des droits légitimes en faisant l’apologie du crime et en faisant dans la confusion des idées. Si nous voulons porter haut les valeurs de droits humains et de justice sociale, entre autres causes justes, nous ne pouvons ni ne devons confondre les Juifs, Israël et le sionisme.

Pourquoi ? Parce que nous avons des compatriotes de confession juive, contre lesquels on ne doit pas envenimer les esprits ni alimenter la haine car ils appartiennent à notre Maroc exactement au même titre que tous les


autres Marocains. Que les Juifs marocains soient une minorité ne réduit en rien leur marocanité. Et puis, de par le vaste monde, il existe des milliers de juifs qui rejettent et condamnent les violations des droits régulièrement perpétrées par Israël contre les Palestiniens, un grand nombre de ces juifs affichant même leur solidarité avec la Palestine.

Si nous acceptons la confusion entre juifs et sionistes, alors nous devrons également accepter que les Occidentaux fassent l’amalgame entre l’islam et le terrorisme, entre l’islam et le fondamentalisme religieux. Considérer chaque Juif comme responsable de ce qui se passe en Palestine n’est pas très différent de cette pensée en vogue chez de nombreux Occidentaux, selon lesquels tout musulman est un terroriste.

Il faut donc prendre garde à ce que nous faisons…

Le second exemple a trait à la lettre de M. Abderrahim Chikhi, président du Mouvement Unicité et Réforme, l’aile de prédication du PJD. J’avais précisé la semaine dernière que cette lettre exprimait une volonté de débat serein ; et c’est vrai. Je voudrais revenir sur un point qui avait attiré mon attention dans cet écrit… A la fin de la lettre, M. Chikhi avait appelé les militants des droits à partager équitablement leur héritage avec leurs sœurs, en leur lançant : « Je vous attends donc, intrépides Messieurs ».

Or, nous savons bien que dans nombre de familles marocaines qui comptent parmi leurs membres des défenseurs des droits, ou d’autres, plus conservatrices et pieuses, la succession se fait ou s’est faite en dehors des prescriptions coraniques, en protection des intérêts des membres féminins de ces familles, et aussi au nom de la justice. Chacun de nous connaît plusieurs familles entrant dans cette catégorie.

Et puis, nous avons également des individus qui militent à longueur de journées pour les droits mais qui ne respectent pas l’égalité des sexes en matière d’héritage, car dès lors qu’il s’agit d’intérêts matériels, ils sont nombreux à oublier les slogans qu’ils brandissent … je dis slogans parce que quand nous sommes convaincus de nos principes, nous devons les respecter en toutes circonstances.

Il existe aussi des gens pieux, ou qui prétendent l’être, et qui n’hésitent pas à spolier leurs proches au nom d’une lecture particulière de la religion, qui sert leurs intérêts.

Et donc, que l’on soit en présence de gens attachés à la religion ou d’autres, défenseurs des droits, on aura toujours ceux qui font honneur à leurs engagements dans le respect de la justice et de l’équité et d’autres qui dressent un mur entre leurs convictions réelles et les idées qu’ils affichent, et qu’ils affichent pour servir en réalité certains intérêts.

Dans le domaine de l’héritage ou dans celui des travailleuses à domicile, entre autres thèmes de société, nous ne pouvons nous contenter des bonnes intentions de certains individus ; non, il nous faut adopter des lois qui protègent l’ensemble des citoyens et leur assurent l’égalité et l’équité.

En conséquence,  il ne suffit pas qu’il y ait au sein du CNDH des gens courageux… l’équité nécessite des textes de lois qui la garantissent en dehors des initiatives et des attitudes courageuses des individus. Quant à nos valeurs de justice et d’égalité, nous devons les appliquer sur le terrain afin de nous montrer à nous-mêmes et de montrer aux autres le degré de notre attachement à ce que nous disons être.

Al Ahdath al Maghribiya