« Repose en paix, Basri… nous poursuivrons ton œuvre », par Abdallah Damoune
Ecoutez bien… nous ne vivons plus à l’ère d’Hassan II et de Driss Basri, certes, mais certains pourraient en douter en lisant les informations sur ce qui se produit et se trame dans la formation des conseils électoraux, avec tout le cortège d’intérêts personnels habituels.
Au temps du roi défunt, nous appelions cela « la démocratie hassanienne », mais aujourd’hui, nous pensions que cette extraordinaire forme de démocratie était définitivement révolue, ou au moins avait très fortement reculé. Las… Il nous suffit de voir autour de nous ce qui se passe et d’entendre ce qui se dit pour que nous puissions croire que l’architecte de cette exquise forme de démocratie, Driss Basri, a ressuscité et qu’il est revenu parmi nous pour remodeler la carte électorale selon un système et une logique que nous avions cru à tort comme appartenant à un passé à jamais enterré.
En cette période-là, donc, que nous prétendons passée, les élections en nos contrées étaient un spectacle au plein sens du terme, un spectacle qui aurait pu être joué sur les planches d’un théâtre ou être porté au cinéma au rayon des comédies et des bouffonneries. Le peuple marocain, ou du moins une partie de ce peuple, participait à cette grande farce qui s’étendait de Tanger à Lagouira comme on dit, et œuvrait à former des conseils « élus » qui abritaient des créatures rappelant ces pleins essaims de criquets qui emportaient tout sur leur passage. Ces élections mettaient en place également un parlement momifié que l’on ne savait pas trop comment qualifier : conseil de la nation ou appareil de profanation ? Enfin, passons… tout cela servait essentiellement à montrer le Maroc à l’étranger sous un aspect vaguement démocratique, alors que pour les Marocains, les conseils locaux ou régionaux étaient une véritable punition collective.
Et nous avions cru que cela appartenait au passé, ou du moins qu’on essayait de le dépasser… Mais laissez-nous rappeler certains titres de journaux, et nous nous questionnerons puissamment pour avoir si Driss Basri est vraiment mort…
« Des contrebandiers et récidivistes sont têtes de listes aux élections »… « Des promesses de villas et autres biens immobiliers, en plus de fortes sommes d’argent pour s’assurer la présidence de Régions »… « Des prix record pour les voix de grands électeurs et plusieurs élus sont portés disparus »… « Instrumentalisation des enfants lors de la campagne électorale »… « État d’alerte policier après le vol d’une urne »… « Un élu communal débusqué dans la villa d’un entrepreneur »… « La disparition d’un candidat suscite la colère de partis gouvernementaux »… « La lutte pour s’accaparer des richesses des Régions menace la cohésion gouvernementale »… « Disparition de trois candidats dans des conditions mystérieuses »… « Tentative de rapt d’élus avec l’aide de gros bras »… « L’urne volée a été retrouvée »… « Disparition d’un conseiller communal et tentative d’agression d’un autre »… la liste n’est bien évidemment pas exhaustive, sans compter tous ces milliers de faits dont
les médias n’ont pas pris connaissance.
Les partis créés à l’époque de Driss Basri ou, pour être plus précis, les partis créés par Driss Basri, jouent toujours un rôle aussi important que naguère dans la confection de la carte électorale du Maroc ; et on continue encore et encore à gagner des milliards à chaque élection du fait de cette manne publique qui se déverse sur les partis et du montant de plus en élevé des investitures accordées par l’ensemble des formations politiques à des truands et autres trafiquants en tous genres.
Les élus communaux qui disparaissaient au lendemain d’une élection le font toujours, à la différence près que leurs « prix » ont fortement augmenté dans l’intervalle.
Du temps de Basri, on peut dire que, au moins, les choses étaient bien plus claires qu’aujourd’hui. En ces années-là, la vilenie des partis et de leurs chefs était en cours de formation et d’amélioration ; aujourd’hui, les auteurs de ces turpitudes sont devenus des professionnels et la perversion électorale a pris un tour institutionnel.
Sous Basri, l’indécence des dirigeants politiques en était encore à ses débuts balbutiants, mais de nos jours, cette même indécence est devenue une seconde nature, une nature qui se porte d’ailleurs très bien.
Avec Basri, les gratifications, dons et présents étaient discrètement remis aux « leaders » qui, aujourd’hui, les demandent publiquement, sans aucune gêne et toute honte bue.
Quand Basri était là, les partis proches du peuple n’avaient que mépris pour les notables qu’ils considéraient comme des dangers pour la démocratie mais, ces dernières années, tous les partis, proches ou moins proches du peuple, sont à la recherche de ces notables qui, désormais, sont tenus pour être les piliers de la démocratie, la nôtre du moins.
Du temps où Basri régnait sur toute cette faune politique, les responsables politiques œuvraient en silence à s’approcher du grand homme, recherchaient fébrilement son amitié avant d’aller se répandre en ville pour dire tout le mal qu’ils pensaient de lui. De nos jours, les chefs et sous-chefs s’exposent et se produisent, se comportant comme s’ils disaient au défunt ministre de l’Intérieur : « Repose en paix, Basri… nous perpétuerons ton œuvre ».
Basri était encore en fonction mais il y avait encore et toujours des partis qui fonctionnaient aux principes, ou du moins se présentaient-ils comme tels et refusaient la tutelle du makhzen. Mais maintenant, tous les « leaders » de partis cherchent la couverture du même makhzen et se disputent même le privilège de se vautrer encore plus dans ses délices.
Mais il nous faut être sincères envers nous-mêmes et ne pas accabler le défunt comme responsable de tous nos maux et malheurs… alors disons-le tout de go : ce qui se passait avant et qui se poursuit aujourd’hui est la politique de l’Etat, ce qui signifie que quand l’Etat décidera que le Maroc devienne un pays démocratique, il le deviendra.
A l’allure où vont les choses, cela prendra bien un ou deux siècles. L’espoir est là, donc…
Al Massae