Il est temps que Maâti Monjib reprenne son alimentation et que l’Etat reprenne ses esprits, par Aziz Boucetta
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- 28 octobre 2015 --
- Opinions
L’affaire Maâti Monjib n’a que trop duré. Entre information et désinformation, un homme est à son 22ème jour de grève de la faim, et risque de mourir, et avec lui les grandes (et réelles) avancées accomplies par le Maroc en matière de respect des droits humains. Quoiqu’ait fait Monjib, l’opinion publique bascule en sa faveur car elle est ainsi faite, ici et ailleurs, qu’elle prend fait et cause pour les individus contre les Etats. Et dans ce bras de fer parfaitement inutile et dangereux, l’Etat s’est énervé et l’individu s’est révolté, d’où impasse.
Je ne sais pas ce qui prend à l’Etat marocain, car c’est de lui qu’il s’agit. Profond ou pas, c’est l’Etat qui interdit à Monjib de quitter le territoire. C’est l’Etat qui le poursuit, devant la troupe d’élite qu’est la BNPJ, pour un délit financier qui, pour important qu’il soit, reste une affaire mineure qui ne nécessite pas une telle mesure d’interdiction ni la mobilisation de cette BNPJ. C’est la justice, partie de l’Etat et un des trois grands pouvoirs constitutionnels, qui tarde à le juger, lambine et tergiverse… et ce n’est au final pas seulement l’Etat qui paiera le prix de tout cela si cet homme meurt, mais l’ensemble des Marocains.
Si Maâti Monjib a commis un délit financier, cela est passible d’un tribunal de commerce. Et si, comme le suppose la thèse officielle, il ne répond pas aux convocations, alors il faut l’arrêter si le délit est grave, ou le juger rapidement si l’affaire est mineure… et s’il quitte le territoire pour ne plus y revenir, le Maroc est membre d’Interpol… Mais que le droit, les droits et l’Etat de droit soient respectés !
Certains médias y ont été de leurs tirs au mortier habituels, affirmant des « vérités » sur Monjib. Ils sont peu crédibles et, disons-le, ne font pas honneur à la profession. Et même s’ils disaient vrais, alors la justice serait aussi coupable que Monjib pour ne pas l’avoir embastillé pour des motifs convaincants, ne pas l’avoir jugé dans des procès convaincants et ne pas l’avoir condamné à une peine convaincante.
Mais ils semblent ne pas dire vrai, ces médias… car alors, un personnage comme Abderrahmane el Youssoufi, l’ancien premier ministre qui a attesté de l’intégrité de Monjib,
serait dans l’erreur… Mohamed Bensaïd Aït Idder, l’ancien chef de l’Armée de libération nationale, ne saurait plus ce qu’il dit… Mhamed Boucetta, l’ancien secrétaire général de l’Istiqlal, dirait n’importe quoi… Ismaïl Alaoui, ancien secrétaire général du PPS, Saâdeddine Elotmani, actuel n°2 du PJD au pouvoir et Nabila Mounib, SG du PSU, seraient des enfants de chœur. Tous ces personnages l’ont en effet soutenu, ont témoigné de son honnêteté et l’ont exhorté à mettre fin à sa grève de la faim avant que le point de non-retour ne soit atteint… sous réserve que l’Etat cesse de jouer à son tour avec le feu. Qui fera le premier pas ? C’est sans aucun doute à l’Etat de montrer sa bonne foi, car il n’y a aucune concession à attendre d’un homme qui accepte de mettre sa vie en danger pour ses idées.
Maintenant, quelle est la situation des droits de l’Homme dans ce pays ? En bonne voie de crédibilité, le chemin parcouru depuis quelques années étant plus qu’acceptable et louable. Mais cela, nous sommes seuls à le savoir ! La communauté internationale, elle, observe le cas Monjib, a suivi celui d’Ali Lamrabet (empêché d’avoir son certificat de résidence qui lui aurait permis de créer son journal), note l’embastillement de Hicham Mansouri (journaliste d’investigation) pour la laborieuse accusation d’adultère, et se souvient des poursuites (saugrenues) pour terrorisme engagées contre Ali Anouzla, enfermé un mois et demi en 2013 dans un acte d’énervement inexpliqué…
Il faut que l’Etat marocain saisisse que les droits de l’Homme, ce n’est pas (plus) seulement de cesser d’arracher les ongles, c’est aussi et surtout de laisser les hommes s’exprimer. Il faut aussi que cet Etat comprenne qu’en les laissant dire et contredire, il serait le premier à y gagner car il aurait ainsi des contre-pouvoirs et saurait qu’il a des limites. Il faut enfin que cet Etat comprenne qu’il a tellement vendu la thèse de l’Etat de droit au monde que le monde l’observe plus que tout autre.
Dans l’intervalle, c’est à des gens très peu recommandables comme Zakaria Moumni ou désormais peu crédibles comme l’ex-capitaine Mustapha Adib que l’on donne crédit, et qui pourront aller se pavaner sur les plateaux télés étrangers et ailleurs, criant qu’il n’y a, finalement, aucune liberté au Maroc. Et c’est regrettable que l’emportement prenne ainsi le pas sur l’entendement.