Le 4 septembre, une date qui marquera l’Histoire, par Taoufiq Bouachrine
Il y a des images plus éloquentes que tous les mots, plus parlantes que tous les discours… L’exemple en est donné par cette photo montrant Hamid Chabat, Driss Lachgar, Mustapha Bakkoury et Ilyas el Omari vendredi denier, réunis pour causer du raz-de-marée réalisé par le PJD dans les grandes villes et grandes capitales du pays. Les traits sont tirés et les sourires ont viré en rictus ; certains d’entre eux ont fait publier des communiqués hurlant à la fraude, avant même que les résultats ne soient officiellement annoncés, l’Intérieur n’ayant décidé de les proclamer que plusieurs heures après la fermeture des bureaux de vote.
Mais laissons-là les photos qui résument les choses et tentons une lecture de la scène politique au lendemain du 4 septembre, sachant que les chiffres du ministère de l’Intérieur ne disent pas tout pour cette première élection communale de l’après constitution, de l’après printemps arabe qui a jeté un gros pavé dans la mare…
1/ Le PAM s’est classé premier en termes de sièges communaux et le PJD est premier en élus dans les régions. Le PAM a obtenu 6.655 sièges avec 1,3 million de voix, et le PJD a remporté 5.021 sièges avec 1,5 million de voix, soit une différence de 200.000 voix en faveur du second… Quel est donc ce système électoral qui permet à celui arrivé second en voix d’être le premier en élus ?
2/ Le PAM et d’autres partis ont préféré s’enfuir à la campagne, où le scrutin est uninominal, où les électeurs doivent choisir l’individu et non son parti et où l’opération électorale est tributaire de l’argent, de l’influence, de la tribu, des notables, de la pauvreté et de l’analphabétisme. Le PJD a triomphé dans les villes où le vote est plus politique et où les classes moyennes se sont émancipées de l’argent, de l’influence et de la pression de l’autorité. Les citadins choisissent leurs élus en fonction de leur programme, de leur réputation et de leurs discours, occultant argent et influence…
3/ Depuis que le Maroc avait commencé à voter, voici plusieurs décennies, aucun parti n’a jamais réussi une percée comme celle qu’a réalisée le PJD dans les villes vendredi dernier. Le parti de Benkirane a eu la majorité absolue à Casablanca, Kenitra et Tanger… Quant à Fès, le fief de Chabat, elle a été remportée de manière plus qu’absolue par Driss Azami Idrissi dont c’était la première élection. 6 arrondissements sur 6, le grand Chelem… Et la majorité absolue aussi à Errachidia, Agadir, Salé, Meknès, Temara, Taroudante, Inezgane, Chefchaouen. Le PJD s’est installé en première place à Tétouan, Dakhla…. Il aura donc la haute main sur 80% des budgets alors que
les autres partis devront se contenter de 20% seulement.
4/ En quatre ans, la classe moyenne votante du Maroc a accordé au PJD et à Benkirane une délégation de pouvoirs politiques très claire et explicite. La première fois, en 2011, quand le printemps arabe soufflait fort, le peuple avait dit à Benkirane : « Allez, faites vos réformes dans la stabilité et montrez-nous que ce que vous nous dites est vrai et faisable ». Et puis, quatre années plus tard, la même classe moyenne est repartie aux urnes pour une nouvelle délégation aux mêmes PJD et Benkirane, avec cette idée : « Poursuivez vos réformes et délogez les corrompus enracinés dans les villes ; continuez dans les villes et les régions ce que vous avez commencé dans le gouvernement ». Aujourd’hui, Benkirane doit relever un immense défi car s’il réussit à appliquer dans les villes une politique efficace, productive et intègre, il confirmera son statut de grand leader politique ; mais si, à l’inverse, il échoue, alors sa popularité sera érodée dans les villes et plus rapide sera sa chute, et sa fin.
5/ Les analyses orientées et les charges médiatiques enragées allaient tous dans le sens du vote sanction contre le gouvernement PJD dont ils considéraient le bilan déplorable. Mais c’est le contraire qui s’est produit, la classe moyenne ayant bouté hors des villes une opposition exsangue et improductive, incapable de réaliser de bonnes choses et tout juste apte à développer un discours populiste.
Le nombre de sièges enlevés par le PJD est passé de 1.513 en 2009 à 5.021 en 2015, et le nombre de voix qu’il a obtenues à réalisé un grand bond de 774.000 à 1,5 million, en l’espace de 4 ans. Le parti de Benkirane s’est assuré à lui seul le quart des régions, laissant le reste aux huit autres partis… Cela a une seule explication, à savoir que les électeurs ont adopté un vote politique, conscient et argumenté.
La classe moyenne a compris le sens d’une élection et sa capacité à récompenser ou à sanctionner ; la peur, la soumission et la cupidité ont reculé, surtout dans les grandes villes. A Rabat, par exemple, le jeune Balafrej de la Fédération de la Gauche démocratique a eu 4 sièges alors même que les vieux partis n’en ont obtenu aucun.
Et ainsi, ce qui s’est passé ce 4 septembre montre, à mon sens, que l’Histoire est en marche et que tout cela augure d’un nouveau départ pour une transition démocratique sereine et progressive. Cela sera confirmé si le PJD garde le cap, protège les fonds publics et traduit sa politique en réformes concrètes, en se gardant d’user de cette popularité pour normaliser ses relations avec le pouvoir et se trouver une place au sein de l’Etat profond…
Akhbar Alyoum