Pourquoi et comment le trucage des élections était aisé avec la carte d’électeur, par Ahmed Amchakah
Le fait de décider que la carte nationale d’identité est le seul document à produire pour voter à ces 1ères élections communales et régionales depuis la constitution de 2011 est le principal et même le plus important amendement politique du code électoral, bien plus que la fable du seuil de voix obtenues ou encore celle du découpage électoral.
L’acte est audacieux et il a été réclamé depuis longtemps par bien des organismes politiques en vue de prémunir l’opération électorale contre toute manœuvre et manipulation, comme cela a toujours été le cas, du moins jusqu’à ce que l’Etat prenne conscience de l’importance de supprimer la carte d’électeur.
Aujourd’hui, en allant à son bureau de vote, l’électeur ne devra se munir que de sa CIN, sachant que près de 90% de la population marocaine qui en a l’âge détient ce document. Il est donc anormal de ne pas s’en servir dans un des actes de citoyenneté les plus importants. Le pas mérite d’être salué, en cela qu’il barre le chemin à l’un des moyens les plus employés pour manipuler les résultats des urnes, comme le Maroc l’a connu depuis le début de ce qu’on appelle le processus démocratique.
En effet, et depuis 1976, la carte d’électeur était un outil privilégié de trucage des élections. Ce document était fabriqué dans les « ateliers » de l’Intérieur, du moqaddem jusqu’au gouverneur, passant par le caïd et le pacha. Et donc, depuis quarante ans, tout candidat ayant un désir sérieux de remporter un siège local ou national devait s’assurer du plus grand nombre possibles de ces cartes d’électeur, délivrées par les agents d’autorité.
Et du fait que le ministère de l’Intérieur a passé le plus clair de son temps depuis 1976 à concocter les conseils communaux et les majorités parlementaires à sa mesure, il produisait les cartes d’électeur en nombre suffisant pour s’en servir en cas de besoin. Et le besoin était de les distribuer à profusion aux candidats qui avaient ses faveurs et qui, à leur tour, les remettaient à ceux des électeurs qui votaient plusieurs fois, pour eux bien évidemment. L’ennui est que ces cartes étaient conçues avec des noms imaginaires, ou reprenant l’identité de personnes décédées mais que l’Intérieur mobilisait pour les opérations électorales ! Et les candidats de l’administration, comme on les appelait, n’avaient cure de tout cela, se servant de ces cartes d’électeur à l’envi.
Le trucage électoral, après s’être assuré d’une
clientèle fidèle, avait aussi inventé son propre vocabulaire comme « le parachutage électoral », pour désigner ces milliers de votants que l’on inscrivait dans une circonscription, que ces votants soient effectivement réels ou qu’ils ne soient que des noms inventés.
Et ainsi allait le Maroc… l’autorité fabriquait ces cartes et les employait au profit de qui elle voulait, ses agents les distribuant ensuite à qui on leur disait de le faire. Mais en 1997, le ministère de l’Intérieur avait dû s’incliner devant l’insistance de plusieurs partis de gauche, et avait accepté de « nettoyer », un peu, ses listes après que le nombre de décès y figurant était devenu une affaire d’opinion publique. Ces partis réclamaient que le ministère de l’Intérieur accepte de se dessaisir de la gestion de ces listes, pour les confier au président de commune ou à l’un de ses adjoints pour présider ces organismes appelés « commissions administratives » formées de représentants de la commune, de l’autorité et de personnes connues dans la circonscription.
Et puis l’opération de renouvellement avait été lancée sur la base de la mise en place de trois conditions pour pouvoir être inscrit sur une liste électorale : être né dans la circonscription, y habiter ou y payer des impôts. C’était un bon début, malgré sa complexité, et cela assurait une meilleure qualité de l’opération électorale, en dépit de quelques résistances et d’encore quelques parachutages…
En 2002, le scrutin par liste avait été introduit, ce qui compliquait relativement les achats de voix. Mais les pros de ces achats avaient trouvé une solution, consistant à s’approprier, moyennant finances, l’ensemble des cartes d’électeurs d’un quartier ou d’un douar pour les utiliser le jour du scrutin, plusieurs fois car les cartes ne comportaient pas la photo de leur titulaire…
Aujourd’hui, avec la suppression de la carte d’électeur, il est beaucoup plus difficile de pervertir une élection car la CIN affiche la photo et l’identité de celui qui la détient. Et ainsi, le vote par liste, qui devait en principe rompre avec la corruption électorale sans s’en donner les moyens, se portera mieux, bien mieux. Mais ce n’est toujours pas suffisant car les achats de voix, directement, se poursuivent dans les douars et les quartiers périphériques pauvres et défavorisés, face à une neutralité passive, et négative, de l’administration.
Il est donc important d’avoir supprimé la carte d’électeur pour la remplacer par la CIN. Mais des efforts sont encore requis pour que nous ayons, enfin, des élections vraiment honnêtes et transparentes.
Al Massae