Pour les beaux yeux de Messi et de Neymar, par Ahmed Amchakah
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- 05 octobre 2015 --
- Opinions
Les élections régionales dans la Catalogne espagnole ont remis sur la table la question de l’indépendance de cette province du royaume d’Espagne, après que les électeurs eurent accordé 72 sièges aux indépendantistes dans le parlement catalan, sur 135 au total, en septembre dernier. Cela signifie que les tenants de l’indépendance de cette province, rejetée pour inconstitutionnalité par Madrid, retrouveront toute leur vigueur.
L’année dernière, en effet, les sécessionnistes avaient œuvré à organiser un référendum pour se séparer de l’Espagne mais le gouvernement Rajoy s’était violemment opposé à l’entreprise.
Les Espagnols s’étaient alors élevés contre le projet, et continueront de le faire, non seulement parce que la Catalogne est la province la plus riche du royaume et qu’elle réalise un PIB de 200 milliards d’euros, mais aussi parce qu’elle abrite un club de football appelé FC Barcelone.
Commentant la volonté d’indépendance, le président de la Liga espagnole avait affirmé que cela ne devait pas être car sans ce club, le championnat espagnol n’aurait plus aucune valeur ni saveur, mais aussi parce que le fameux derby opposant le Barça au Real Madrid est un phénomène social en Espagne et qu’il est très important de préserver cette institution. Aussi, pour cela, la première des choses à faire est d’aller crier partout « non à l’indépendance de la Catalogne ».
Il semblerait que ce cri du cœur, cet appel à la raison du premier responsable du foot espagnol avait trouvé un écho auprès de plusieurs hommes politiques qui ne se faisaient pas à l’idée ni ne comprenaient ou admettaient que le foot pouvait corriger des errements politiques. En effet, un grand débat était né en Catalogne sur les gains et les pertes de la province dans le cas où elle ferait sécession du royaume. Et la plus grande perte était ce qui devait, et aller, arriver au Barça si la Catalogne sortait du giron de Madrid. Et que se produira-t-il dans ce cas ?
Le FC Barcelone en serait réduit à jouer avec des équipes fort modestes et, en conséquence, les stars planétaires qui défendent les couleurs catalanes quitteraient leur club, qui ne serait bien évidemment plus en mesure de dépenser les milliards d’euros pour des joueurs tels que l’Argentin Lionel Messi ou le Brésilien Neymar.
Quant au « clasico », il disparaîtrait des écrans radars car aucun club espagnol ne pourrait plus résister à la déferlante du Real Madrid. C’est pour cela qu’une rumeur court
actuellement et agite les milieux des spectateurs et fans du ballon rond et de l’ambiance dans les stades Bernabeu et Nou Camp, voulant que les chocs à venir entre Barça et Real seraient parmi les derniers de l’histoire du football espagnol.
Toute l’Espagne s’est donc dressée contre l’idée de l’indépendance de la Catalogne, non pour préserver le royaume d’une sécession qui le fragiliserait, mais pour les beaux yeux de Messi, de Neymar et de toutes ces stars qui déserteraient alors les stades espagnols tous les weekends, et même en semaine.
Et voilà donc le foot qui entre par la grande porte dans le domaine de la politique.
Dans les décennies passées, toutes les dictatures avaient instrumentalisé le football dans leur politique, que cela soit en Argentine, ou en Allemagne, en Italie et aussi en Espagne… au point que certains milieux gauchistes avaient affirmé que le football était devenu l’opium des peuples, retardant leurs soulèvements et bloquant leurs révolutions.
Parmi les leçons inculquées dans les grandes écoles sur la valeur ajoutée du sport en général et du football en particulier en politique et en économie, celle de Jean-Marie le Pen, de l’équipe nationale française et du Mondial 1998… En effet, avant que la France ne soit sacrée championne du monde, le leader raciste avait qualifié l’équipe nationale de sélection colorée. Une fois que le trophée avait été remporté par Zidane et ses compagnons « colorés » donc, la popularité de Le Pen avait brutalement chuté dans les sondages. Il y avait parmi le Onze français des gens comme Dessailly, Thuram, Zidane, ce dernier ayant même eu l’honneur de voir son portrait reproduit en lumière sur l’Arc de Triomphe, sur les Champs-Elysées, avant que tout ce monde ne soit reçu en héros au palais de l’Elysée.
Et aujourd’hui, voici venu le tour de la Catalogne où le football agit encore sur la politique et fait réfléchir les gens à deux fois avant de persister à demander l’indépendance de cette province. Les fans du Barça et de la Liga, en Espagne et même ailleurs, fulminent contre les indépendantistes, pour les beaux yeux et les belles passes de Messi, de Neymar et des autres.
Entre football et politique, les liens ne se sont jamais distendus. Le sport, et encore une fois le football, ont de tous temps été mis à contribution pour corriger les erreurs et errements politiques.
Al Massae