Aux femmes du PJD, sur l'héritage, par Salah Elouadie

Aux femmes du PJD, sur l'héritage, par Salah Elouadie

A mes amies les honorables femmes du PJD,

J’ai côtoyé et travaillé avec plusieurs d’entre vous dans maints domaines et à plusieurs reprises, et j’ai gardé avec vous, sans exception, d’excellentes relations empreintes de respect et de considération. C’est aujourd’hui avec le même sentiment que je m’adresse à vous, et également à Mme Samira Bouhamdane dont l’interprétation et la position sur la question de l’héritage dénotent d’un admirable courage qui lui fait particulièrement honneur. Je forme le vœu de trouver encore plus d’occasions d’écoute mutuelle, afin de nous permettre d’atteindre une meilleure compréhension du sujet, ne serait-ce qu’en partie.

Le débat a donc encore été ouvert sur cette question de succession, et j’ai plaisir à m’adresser à vous, animé par la conviction que les consciences vives existent bel et bien en tous temps et en tous lieux, sans exception aucune.

Aujourd’hui, nous entendons des arguments et des réflexions, dont certaines prêtent à rire et d’autres à pleurer.

Aujourd’hui, nous voyons et entendons certains monter aux créneaux pour nous indiquer que cette pauvre société marocaine est conservatrice et qu’il ne faut point la heurter et encore moins l’offusquer…

D’autres s’en prennent au Conseil national des droits de l’Homme, lui contestant le droit de s’atteler à cette question de l’héritage, qui ne serait donc ni de sa responsabilité ni ne relèverait de ses attributions. Ces gens, qui partagent la même citoyenneté que les membres du CNDH, les tiennent pourtant pour des « marionnettes » alors même qu’ils n’ont d’autres différends avec eux que de ne pas épouser leurs vues ni de se retrouver dans leurs interprétations. Je rends grâce à Dieu de nous avoir prémuni de nous retrouver avec des bases « daechiennes » sous nos cieux, auquel cas ces membres du CNDH auraient été crucifiés et cloués au pilori.

Nous avons vu comment des individus ont déversé tout leur fiel et leur haine sur le président du CNDH qu’ils accusent d’avoir mangé du lion puis d’avoir pris des positions dites arrogantes parce qu’elles ne leur siéent guère… alors même qu’ils auraient préféré le voir ramper, soumis et prostré, comme tous ceux-là qui rédigeaient des dithyrambes et battaient leurs coulpes, pour finir par défendre malgré elle et à son insu la commanderie des croyants, dans des démarches tout à fait hypocrites, loin d’être animés par la conviction que cette institution est la protectrice d’une « question dont nul ne doit approcher »…

Certaines de ces gens, montées sur leurs ergots et bombant le torse, viennent nous dire que le sujet est clos depuis longtemps et pour toujours, car il a fait l’objet de toutes les études et d’encore plus de réflexions… laissant penser que ces mêmes gens ont reçu des instructions pour défendre Dieu, alors même qu’elles ne protègent que leurs intérêts et ne privilégient que leurs personnes.

Plusieurs de ces gens qui rejettent toute réflexion à ce sujet, qui glapissent aujourd’hui sont d’inconditionnels amateurs de la dive bouteille, ou des consommateurs invétérés de la viande de porc, ou encore des Casanova multiples et inavoués, disposés à payer et percevoir des intérêts bancaires -bien que nous convenions que tout cela relève de leurs libertés individuelles qu’ils ont toute la latitude d’exercer - … mais dès lors que nous nous attelons à la question de l’héritage, ces mêmes honorables se drapent de toute la vertu religieuse, s’accrochent à la lettre du texte et s’attachent à sa moindre virgule, dans une attitude risiblement dogmatique…

Si tous ceux-là étaient des politiques obnubilés par les dates des échéances électorales imminentes ou à venir, nous aurions aisément compris leurs contorsions morales et leurs circonvolutions verbales, mais la réalité consternante et que nous trouvons parmi eux, prêchi-prêcha,   le journaliste, le chroniqueur, le penseur et l’intellectuel, et que sais-je encore…

On trouve ainsi parmi eux des individus qui ont un avis sur tout sauf lorsqu’il s’agit du droit des femmes, qui semblent être seules concernées par le caractère explicite et irréfutable du texte… Je ne discute ni ne dispute les opinions de ces faqihs qui se sont emparés des textes religieux et en ont fait leurs propriété exclusive, comme si ces textes leur avaient été révélés en leur autoproclamée position de tuteurs devant Dieu de nos pensées et de nos esprits...

Non… je récuse les attitudes de ceux qui revendiquent un ancrage dans la « modernité », dans l’interprétation positive et dans l’attachement à l’esprit du siècle et à la pensée contemporaine !

Comment osez-vous donc rejeter la révision des conditions de succession au regard des régulières évolutions sociales…

… alors que dans le même temps vous acceptez que les femmes supportent tant de fardeaux, moraux et physiques, en faveur de leurs hommes et de leurs enfants, dans les montagnes et


les régions reculées, ainsi que nous le pouvons voir sur tant de photos et de reportages ?...

… alors que vous acceptez que des jeunes filles, souvent des fillettes, travaillent sous nos yeux dans des conditions qui évoquent terriblement les temps de l’esclavage ?

… alors que vous vous accommodez de voir toutes ces femmes se lever aux aurores pour s’en aller s’épuiser de travail dans les usines, les fermes et les maisons, devançant les hommes dans les bus et autres moyens de transport dès avant même le lever du soleil, mais la conscience intacte et la volonté ferme ?

… alors que vous acceptez que les femmes ajoutent à leurs activités économiques rémunérées les charges des tâches ménagères en cuisine, en buanderie ou ailleurs, sans ciller ni piper mot… et que dans le même temps, si vous avez l’heur d’ouvrir l’œil en passant près d’un café, vous y remarqueriez une clientèle presqu’exclusivement masculine, se prélassant et se détendant devant une boisson chaude tiédissant ?...

Comment accepter que les hommes préfèrent épouser les femmes qui disposent d’un emploi et d’un salaire, et que certains de ces hommes poussent leur « virilité » jusqu’à exiger que les salaires de leurs épouses soient mis à leur disposition à eux, les « hommes » ?

De quelle manière pouvez-vous regarder et aviser les enfants des hommes défunts qui n’auront pas laissé de progénitures mâles et dont les filles et les veuves se trouvent brutalement exposées à la férocité et à la rapacité d’oncles venus de nulle part, et qui ne connaissent de « l’islam » que l’héritage et rien d’autre que l’héritage ?

Et pour quelle raison acceptez-vous donc parmi vous des femmes responsables, ministres, députées, fonctionnaires, dirigeantes d’entreprises, professeures…

Et puisque vous prenez sur vous des responsabilités sociales qui incombent aux hommes au nom de leurs familles, n’estimez-vous pas (cet avis est personnel) que le trop-plein de charges, celles de l’éducation des enfants et des tâches ménagères, devrait être pris en compte dans la comptabilité nationale fiscale chaque fin d’année ?

Il en est assez ! Assez de ce silence assourdissant sur cette façon de ne considérer la masculinité qu’à l’aune d’attributs physiologiques virils… car grande, immense, sidérale est la différence entre l’attribut d’un homme et la qualité d’homme !

Voilà donc dans le monde d’aujourd’hui, dans le monde qui est le nôtre, toutes ces femmes qui lèvent la tête : des chefs d’Etat et de gouvernement, des ministres et des intellectuelles, des savantes et des sportives qui sont en situation de prendre des décisions qui vous concernent, devant lesquelles vous vous inclinez et que vous reconnaissez comme dirigeantes… Mais quand il s’agit de femmes humbles et modestes de votre pays, vous vous dressez et vous vous réclamez de votre loyauté à la religion, alors que vous n’êtes loyaux qu’à vos personnes et à vos intérêts, à vos égoïsmes et à vos narcissismes… vous brandissez les textes et les sacralités sans prendre garde à leurs visages et à leurs personnes écrasées par votre mépris, quand elles sont envoyées, toutes jeunes encore, aux domiciles conjugaux et aux lits nuptiaux sur lesquels sont conçus des enfants avant que leurs pères, ces maris indignes, ne s’en aillent sous d’autres cieux les abandonnant à leurs tristes sorts, marginalisées, précarisées, écrasées… et puis, pris par un remords subit et mus par une charité soudaine, vous créez à leur intention des Fonds de solidarité pour divorcées et pour veuves, ce qui vous donne l’illusion de la bonté et de l’humanité, appuyées par vos larmes de crocodiles… Voilà donc comment se décline cette masculinité autoproclamée !

Nous en sommes donc à cela… face aux contradictions, à la lâcheté et aux hésitations de nos politiques, de nos faqihs, de nos journalistes et de nos écrivains… Face à ces situations de misère physique des unes et morale des autres, pouvons-nous donc encore nous résoudre à observer notre silence, qui se transforme et devient complicité ?

On ne peut éviter le débat aujourd’hui, et c’est pour cela que je m’adresse à vous. Nul ne peut ni ne doit aujourd’hui, quel qu’il soit, nous soumettre ainsi sans que nous ne réagissions, nous autres qui sommes les maîtres et les maitresses de nos destins et de nos existences.

Mais on pourrait me rétorquer : pourquoi ne commencez-vous pas par vous-même, cher Monsieur ? Et je réponds : L’affaire et réglée depuis longtemps déjà au sein de notre famille, grande et petite ! Dans notre famille, aucun homme ne possède plus que ce que ne détient une femme car tous les hommes ont compris que les femmes nous surclassent en sacrifices et en efforts et, plus que cela, si nous étions encore plus équitables, nous ne demanderions pas plus de la moitié de ce qui revient aux femmes…