Ikea et Ike3ya*, par Aziz Boucetta

Ikea et Ike3ya*, par Aziz Boucetta

La nouvelle est tombée, brutale, quoique vaguement attendue, hier 28 septembre en fin de soirée. Le magasin Ikea n’ouvrira pas. La raison est officiellement administrative, mais officielement seulement car il y a beaucoup de non-dits dans cette affaire, et d’erreurs aussi. Disons-le encore, à toute fin utile… la Sahara est aussi marocain que les manœuvres du Polisario sont vaines, mais il le sera encore plus si on cesse la gesticulation incertaine, et la gestion de cette affaire suédoise l’est… Eléments d’explication.

Suède, Maroc et Polisario

Selon des informations qui se précisent, la Suède s’apprête à ouvrir ses bras, ses portes et ses institutions au Polisario, qui s’y présente sous l’aspect avantageux d’une République, bien qu’il n’en possède aucun des critères. Le royaume scandinave a bien reconnu l’Etat de Palestine, mais son rapprochement avec le Polisario est davantage dû à la conjoncture politique dans ce pays qu’à une posture diplomatique nationale constante. Et la Palestine n’est pas le Polisario.

Il n’empêche que les séparatistes sahraouis ont été à Stockholm, qu’ils y ont vu les dirigeants actuels, et qu’ils pensaient y vaincre le Maroc. Mais chez nous, force est de le reconnaître, on a agi avec une certaine légèreté après la victoire de l’opposition de gauche aux élections de septembre 2014, alors même que l’on connaît son inclinaison naturelle pour les mouvements de libération de par le vaste monde. Et, bien évidemment, le Polisario s’est engouffré dans la brèche, aboutissant à des rencontres au niveau parlementaire à Stockholm, appuyé par les alliés Verts et communistes de l’actuel Premier ministre, un syndicaliste attentif aux grandes envolées de type « autodétermination des peuples », « mouvements de libération », mais considéré comme le premier ministre le plus mal élu de l’histoire récente de son pays… En septembre dernier, ses députés ont pourtant déposé une proposition de loi en vue de la reconnaissance de la république sahraouie. Admirable mutisme côté marocain…

Au cours de l’automne 2014, le ministre des Affaires étrangères Salaheddine Mezouar, conscient du danger de rapprochement entre le gouvernement de Stockholm et les types de Tindouf, avait appelé les parlementaires à aller en Suède y rencontrer leurs pairs. Mais, chose inouïe, le même ministre n’a pas pensé dans l’intervalle à désigner un ambassadeur à Stockholm, et jusqu’à aujourd’hui encore. Pleurons !... Pourtant, la ministre déléguée aux affaires étrangères est Mme Mbarka Bouaïda, une dame bien au fait des choses puisque, elle-même sahraouie et ancienne présidente de la commission des Affaires étrangères au parlement, elle connaît l’activisme du Polisario.

Confusion marocaine

Il est important de faire un rappel, concernant le Sahara. L’affaire a de tous temps été gérée par le palais royal, avec ses hauts et ses bas ; mais depuis quelques années, le Maroc a connu deux coups de semonce, violents, en 2013 et en 2014, quand l’ONU, sur instigation d’elle-même, puis des Etats-Unis, avait décidé d’intégrer la question des droits de l’Homme à la mission de la Minurso. Deux appels royaux – et énervés – plus tard, les choses étaient réglées et Rabat s’est montré à la hauteur de ses engagements : amélioration sensible du respect des droits de l’Homme, puis élections régionales abouties dans le cadre de la « régionalisation avancée ». On verra bien ce que cela donnera à l’usage mais les choses avancent…

C’est au gouvernement que le bât blesse… pas d’ambassadeur en Suède, réunion en urgence du chef du gouvernement avec les chefs de partis, qui ont été fermement invités à jouer les missi dominici de la marocanité du Sahara et… interdiction farfelue d’Ikea, magasin relevant du groupe éponyme, mais dépendant d’une fondation de droit


néerlandais et ouvert dans le cadre de droits détenus par un conglomérat koweitien. La confusion est sensible, la nervosité est palpable, et les raisons invoquées sont malheureuses.

La grande ike3ya du blocage d’Ikea

Un internaute s’est sérieusement demandé si Benkirane était commissionné pour faire la réclame de l’enseigne… En effet, le gouvernement a laissé fuiter l’info de l’interdiction, puis s’est précipité dans les abris, laissant tout le monde répéter un nom que presque personne ne connaissait avant... puis, la nuit venue, on apprend qu’un communiqué va tomber, donnant toutes les explications requises. Et quel communiqué !!

« Ikea ne dispose pas du certificat de conformité », lit-on dans la prose du ministère de l’Intérieur, elle-même tirée de celle de la wilaya de Casablanca. De deux choses l’une : où ce fameux certificat requiert de menus aménagements, auquel cas les choses sont récupérables ou, à l’inverse, les infractions sont importantes et alors on pourra s’interroger sur l’absence des services de contrôle pendant la construction. C’était quand même 1.400 personnes qui s’activaient sur le site…

Et maintenant ?

« On ne nous dit pas tout », disait une humoriste française… Fort bien, mais alors que ce que l’on nous dit soit réaliste, au moins. La fable de l’interdiction par absence du certificat de conformité ne tient pas face à l’énormité du projet. Le coup d’énervement du gouvernement contre la Suède ne tient pas non plus car cela signifierait que Benkirane et les chefs de partis viennent de s’apercevoir d’une réalité politico-diplomatique suédoise qui existe pourtant depuis l’avènement de l’actuel gouvernement à Stockholm.

On ne lutte pas contre la position politique d’un pays en bloquant un investissement de 450 millions de DH prévoyant 400 emplois directs et 1.000 indirects, et conduit par une entreprise qui ne dépend même pas du pays en question. Et on n’envisage pas d’envoyer des émissaires dans une capitale où il n’y a même pas d’ambassadeur. Ce faisant, on montre sa nervosité et sa fébrilité.

Un problème diplomatique entre deux nations ne doit pas être traité au moyen de rétorsions économiques mais par des instruments diplomatiques … comme la convocation de l’ambassadeur de l’un ou le rappel du sien chez l’autre (quand il y en a du moins…), un déplacement du chef de la diplomatie si on souhaite faire les choses dans les règles et pas agiter ses petits bras dans des moulinets désordonnés, une demande d’implication de capitales amies des deux pays en litige (la France ou l’Espagne, par exemple, dans notre cas)…

La suite ?

Envoyer des partis politiques avec le personnel qui les caractérise et les haines qui les déchirent défendre une cause nationale, voilà qui est bien hasardeux. Quel propos tiendra Chabat aux Suédois, en dehors de ceux d’un corps de garde oustachi ? Que plaidera Me Lachgar, cet homme au physique difficile qui a si bien réussi à détruire son parti ? Que pourra bien argumenter Sajid, nouveau chef de l’UC et totalement étranger aux tractations diplomatiques internationales ? Qui, au RNI, pourrait remplacer le président Mezouar qui a « oublié » de désigner un ambassadeur à Stockholm ? Le PAM enverra-t-il son numéro 1, le taiseux Bakkoury, ou Ilyas el Omari, qui ne parle que l’arabe ? Et Laenser, pour le MP, pourra-t-il sérieusement convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit ? Attelage bien douteux et encore plus improbable que tout cela… Et tout cela, le gouvernement Benkirane devrait s’en préoccuper au lieu de bloquer des investissements qu’il a lui-même tout entrepris pour attirer.

Et si, dans l’intervalle, le palais continuait de gérer cette affaire ? Au moins en a-t-il la légitimité, la force, le personnel et l’expérience...

* Le mot, en arabe, désigne tout ausi bien une colère qu'une bourde