Pour que ce cauchemar prenne fin..., par Sanaa Elaji

Pour que ce cauchemar prenne fin..., par Sanaa Elaji

Il arrive qu’un matin, vous vous réveillez… vous ouvrez quelques pages sur internet… puis vous vous mettez à penser que vous n’êtes, en réalité, pas vraiment réveillé, que votre journée n’a pas encore commencé et que vous êtes tout simplement en train de cauchemarder… Que vous allez bientôt vous lever, que la main douce de votre mère vous caressera incessamment pour vous dire que le petit-déjeuner est servi… ou que le réveil retentira pour vous arracher aux bras de Morphée…

Mais de main caressante, point, pas plus que de réveil qui sonne… Vous ne sentez aucune odeur de pain grillé ou d’arôme de café qui chauffe. Eh oui, vos yeux sont bien ouverts, grands ouverts, et votre cauchemar est en fait une réalité que vous refusez… Vous plongez dans une amertume matinale, sentant et ressentant que quelque chose ne tourne pas rond, que rien ne va comme on le voudrait, que l’absurde triomphe encore et toujours, que la bêtise est encore et toujours parmi nous, que l’injustice règne en maîtresse absolue. Bien malheureusement…

Et tout cela se produit en quelques heures à peine d‘intervalle. L’espoir s’en va, vous essayez de le retenir, mais vous n’y réussissez pas. Il fuit, il s’enfuit…

C’est tout cela qui m’est arrivé ces derniers jours, pressée par les informations qui pleuvent de toutes parts, dont j’ai retenu deux, absolument dérangeantes, tant dans la forme que dans le fonds.

Et donc, voici quelques jours, à Rabat, une poignée de jeunes est sortie manifester contre l’organisation de la saison du pèlerinage par les Saoudiens. Des centaines de personnes sont mortes et des centaines d’autres blessées, comme l’ont écrit plusieurs chroniqueurs, et moi à mon tour sur les journaux ou sur internet et les réseaux sociaux… Ces jeunes, donc, sont sortis dans la rue pour exprimer leur mécontentement, mais ils ont été brutalisés par les forces de l’ordre, sans raison convaincante connue. Et comme nous sommes au 21ème siècle, la scène de violence a été immortalisée, par l’image et par le son… montrant la face hideuse de toute cette abjection dont nous sommes capables.

Alors nous nous interrogeons : est-ce cela le Maroc que nous louons, dont nous rêvons et sur lequel nous écrivons ? Des éléments de la police de différents niveaux et grades ont décidé de ne rien respecter du tout, ni la loi ni les accords internationaux, et encore moins les formes civilisées de gestion des différences et des différends… ces officiers ont pris sur eux de fouler aux pieds, devant les caméras, la constitution, le droit et les droits de l’Homme.

Ils nous ont, à tous, envoyé ce message très clair : « Dégagez, et allez jouer ailleurs… nous, on est bien au-dessus de vous, de la loi, de la constitution, des textes et documents internationaux, des droits de l’Homme !


Dégagez ! ».

A supposer que ces jeunes aient enfreint une loi quelconque, dans la forme, dans le fonds et même dans le lieu et/ou la nature de leur manifestation, il eût fallu alors appliquer la loi. Elle existe. Mais donner des coups de pieds et insulter les gens comme des charretiers, cela nous rappelle un Maroc révolu que nous pensions avoir définitivement laissé derrière nous. « Que nous pensions », oui… et c’est là le cauchemar, c’est là que ça fait mal…

Dans le même temps, ou presque, d’autres Marocains sont sortis, pour une autre manifestation, mais contre l’ambassade de Suède cette fois. Ils défendaient la marocanité du Sahara. L’écrasante majorité de nos compatriotes, dont moi, croyons à cette marocanité et la soutenons. Mais que des citoyens crédules viennent devant les caméras attester la main sur le cœur leur foi dans l’intégrité territoriale de leur pays, et qu’ils ajoutent que ce sont les autorités qui les ont amenée sur les lieux, précisant que ces autorités sont « le caïd, le moqaddem, la police, la préfecture »… voilà qui est une farce, une plaisanterie de mauvais goût, qui fait honte au pays, à nous, à tous… et voilà qui n’est pas acceptable, qui n’est plus admissible.

Et donc, alors que nous suivions cette information, nous avons senti que bien peu de choses nous reliaient encore à un minimum de raison… Nous avons ressenti un haut-le-cœur… nos estomacs se sont noués, tout notre corps s’est tendu, crispé, tordu…

Puis nous avons compris que le cauchemar était bien une réalité, que les deux événements se sont bien produits, que ces comportements étaient bien vrais. Malheureusement encore une fois.

Alors je le dis, haut et fort… De la même manière que je refuse que l’on remette en cause la sincérité et le nationalisme des jeunes qui ont manifesté en mémoire des victimes de la bousculade de Mina, je me dresse contre tous ceux qui doutent de la bonne foi et de l’engagement de ceux qui ont manifesté devant l’ambassade de Suède… Cette mobilisation abêtissante et cette exploitation indécente de la naïveté des gens et de leur amour pour leur pays, je suppose qu’elles appartiennent à une ère révolue.

« Je suppose »… oui, c’est là que ça fait mal.

Des nouvelles circulent depuis quelques jours sur des poursuites engagées contre les policiers qui ont brutalisé la foule… L’initiative est heureuse et je souhaite que ces éléments des forces de l’ordre soient sanctionnés pour que nous sentions que ce qui s’est produit est une faute, dont les responsables paieront le prix… et que le rêve est encore possible.

Et pour nous réveiller de ce cauchemar… pour ressentir cette caresse de la main maternelle… pour que nous puissions encore penser que le rêve est encore à venir, est encore devant nous, qu’il est toujours possible et que l’ambition de nous voir mieux et meilleure est là aussi.

Al Ahdath al Maghribiya