Réflexions sur la réalité et le réalisme du concept d’alliance politique, par Bilal Talidi*

Réflexions sur la réalité et le réalisme du concept d’alliance politique, par Bilal Talidi*

Au lendemain des élections du 4 septembre et de l’annonce de leurs résultats, un grand débat est né autour des alliances à contracter et des éléments politiques qui déterminent le comportement des partis politiques. La question a été posée de savoir jusqu’à quel point les bases de ces formations se conformeront aux décisions et positions de leurs directions.

Nombre d’analystes politiques ont argué de la particularité du local et du régional en comparaison aux national ; ces commentateurs en ont tiré la conclusion de l’impossibilité effective de respecter les instructions d’en haut, tout en œuvrant à préserver la logique de la majorité dans ces alliances. Ils ont excipé de certains cas qui sont survenus ici et là et qui montrent l’émancipation des bases locales et régionales des décisions prises au niveau central.

Mais ces analyses, aussi nombreuses puissent-elles être, ne donnent pas forcément l’occasion d’une analyse objective de la mutation enregistrée sur la scène politique nationale, à travers les prémisses d’une nouvelle approche dans le comportement des personnels politiques. Cela n’est pas encore généralisé, cela n’est pas encore la règle incontournable, mais cela est un début d’une réflexion inédite au sein de la classe politique marocaine.

Il faut rappeler ici que l’histoire politique marocaine et, plus précisément, l’histoire de la pratique électorale, bien qu’elles aient montré par moments une solidité des alliances politiques et surtout pour les législatives, ont toujours été dans le sens d’une spécificité de la logique locale et régionale dans la composition des conseils élus dans les villes et les Régions. En 2009, déjà, il y avait eu un début de commencement d’une approche politique dans les alliances, mais il avait été réduit à un seul objectif, en l’occurrence l’affrontement avec le PJD et son exclusion des conseils. Cette action avait vu sa crédibilité mise à mal et sa portée politique écornée en cela qu’elle s’assimilait aux anciennes pratiques œuvrant à privilégier certains partis (de l’administration) au détriment d’autres (du mouvement national).

Et, de fait, les rapprochements qui avaient été opérés entre les forces politiques en 2009 avaient brisé la logique politique ; il y avait de alliances entre opposition et majorité comme à Casablanca, Tanger et Marrakech et cela avait eu alors un seul objectif qui était d’exclure le PJD de la présidence de ces grandes villes, qui avaient été remises entre les mains du parti dominant alors.

Ce qui reste donc à relever aujourd’hui de sérieux et de réaliste n’est pas vraiment de constater qu’il y a eu ou non un changement radical dans la pratique politique et une généralisation de la logique d’alliance au Maroc. Cela serait au demeurant contradictoire avec les évolutions naturelles dans le domaine politique, qui nécessitent du temps. Ce qui est important de noter, à l’inverse, et toujours dans une optique sérieuse et réaliste, est le degré d’acceptation de cette approche sur le plan local : les conseils élus ont-ils suivi les instructions du centre, s’inscrivant dans la logique d’alliance ou alors, au contraire, un écart s’est-il opéré entre ce qui est dit à Rabat et ce qui est fait ailleurs ?

Certains analystes ont vu dans ce qui s’est passé à Tétouan un échec de la politique de construction d’alliances politiques, et ils ont confirmé cela au moyen d’autres faits survenus dans d’autres villes comme Safi, Nador, Berkane... Cela


est vrai, certes, mais tous ces exemples, pour être donc réels, ne sont pas pour autant suffisants pour affirmer que la logique d’alliances comme pratique politique a échoué dans le pays et le paysage politique.

Il faut constater que la logique des alliances politiques n’est pas née en 2015, mais avait déjà été en œuvre au Maroc en 2009, quand le PJD et l’USFP s’étaient rapprochés pour affronter l’absolutisme dominant et dominateur alors. Cette alliance entre les deux partis avait eu pour effet de prendre la mairie d’Agadir. Mais cela n’était pas vraiment naturel ni ne suivait une logique polaire en politique car l’union entre USFP et PJD avait été réalisée sur la base d’une lutte démocratique pour contrecarrer l’action d’un parti donné et avait rapproché un parti de l’opposition avec un parti du gouvernement  ; cela n’avait pas suivi une évolution naturelle, comme une alliance unissant des partis de gouvernement qui aspirent à maintenir une politique de réforme qui passe du centre à la périphérie, et est dirigée contre un camp politique considéré comme menant le pays vers la stagnation et l’absolutisme.

Il serait par ailleurs abusif et fortement exagéré de soutenir que l’alliance au gouvernement aura réussi à bâtir toutes les majorités en régions selon cette logique polaire. Néanmoins, la proportion de conseils qui ont montré de la discipline partisane au regard des décisions centrales et même les amendements dictés par les orientations des directions montrent que le Maroc connaît une évolution politique sensible. Cette évolution est certes en deçà des attentes des électeurs, mais l’ampleur de la mise en place de la pratique des alliances centrales aux niveaux local et régional entérine un très fort recul du concept de la spécificité locale dans les rapprochements politiques.

Nous allons très certainement voir des Bureaux formés d’une manière différente, voire scandaleuse, mais cela n’empêche pas de voir et d’avoir des facteurs qui doivent nous conduire à admettre une mutation de la logique d’alliances dans le Maroc politique, central et périphérique. Et parmi ces facteurs, le jeune âge de la notion d’alliances politiques, le réalisme progressif qui s’installe au sein des partis, le recul très relatif de la transhumance politique, les ambitions des conseillers, le poids des notables dans les appareils de partis, la contrainte de respecter en même temps la discipline partisane et la nécessité de couvrir le plus de circonscriptions possibles…

La conclusion qui se dégage de cette analyse est que le Maroc, après qu’il ait vécu une évolution dans son processus démocratique, connaît aujourd’hui une mutation et une rationalisation de la pratique politique. La preuve en est que les alliances se départissent de plus en plus du concept de spécificité régionale ou de particularités individuelles pour privilégier davantage la logique politique rationnelle où la décision centrale du parti prime sur les pratiques et les logiques locales.

Quant au secrétaire général du PJD, on peut mettre à son actif sa vision de l’alliance dans les 4 Régions que le suffrage universel a confiées à la majorité gouvernementale. En effet, et en plus de la logique d’alliance habituelle, il a été décidé d’élargir le partenariat entre les alliés et, au besoin, de se désister pour certaines présidences en faveur des alliés. Ce faisant, c’est la notion d’alliance politique qui s‘en trouvera renforcée.

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*Bilal Talidi est membre du Conseil national du PJD et ancien éditorialiste d’Attajdid.