Vous n’avez rien compris des leçons du 4 septembre !, par Taoufiq Bouachrine
Dans la nuit du dimanche à lundi, le secrétaire général du parti de l’Istiqlal Hamid Chabat a renversé la table en proclamant la fin de son alliance avec le PAM et sa sortie de l’opposition, appelant à voter pour le PJD dans les Régions de Tanger-Tétouan-al Hoceima et de Casablanca-Settat. Plusieurs hommes (et femmes) politiques ont perdu le sommeil cette nuit-là et les téléphones n’ont jamais autant fonctionné entre eux/elles, et jusqu’à l’aube de ce fameux lundi.
Mais avant même que le vote ne se tienne dans ces deux Régions, les deux dirigeants de l’Istiqlal que sont Yasmina Baddou et Noureddine Mediane avaient déjà décidé de se rebeller contre la décision de leur secrétaire général, décidant respectivement d’apporter leur voix à Mustapha Bakkoury et Ilyas el Omari. Et alors les surprises et les mauvais coups se sont multipliés, tombant de tous les côtés, pulvérisant cette chose appelée majorité, et son pacte et son honneur et ses engagements…
Le RNI s’en est allé voter contre le PJD dans les deux Régions citées. Puis le MP a emboîté le pas au RNI, et ses élus se sont mis à leur tour à voter PAM par peur et par intérêt… et, au final, le parti qui s’était classé premier lors du scrutin au suffrage universel du 4 septembre pour les Régions s’est retrouvé avec seulement deux présidences régionales (Rabat et Tafilalet), alors que la formation arrivée deuxième en a enlevé cinq, avec l’aide de partis de la majorité qui ont choisi de garder un pied avec Benkirane au gouvernement mais de mettre l’autre avec Ilyas el Omari dans l’opposition, selon le principe du « courage, fuyons ! ».
Cet exercice de haute voltige si peu démocratique a abattu nombre de certitudes…
1/ La certitude de la majorité gouvernementale. Les élections régionales auront donc démontré que la majorité gouvernementale n’existe que dans la capitale et n’a d’yeux que pour les fauteuils (ou même les strapontins) gouvernementaux. Mais en dehors de cette salle oblongue où se serrent 38 ministres, la majorité est dispersée.
Les réflexes sont décidément tenaces. En effet, bien que les électeurs aient sanctionné ces partis qui nouent des alliances contre nature ou encore qui transforment la politique en jeux de casinos, et bien qu’ils les aient sortis par la porte, ils sont revenus par la fenêtre. Et ainsi donc, le scrutin a bouté le PAM hors des portes des villes, y donnant une majorité claire au PJD, mais ce parti est revenu par la fenêtre, porté à bras-le-corps par le RNI et le MP !
2/ La certitude de la pluralité des formes du parti de l’administration. Quand j’avais écrit voici quelques semaines que le RNI et le PAM chevauchaient la même monture, qui a pour nom « le parti de l’Etat », et que dans une telle configuration, il fallait bien qu’il y en ait un devant et l’autre derrière, l’ex-joueur de basket qu’est Mezouar avait mal pris la chose et avait fulminé contre tous ces éditorialistes et chroniqueurs qui ne voient dans le RNI qu’un faire-valoir du PAM. Mais voilà que le même Mezouar confirme lui-même tout cela, en donnant instructions à ses troupes d’accorder leur suffrage au PAM qui ne lui a pourtant rien offert en retour. Et malheur à ceux qui n’ont pas respecté
ses ordres… Ils ont été virés, comme cela est arrivé au coordinateur du parti à Casablanca, Mohamed Bentaleb.
Aussi, et à partir cde ce jour, il est inutile de continuer de parler de deux partis différents : le RNI et le PAM, c’est bonnet blanc et blanc bonnet ou, pour être encore plus précis, le premier n’est qu’une annexe du second, ne disposant ni de pouvoir de décision ni de personnalité et encore moins d’objectifs, du moins en dehors de son maître le PAM…
3/ La certitude de l’indépendance du choix au sein de nombreuses formations politiques. Chabat a perdu le contrôle sur ses pairs dirigeants du parti au sein du Comité exécutif de l’Istiqlal. Laenser ne contrôle pas plus ses notables, chacun d’entre eux ayant ses propres intérêts. Et Mezouar est pire qu’eux deux car ses notables à lui, du moins ceux qui affichent une certaine indépendance à l’égard du PAM, sont révoqués ou alors soumis à sa pression pour qu’ils s’inclinent devant les desiderata de ce parti.
Lachgar n’en peut mais. Quand le PAM pointe le bout de son nez, que restera-t-il d’autre à faire pour les autres partis que de déclarer solennellement leur dissolution et leur intégration à cette formation ? Cela aurait l’avantage de faire grâce aux journalistes du temps perdu à aller d’un siège de parti à l’autre, et aussi de leur économiser cette encre employée à reproduire des déclarations inutiles ici et là et des propos qui sont vidés de leur sens…
4/ La certitude qu’il y a des enseignements à tirer de ce scrutin du 4 septembre. Une fois encore, en effet, il apparaît clairement que la classe politique n’apprend guère de ses erreurs et errements passés, et ne tire pas de leçons de l’attitude de la vox populi.
Ainsi, l’électeur qui a jeté et rejeté les partis de l’opposition en dehors des villes, qui a voté contre l’alliance PAM/Istiqlal/USFP, et qui a refusé à Mustapha Bakkoury serait-ce la présidence d’une ville comme Mohammedia, aura l’aussi grande que mauvaise surprise de voir ce dernier accéder à la présidence de la Région de Casablanca, porté par les élus de l’opposition et de la majorité, marchant main dans la main, bras dessus bras dessous.
Cette situation surréaliste conduira à l’une des deux scénarios suivants : ou bien les électeurs, qui se sont déplacés vers les bureaux de vote, verront leur appétit politique bloqué à jamais et leur intérêt pour la politique basculer en indifférence, ou alors cette classe moyenne ira encore plus massivement voter pour le PJD la prochaine fois, lui conférant une majorité absolue et lui permettant de gérer, seul, villes, régions et parlement, se vengeant ainsi des petitesses de ces gens qui n’ont aucune considération pour l’intérêt général, n’ayant d’yeux que pour leurs augustes personnes. Si l’argent a reculé le 4 septembre, il a fait un grand bond en avant le 14 septembre ; si les pauvres ont refusé l’argent le 4 septembre, les « grands » électeurs l’ont singulièrement recherché et accepté dix jours après.
Ceux qui veulent, vraiment, concurrencer le PJD devront le faire à la régulière, en gagnant la confiance des gens, en apprenant de leurs erreurs et en corrigeant leurs tares de naissance… et non avec les improbables concertations nocturnes et les détestables menaces de sortir des placards les turpitudes des uns et des autres.
Akhbar Alyoum