Le mariage marocain, entre symbolique et pratique…, par Sanaa Elaji

Le mariage marocain, entre symbolique et pratique…, par Sanaa Elaji

J’ai reçu dernièrement moult invitations à des noces d’amis et de proches, et j’ai dû m’excuser pour des raisons professionnelles… mais aussi, en toute franchise, parce que je n’apprécie pas trop les mariages à la marocaine, en dépit de leur esthétique et de leur(s) belle(s) et bonne(s) tenue(s). Quand une personne que j’affectionne convole en juste noce, je préfère aller lui rendre visite pour passer des moments agréables avec elle et la congratuler. En dehors de cela, j’estime que les mariages de chez nous sont pesants, aussi bien pour les intéressés que pour leurs familles, et leurs invités.

Une fête de mariage fait partie des choses que tout le monde considère comme essentielles et fondamentales, et que tout le monde se fait un point d’honneur d’organiser. Généralement, les mariés ronchonnent à cette idée, et généralement aussi, les familles organisatrices ressentent cette fête comme ce qu’elle est, un fardeau financier très lourd. Et même les invités, souvent, pensent à décliner –  poliment – l’invitation et à se soustraire – délicatement – à l’obligation d’y assister à des périodes où ils préfèreraient rester chez eux, faire autre chose ou ne pas avoir à supporter le prix de l’inévitable cadeau… mais tout ce monde se soumet, quand même, à la contrainte.

Lorsque  je me remémore les scènes d’un mariage marocain, il me revient invariablement à l’esprit toute cette superficialité dans laquelle nous nous vautrons dans ce pays. Nous mettons l’accent sur les « habilleuses » (neggafate) qui officient, sur la troupe musicale qui assure l’animation et sur le traiteur qui gave les convives, mais nous négligeons l’aspect essentiel de la cérémonie, en l’occurrence la liaison de deux êtres, avec toute sa charge émotionnelle et affective. Et même la signature de l’acte de mariage devient un détail de quelques minutes lors de la soirée, un détail bien vite occulté par les tenues éblouissantes de ces dames, la nature – et la valeur – des présents offerts, la notoriété du traiteur… L’être et le paraître priment donc sur la symbolique de l’événement et de l’union y consacrée.

Admettons qu’en nos contrées, la réussite d’un mariage est bien plus tributaire de l’ampleur de la fête que de l’importance de l’acte de s’unir en lui-même…

Je n’ai pas assisté à beaucoup de mariages dans ma vie, mais les rares fois où je l’ai fait, j’ai été fort gênée par l’étalage des cadeaux offerts par le mari à son épouse… des bijoux, des tenues, et bien d‘autres choses exposées à la vue des invités, vivement intéressés d’ailleurs. Finalement, on peut dire que si la valeur des présents doit être le plus élevée possible, c’est parce qu’ils seront soumis aux regards inquisiteurs de l’assistance. Nous ne sommes plus face à des cadeaux offerts par le mari à son épouse, par amour et par goût, mais cela devient de plus en plus une sorte de taxe que l’on s’impose pour trouver grâce aux yeux des familles et des convives assistant à la noce. Et donc, nous pourrons dire que la mariée voit sa valeur rehaussée proportionnellement à celle des objets qu’elle reçoit.

Au final, au lieu de nous concentrer sur les deux jeunes gens qui s’unissent pour la vie et jusqu’à la mort, par amour et par choix, nous préférons porter toute notre attention sur l’aspect matériel du mariage, sous tous ses aspects : mises des femmes invitées, cadeaux, dot, qualité du dîner…

Que de mariées n’ai-je rencontrées qui s’enduisent de henné pour la seule raison que cela leur porte bonheur, alors même que toutes les femmes en


instance de divorce qui arpentent les couloirs des tribunaux de famille ont mis ce henné sur leurs mains le soir de leur mariage… Oh, bien évidemment, j’imagine que beaucoup de femmes mettent cet onguent sur leurs corps par choix et par goût, mais je soutiens également qu’un grand nombre acceptent de s’en enduire le corps parce qu’ « il le faut bien »… c’est une obligation, une coutume et une tradition incontournable.

Que de mariées aussi ne m’ont-elles pas exprimé leurs doutes sur le nombre de tenues qu’elles doivent porter, sur ces positions longues et pénibles qu’elles doivent observer tout au long de la soirée, autant de contraintes auxquelles elles se sont soumises, non par choix mais parce que là aussi, « il le faut bien ».

Combien de couples ont-ils acheté des cadeaux pour eux, conformément à leurs goûts et à leurs moyens et non pas parce que ces objets seront exposés au regard des gens qui viendront assister à leur mariage ?…

Combien de jeunes gens ont-ils organisé leur noce, avec toute la tradition requise, par choix et par sous la contrainte inquisitrice de la famille, des proches et, plus généralement, de la société ?

Des questions comme celles-ci sont interminables, mais il y en a une qui revient : Quand donc les jeunes mariés décideront-ils pour eux-mêmes et par eux-mêmes de la nature de leur mariage, et non sous les assauts mentaux et moraux du père, de la mère, de la belle-famille et de la famille tout court ?

Mon propos n’est pas de contester le principe même du mariage marocain que beaucoup de personnes trouvent effectivement beau, mais de nous conduire à réfléchir à nos choix et à décider de ce que nous allons faire parce que nous le voulons et non parce que nous le devons.

Et cette problématique dépasse le cadre même du mariage pour aller vers une autre, bien plus profonde, à savoir celle de la place de l’individu au sein de la société où il vit. Celle-ci dispose de bien des moyens pour empêcher la personne de prendre ses décisions, d’exprimer ses orientations, librement et indépendamment des autres. Depuis la prime enfance, la société nous apprend ce qu’on doit faire et comment le faire, et nous inculque aussi que le mariage est dans la fête qui lui est consacrée.

Les libertés individuelles ne se réduisent aucunement à la tenue vestimentaire, à la croyance religieuse ou à la liberté du corps. Ce ne sont là que des composantes de la notion même de libertés individuelles qui permettent aux individus de choisir leurs orientations et de se défaire de la pression sociale et de l’influence de leur communauté, quand, où et de la manière qu’ils souhaitent. Cela sans préjudice pour celles et ceux qui acceptent les rituels et les coutumes parce que c’est leur choix et non en raison d’une contrainte quelconque.

Le diable, dit-on, est dans les détails… et ce genre de questions relève de ces détails. Imaginons donc que, un jour, nous prenons cette décision primordiale : lier notre vie et notre avenir à une autre personne, avec tout ce que cela peut comporter de difficultés et complications. Puis nous occultons l’importance de la chose et nous négligeons son aspect humain et moral, en la réduisant à des artifices matériels destinés à rehausser notre image aux yeux des autres, bien que cela puisse souvent nous causer des désagréments.

Au lieu de nous concentrer sur la symbolique et l’esthétique de la relation, nos esprits vont vers les neggafate, vers la qualité et la notoriété du traiteur, vers la tenue venue de Fès ou d’ailleurs…

Al Ahdath al Maghribiya