Modernistes de tout le Maroc, unissez-vous !, par Hassan Tariq
L’Etat ne peut se permettre d’accepter ni de tenir les islamistes comme partenaires sérieux. Leur présence au gouvernement ne peut être autrement considérée que comme le prix à payer par le « makhzen » au printemps arabe. Très prochainement, donc, ce cauchemar passager prendra fin et, si nous savons être patients, l’Etat – profond bien entendu – aura tôt fait de comprendre que nous sommes ses vrais alliés…
… alors défendons durement notre projet « moderniste » et attaquons en parallèle ce gouvernement, ou du moins sa moitié aussi barbue que politique. En effet, et disons-le, l’autre moitié, la techno-makhzénienne, et malgré nos divergences de façade, reste notre alliée objective et stratégique dans la mère de toutes les batailles, en l’occurrence celle de la modernité contre l’obscurantisme et les esprits réactionnaires.
Nous contribuerons à aider le makhzen à réaliser un de ses plus vieux rêves, qui est celui d’occire ce qui reste du mouvement national. Nous bouterons les plus honorables des militants hors de chez eux, et ils iront à la rue, puis nous attendrons la chute du gouvernement au premier virage sur la même route… ou, au moins, attendrons-nous une victoire électorale que l’administration saura – avec sa maîtrise habituelle de ce genre de choses – rendre intelligente et crédible, transparente et très proche de la réalité.
Notre patience sera bientôt, très bientôt récompensée car la parenthèse ouverte par ce triste sire appelé Bouazizi – que certains rêveurs ont voulu faire passer pour un mythe – sera fermée, enfin. Regardez donc ce qui s’est produit en Egypte, puis en Tunisie…
Faisons donc de Benkirane un simple représentant local des Frères musulmans ou VRP d’un lointain émirat du Golfe ou encore en excommunicateur tentant de passer en vertu d’une taqiyya (dissimulation) plus que grossière. Mettons en doute sa loyauté pour l’Etat ou, encore mieux, remettons en cause son appartenance même au Maroc !
Crions de toutes la force de nos poumons, fulminons en arabe classique et éructons en dialectal. Sortons notre vocabulaire d’injures et d’insultes, organisons de grands meetings où l’on discourra, de grandes marches où l’on marchera. Seule un peu de logistique nous sépare du peuple, un peu de logistique marinée d’un zeste de marketing ; le tout sera joué avec quelques dizaines de bus et quelques milliers de DH pour payer les foules tout droit venues des gradins d’un stade de foot ou des quartiers aussi périphériques que miséreux des villes.
Attelons-nous donc à une rude opposition du gouvernement, au nom de l’Etat, au nom de notre grand projet sociétal empreint de modernisme et marqué du sceau de la démocratie, pour porter haut une identité qui n’est point nôtre, pour défendre et respecter des institutions.
Oublions un
peu notre credo socialiste, et chantons tous en refrain, « la modernité »… de toutes les manières, que valent encore les idéologies et les référentiels ?...
Ce qui importe le plus est l’intelligence tactique, une chose que nous maîtrisons et que nous connaissons si bien, avec ses manipulations et ses intrigues. Gardons soigneusement à l’esprit ce que veut l’Etat et éloignons-nous prudemment de ce que rejette le makhzen.
Planifions donc ce conflit imminent entre les islamistes du gouvernement et les institutions car bientôt, les premiers commettront l’erreur fatale qui nous ramènera à nos fonctions naturelles de ministres.
Pour ce faire, il n’y a pas de mal à ce que nous apparaissions modernistes autant que possible, libéraux plus que nécessaire et défenseurs acharnés des droits humains. Et puis, changeons quelque peu nos priorités politiques… Parlons davantage, par exemple, de la peine de mort que de la vie des pauvres et des forces populaires, et défendons aussi le droit à l’avortement plutôt que celui des veuves oubliées dans les montagnes reculées et les bidonvilles qui avancent…
Et puis, oublions cette bataille de la mise en œuvre de la constitution car, quel est le mal, en vérité, à ce que l’Etat recule sur certaines dispositions constitutionnelles qui, finalement, ne profiteront qu’aux islamistes ? La nostalgie de l’Etat pour la constitution 1996 est fort naturel… pourquoi donc soutenir un gouvernement réactionnaire qui voudrait nous ramener bien plus loin, qui voudrait nous replonger dans un Moyen-âge new age ?
Oublions aussi cette stratégie de la lutte démocratique. Omar Benjelloun était un socialiste des temps anciens, antérieur à toute forme de modernité. Aujourd’hui, la démocratie n’est pas inscrite dans l’agenda du jour. Aujourd’hui, nous en sommes à la distinction entre les modernistes de l’Etat, les partis de l’Etat, les institutions de l’Etat et les médias de l’Etat, d’une part et, d’autre part, les réactionnaires au gouvernement et les obscurantistes dans la société. Et, comme chacun sait, il ne peut y avoir de démocratie avec les ennemis de la démocratie, ainsi que nous l’entendons souvent répéter dans les salons feutrés de Rabat, peuplés des affidés et commensaux des décideurs.
Et quand nous aurons gagné, dans un proche avenir, cette bataille de la modernité, avec juste ce qu’il faut d’ânes dans les manifestations et de marchands électoraux et autres brigands présents au sein même des institutions représentatives, en plus des de l’intelligence fulgurante des théoriciens de l’absolutisme qui vont se répandre très équitablement dans les plateaux télé… à ce moment-là, nous nous attellerons en toute quiétude et sérénité à notre belle démocratie et nous nous poserons comme le premier peuple post-moderniste dans l’histoire des Hommes.
Et alors, quand cela surviendra, qui se souviendra encore d’un homme appelé Benkirane ?
Akhbar Alyoum
Le titre original est : Illusion du pacte et pacte de l’illusion