Catastrophe à La Mecque : loin des yeux, loin du cœur?, par Ruth Grosrichard
Le 11 septembre une grue s'effondrait sur la Grande mosquée de La Mecque. Le bilan encore provisoire de la catastrophe est aujourd'hui de 107 morts et 238 blessés. Nombre de ceux-ci sont des pèlerins venus du monde entier pour effectuer le hadj (pèlerinage, cinquième pilier de l'islam) qui doit avoir lieu dans une dizaine de jours.
Cet événement dramatique a quelque chose d'éminemment symbolique, la date : un 11 septembre ; le lieu : La Mecque, ville sainte par excellence pour les musulmans ; l'entreprise prestataire des chantiers gigantesques d'agrandissement du sanctuaire: celle de la famille Ben Laden.
Sur des sites arabophones, certains musulmans y voient un signe divin, un avertissement de Dieu face à l'arrogance des hommes et à leur démesure. Bien sûr cette catastrophe peut s'expliquer sans recourir aux voies impénétrables de la Providence: le déchaînement des éléments avait été prévu par la météo locale.
Il reste que depuis quelques décennies, La Mecque a connu des transformations pharaoniques sur le plan urbanistique, au point que Ziauddine Sardar - intellectuel britannique, musulman d'origine pakistanaise qui a vécu cinq ans en Arabie saoudite - écrit de manière prémonitoire dans son Histoire de La Mecque depuis la naissance d'Abraham au XXIème siècle (éditions Payot, septembre 2015): depuis longtemps, « il était évident que rien n'empêcherait les Saoudiens de transformer La Mecque en Disneyland, leur cauchemardesque conception de la modernité. Il était tout aussi manifeste que la Ville sainte serait le théâtre permanent d'accidents et je pronostiquais d'ailleurs qu'il se produirait une catastrophe majeure tous les trois
ans ».
Il est de coutume qu'immédiatement après une catastrophe d'origine naturelle ou accidentelle, surtout quand elle s'est produite à l'étranger - les pouvoirs publics français s'inquiètent, à grand renfort de médiatisation, de savoir si des citoyens français figurent parmi les victimes : communiqués, ouverture de lignes téléphoniques destinées aux familles, cellules psychologiques, etc. Bref, un ensemble de mesures sont mises en place, témoignant d'une vive préoccupation quant au sort des enfants de la Nation.
A l'heure où ces lignes sont écrites (samedi 12 septembre 2015, à 16h), rien de semblable concernant les éventuelles victimes françaises du drame de La Mecque. Pas une mention de l'événement sur le site du Ministère des Affaires étrangères bien qu'il dispose d'une page de conseils et de recommandations intitulée « Pèlerinage à La Mecque », destinée « à nos concitoyens » qui s'y rendent. Rien non plus sur le site du Consulat général de France à Djeddah. Pourtant, chaque année, entre 20.000 et 30.000 Français musulmans effectuent le hadj et beaucoup d'entre eux arrivent dans la Ville sainte bien avant le début de ce rituel. Il est donc très probable que beaucoup de nos compatriotes se trouvaient à La Mecque lors de l'effondrement de la grue.
Depuis les attentats du 7 janvier 2015, que de fois avons-nous entendu de la bouche de nos dirigeants cette mise en garde: « Ne pas créer un fossé entre les Français musulmans et les autres citoyens ». Dans son discours à l'Assemblée nationale, le 13 janvier, Manuel Valls, après avoir évoqué la nécessaire lutte contre l'antisémitisme, déclarait aussi, et il avait raison: « L'autre urgence, c'est de protéger nos compatriotes musulmans ». Loin des yeux, loin du cœur ?