La fête a un goût de mort, par Taoufiq Bouachrine

La fête a un goût de mort, par Taoufiq Bouachrine

La joie est devenue tristesse, la fête a basculé en funérailles et les réjouissances de l’immolation du mouton sacrificiel se sont transformées en frayeur, en terreur et en larmes. Tous les regards du monde arabo-islamique étaient tournés vers les médias, attendant des nouvelles d’un frère, d’un père, d’un voisin, d’un ami… parti cette année en pèlerinage et qui pourrait ne jamais en revenir.

Aller au Haj est devenu synonyme d’un départ à la guerre… A mesure que le nombre des morts et des blessés s’élevait dans les Lieux Saints, les cœurs battaient encore plus vite, encore plus fort. Les Marocains ne formaient pas une exception, tous choqués et interpellés  par le trépas de près de 800 morts et par plus de 900 blessés dans cette gigantesque bousculade. Et à l’heure de l’écriture de ces lignes, le sort de dizaines de Marocains était encore incertain, dans l’impossibilité de les joindre.

Le monde arabe et musulman ne s’est pas encore remis de l’effondrement d’une grue à La Mecque qu’il se retrouve ébranlé une seconde fois par la mort de plus de 700 personnes et les blessures d’un millier d’autres à Mina, suite à une mauvaise gestion des flux humains dans la région de la ville sainte.

Les musulmans croient dans le destin et la providence, mais ils savent aussi que la mauvaise gestion des choses tue et que le chaos résultant d’une organisation approximative met en péril tant de vies humaines. De plus, l’absence de jugement et d’enquête incite à l’indifférence et à la négligence et encourage à prendre par-dessus la jambe la vie et la sécurité des pèlerins.

Si l’Etat saoudien bénéficie de l’honneur à lui conféré par 1,5 milliard de personnes d’accueillir les gens dans ces Lieux Saints, il se trouve que cet honneur a aussi des contraintes et présente des obligations. En premier, préserver la vie des pèlerins, protéger leur sécurité et leur dignité. L’Etat de l’Arabie Saoudite a reçu voici plus de 80 ans la charge d’organiser le pèlerinage et la Omra. Il est donc naturel qu’il ait accumulé une expérience et une maîtrise des gestions des flux humains, des encombrements, des comportements à adopter en cas de sinistre, de maladies ou d’autres fléaux. Il n’est pas normal que cet Etat continue d’agir dans  cette confusion générale et généralisée et que, après huit décennies de gestion des Lieux Saints, il permette qu’une grue s’effondre sur la Grande mosquée et qu’il laisse se produire une bousculade géante qui a tué étant de monde.

Si l’Arabie Saoudite, avec tous les moyens financiers dont elle dispose et toute cette expérience accumulée, ne peut assurer une organisation moderne du pèlerinage, alors elle doit requérir une aide de l’étranger. Il existe en


effet aujourd’hui des sociétés spécialisées, une science exacte et des moyens techniques élaborés qui permettent de gérer les flux de millions d’humains sans danger ou presque…

La vie et la sécurité des pèlerins relèvent de la responsabilité des dirigeants saoudiens dont le roi s’est attribué le titre de « Serviteur des Lieux Saints », lequel roi doit sentir l’affront, l’outrage et l’embarras d’être confronté à de tels drames pour l’organisation de son premier pèlerinage en tant que roi.

Aujourd’hui, et quand on sait que cette saison rapporte annuellement quelque 12 milliards de $ à l’Arabie Saoudite, il n’est plus acceptable de voir les endroits fréquentés par les pèlerins rester en l’état, il n’est plus admissible que la gestion de cette saison ne s’améliore pas et il n’est plus tolérable de voir les princes et autres grands responsables échapper à la justice en cas de manquements.

L’opinion publique attend une enquête transparente suite au drame de Mina et des décisions aussi fermes que sévères à l’égard de ceux qui avaient en charge l’organisation du pèlerinage. Et, les  trois premières choses à faire de la part du pouvoir saoudien sont 1/ de ne plus galvauder les sentiments des uns et les ressentiments des autres en imputant aux victimes la responsabilité de leur malheur, 2/ de ne plus camoufler les déficiences et indifférences des responsables par la volonté divine et 3/ de ne plus laisser croire que la mort de ces centaines de personnes serait bienheureuse car survenue dans les lieux les plus saints qui soient… Un tel comportement est une véritable honte, une réelle infamie…

Tous ceux qui ont eu à faire le déplacement en Arabie Saoudite pour le Haj ou la Omra se sont plaints des mauvais traitements des locaux, de la mauvaise qualité des services, du sentiment de mépris de la part des Saoudiens qui se décline d’abord par l’obtention du visa, puis lors du transit dans les aéroports et enfin par l’attitude des policiers, des agents sans instruction ni culture des droits de l’Homme… Et ne parlons même pas des hôtels dont les prix sont aussi élevés que leurs services sont mauvais.

L’appel lancé par le roi Salmane, le soir même de la catastrophe, pour reconsidérer l’ensemble de l’organisation de cette saison peut constituer une occasion de réviser les méthodes des Saoudiens dans leur accueil des millions de pèlerins annuels sur leurs terres. Ce serait là également une occasion de mettre en place une institution spécialisée, indépendante du gouvernement, de la police et de l’armée saoudiens, et qui serait en charge du Haj et de la Omra.

Il  serait plus que préférable d’éloigner les princes de cette institution, du moins tant que la mise en jugement de ces personnages est une chose aussi difficile – pour ne pas dire exclue- en Arabie Saoudite.

Akhbar Alyoum