Morts tragiquement ou élus de Dieu ?, par Fatiha Daoudi
Quelle impression restera-t-elle ancrée dans la mémoire des familles qui viennent de perdre leurs parents lors de la bousculade de Minane ? Sont-ce les images de ces tas de cadavres offerts indécemment aux yeux de spectateurs du monde entier et que les médias internationaux ont diffusé en boucle ou est-ce l’idée que leurs chers disparus violemment sont des élus de Dieu parce qu’ils sont morts dans les lieux saints de l’Islam ?
Autre question : quelle est la raison de cette bousculade macabre ? A-t-elle été due à un manque de civisme où la musulmane et le musulman obnubilés par leur futur titre flambant neuf de haj et du grade de piété qu’il accorde au sein de la société font tout pour passer en premier, quitte à faire tomber le vieux , le handicapé et le malade ?
Si c’est le cas, comment en est-on arrivé à cette perception ostentatoire de l’Islam et à oublier son aspect comportemental (mouamalat) qui est un guide de civisme pour le musulman et qui fait du rapport au prochain une condition de la piété ?
Qui de nous, Marocains, pourrait oublier l’importance donnée aux relations de voisinage, il n’y a pas si longtemps de cela ? Le voisin était celui qui gardait un œil vigilant sur les enfants de tout le quartier, qui prêtait main forte aux malades et qui était activement présent lors des enterrements et des fêtes.
Qui pourrait ignorer l’importance de l’organisation de la vie en collectivité, de la protection de l’environnement et de leur détermination dans la désignation du bon musulman ? Des règles obligatoires géraient la gestion de l’eau à travers les qatarat. L’entrepôt des récoltes était à son tour règlementé comme par exemple dans les agadirs des régions du Sud.
Ce qui vient d’être dit ne nous éloigne pas de notre sujet mais rend aberrant le fait que le musulman en soit arrivé à passer sur le corps de son voisin pour être par la suite appelé haj ?
Comment l’Islam mouamalat est-il devenu l’Islam de la simple apparence ? Le comportement civique s’efface devant le port de la barbe, du voile et de la fréquentation ostentatoire de la mosquée, laissant dans la vie privée l’individu
libre de mentir, de voler et de faire du mal à autrui.
Quant aux règles de bienséance de la vie moderne en société, elles sont constamment violées : brûler un feu rouge et causer un accident ne semble pas embarrasser le musulman ostentatoire. Idem pour les saletés qu’il jette par terre dès qu’il a fini de consommer. De même, corrompre et être corrompu ne lui pose pas de problème.
Mais comment sommes-nous arrivés à ce culte de l’apparence alors que la qualité première du musulman était la discrétion (setra) ?
Cela serait-il dû à l’accroissement de la population et au manque d’éducation au sein de la famille ? Ou alors serait-ce en raison de la défaillance del’école à préserver notre Islam et à son remplacement par le culte de l’apparence où le raisonnement n’a pas de place ? Autant d’éléments qui ne sont pas sans rappeler le wahhabisme.
Parler du wahhabisme nous ramène à son fief, l’Arabie saoudite, et à la catastrophe de Minane. Les Saoudiens sont-ils eux-mêmes victimes de leur doctrine ? En effet, le culte de l’apparence et l’arrogance qui va avec empêchent toute organisation efficace du pèlerinage. Bien évidemment, ceci ne les dédouane aucunement de leur obligation de protéger le grand nombre de pèlerins qui viennent chaque année chez eux. Ils n’ont même pas pour eux l’excuse d’un manque d’expérience !
Car le nombre de catastrophes qui se produisent à chaque période de haj, les difficultés de logement et le manque d’hygiène, sont autant de preuves de l’exploitation à sens unique d’une position privilégiée et de l’économie engendrée par le haj, sans égard pour les pèlerins obligés de se débrouiller et se bousculer à leur guise.
Est-ce le comportement normal d’un pays qui se prétend musulman entre tous ? Question qui nous replace dans ce qui a été dit à propos du civisme et à l’Islam mouamalat.
Maintenant que la catastrophe s’est produite et que des centaines de pèlerins ont péri violemment, est-il encore décent de dire qu’ils sont les élus de Dieu parce que morts pendant leur pèlerinage ? Ne vient-il à l’esprit de personne qu’ils auraient peut-être préféré accomplir sereinement les rites du haj, rentrer chez eux et être les élus de Dieu le plus tard possible, dans leur lit, entourés des leurs ?