Notre ami Eric Laurent, par Mohamed Ahdad

Notre ami Eric Laurent, par Mohamed Ahdad

Voici trois ans, je participais à un séminaire de formation en compagnie de journalistes marocains, mais aussi français, travaillant dans divers périodiques de leur pays. L’objectif était d’améliorer les compétences des journalistes marocains en matière de presse d‘investigation et, plus exactement, dans la relation avec les sources sur le terrain. Durant ces deux journées, les Français nous avaient toisés comme si nous étions des débutants dépourvus d’expérience dans l’investigation, contrairement à la presse française qui, selon eux, en était le phénix.

Quand les choses en étaient arrivées au stade de la provocation, j’avais apostrophé l’un des formateurs : « Qui a tué Kennedy ? »… « La colonisation de l’Algérie par la France était-elle vraiment due au coup d’éventail asséné par le dey d’Alger au consul de France ? »... Les journalistes français avaient trouvé ces questions étranges, très étranges même…

La conscience professionnelle des journalistes de France n’est plus celle qui avait été façonnée par la Révolution et par les philosophes des Lumières… Ils discutent et se comportent selon une toute autre logique avec leurs collègues marocains qui, pourtant, œuvrent dans des conditions différentes, plus dures, souvent rudes, mais parviennent néanmoins à produire un travail satisfaisant fondé sur des critères très honorables.

Le colon français, qui n’a en fait pas encore vraiment quitté le pays, agissait d’une manière non responsable, et c’est toujours le cas pour les journalistes français. Pour eux, nous autres Marocains ne savons pas ce qu’est la presse, pas plus que nous ne maîtrisons l’art de l’investigation. Pour eux encore, notre presse ne peut avoir de crédibilité car elle paraît dans un pays englué dans la corruption et la perversion ; pour eux, enfin, nos médias n’ont absolument aucune influence ni n’exercent aucune pression sur les décideurs, car ils n’ont aucune idée de ce qui se passe et se trame dans ces cercles du Maroc d’en haut.

La France ne semble pas vraiment avoir compris que le Maroc est un pays indépendant qui s’est débarrassé du protectorat français depuis plus de 60 ans – même si dans le domaine économique, ce n’est pas encore tout à fait le cas. Et la preuve en est que le journaliste Eric Laurent ne veut toujours pas reconnaître qu’il a fait quelque chose de particulièrement répréhensible sur le plan déontologique et


déplorable au niveau moral. Pourquoi n’admet-il pas, lui qui a écrit tant de livres et dit tant de choses sur la déontologie, que son acte est une faute qui doit être jugée et punie ?

Pour être encore plus précis, nous pourrons dire que Mohammed VI a mis fin à des décennies de domination,  de supériorité, de capacité et d’immense volonté de guider les décisions marocaines de la part des Français, fusse au prix de la corruption, de la malversation et, au besoin, de la mystification. En effet, et depuis l’aube de l’indépendance, la presse de France a pu, avec la complicité de lobbies puissants, avoir la main sur l’information et elle l’a instrumentalisée au point que les médias hexagonaux a occupé une part importante dans la vie d’Hassan II. Le roi défunt pensait de la presse marocaine qu’elle n’était qu’un instrument aux mains de partis politiques qui lui en voulaient, à lui autant qu’à son trône.

Le Maroc a commis une lourde faute dans son comportement et ses relations avec les médias français, arguant que Paris soutenait Rabat dans l’affaire du Sahara et que des relations économiques étroites unissaient les deux pays. Et pour être plus clair encore : il est normal que les journalistes français agissent avec nous de cette manière qui est la leur car nous les avons « chouchoutés » et aujourd’hui il est bien difficile de les habituer à autre chose.

Nous les avons « gâtés » en leur permettant de filmer ce qu’ils voulaient, d’interviewer qui ils souhaitaient et de contacter qui bon leur semblait parmi nos responsables… alors même que notre Etat faisait une terrible rétention d‘information à notre égard, embastillait nos journalistes à tour de bras, les jaugeant mal, les jugeant avec le Code pénal, tout en détournant les yeux sur les faits et méfaits des corrompus de tous bords.

Il était donc naturel que la presse française instrumentalise ce blocus appliqué à leurs confrères marocains, au Maroc, et se mette à pêcher en eaux (très) troubles, c’est-à-dire à aller chercher son information chez des gens de chez nous qui ne défendent pas le droit à l’information mais cherchent le conflit politique plus qu’autre chose.

Et donc, la leçon à tirer de cette affaire « Laurent » doit être comprise à travers le prisme suivant : les Français, aussi, ont des journalistes corrompus.

Al Massae