Pourquoi Benkirane s’en prend-il si violemment au PAM ?, par Taoufiq Bouachrine

Pourquoi Benkirane s’en prend-il si violemment au PAM ?, par Taoufiq Bouachrine

Des discours ici, là, partout, des promesses lancées au vent, des slogans clamés et des professions de foi proclamées, des tracts, des meetings, des nouveaux visages mais aussi des anciens, des bonnes et pures intentions de la part de toutes et de tous… Telle est l’ambiance de cette campagne électorale pour le scrutin du 4 septembre, où 15 millions d’électeurs sont convoqués pour désigner environ 30.000 élus locaux et régionaux qui auront la haute main sur la gestion des villes, des campagnes et des régions pour les six prochaines années.

Ce qui fait la particularité de cette campagne est la stratégie retenue et déployée parle chef du gouvernement et du PJD Abdelilah Benkirane qui a choisi une approche politique consistant à s‘en prendre violemment au PAM, tenu pour le « Grand Satan » de la jeune expérience démocratique marocaine. Benkirane a réussi à entraîner ses adversaires sur son terrain, qu’il domine et qu’il maîtrise, en s’en prenant aux icônes de leurs partis (Ilyas el Omari, Hamid Chabat, Driss Lachgar) qu’il a désignés comme les fers de lance d’un complot ourdi contre le gouvernement en lutte contre la corruption et l’absolutisme, favorable aux pauvres et défenseur de la stabilité, à en croire du moins le chef du PJD.

Autrement dit, nous sommes en réalité dans une campagne parlementaire sous couvert d’élection locale : « nous défendons la stabilité du pays et nous luttons contre les corrupteurs et contre ceux qui pervertissent la démocratie. Nous sommes ceux qui veulent aller de l’avant et ils sont ceux qui préfèrent reculer ». Ce faisant, Benkirane ne se trompe pas : il sait que nous sommes à la veille d’un scrutin local et régional et non parlementaire, mais il veut faire d’une pierre deux, ou plusieurs, coups.

Le chef du gouvernement mène donc sa campagne dans un esprit politique qui peut lui attirer la sympathie des gens, employant sa popularité et son charisme à communiquer avec les masses, et laissant les programmes électoraux aux candidats locaux et à l’appareil du parti. Il veut aussi affaiblir le PAM, en laissant croire et en faisant croire aux observateurs que ce parti fait partie du problème et non de la solution. A Agadir, Benkirane est remonté jusqu’en 2003 pour dénoncer le projet d’alors qui consistait à dissoudre le PJD, tenu pour responsable des attentats du 16 mai. Le chef du gouvernement règle ses comptes avec ses adversaires, même avant qu’ils ne créent leur parti en 2009. Le message est on ne peut plus clair.

Le PAM n’est ni un parti ni une orientation politique, pas plus qu’il n’est un programme électoral, et encore moins une ligne idéologique… Le PAM est l’expression de la crainte d’une certaine frange du pouvoir face à la démocratie et aux surprises que peuvent apporter les urnes. Le PAM a donc été créé, et doté des moyens les


plus importants, pour freiner l’inexorable marche de la démocratie ? Et puisque ce sont les islamistes qui caracolent en tête dans cette démocratie, le PAM a tôt fait de se dresser face aux « frérots » et aux courants obscurantistes et fondamentalistes. Si cela avait été la gauche qui avait eu la sympathie du peuple, alors le PAM se serait posé en défenseur des fondements sacrés du pays et de l’islam. Mais, problème… quelles sont en effet les armes que devra se procurer le PAM pour lutter contre les islamistes ?...

Le PAM veut confronter le fondamentalisme de la société en lui opposant celui de l’Etat. Dans les urnes, il veut concurrencer le PJD grâce à l’aide des notables et de l’administration. Il veut bloquer la progression du vert par les restes des rouges, avec leur faucille et leur marteau, dans une combinaison dépourvue de sens et décousue.

Or, seul un parti pouvait raisonnablement lutter contre le PJD, et ce parti est l’USFP. Malheureusement, il est aujourd’hui en soins intensifs pour essayer de le maintenir en vie, en appelant à son chevet Ould Laâroussia à Marrakech et Belfqih à Guelmim. Quant au PAM, il est venu, muni de trois objectifs dont qu’il n’a pas réussi à faire aboutir, du moins à mon sens :

1/ Il a été créé pour endiguer la progression des islamistes et leur influence croissante sur la scène politique et au sein de la société, les montrant aux yeux de l’Occident comme des épouvantails. Mais ce qui s’est produit est que depuis la naissance du PAM, les islamistes ont réalisé des avancées qu’eux-mêmes n’avaient pas prévu. Ils étaient un parti lambda évoluant dans l’opposition, mais du fait du printemps arabe et de l’arrivée du PAM, les voilà au gouvernement et même à sa présidence, avec leur chef affichant une éclatante santé politique.

2/ Le PAM est venu pour pousser vers le haut le taux de participation qui étaient tombé dans les abîmes de l’indifférence en 2007. Rien cette année-là, en 2009, ni après, mais il est apparu que ce qui a dopé la participation est la dynamique populaire du printemps qui a amené dans ses bagages une nouvelle constitution et des élections plus honnêtes qu’avant. C’est donc la vigueur démocratique, l’avancée des libertés et la compétition entre les partis qui font augmenter l’intérêt des électeurs et non les « bricolages partisans »…

3/ Sur son acte de naissance, le PAM certifiait qu’il allait ouvrir ses portes aux jeunes, aux nouvelles élites et aux femmes. Mais la suite a été apocalyptique pour lui, puisque ce sont les jeunes qui ont ouvert le feu sur ce parti, les jeunes du 20 février qui ont appelé à dissoudre le PAM et faire dégager ses chefs. Le parti n’aura finalement réussi qu’à mobiliser beaucoup de notables locaux, leur conférant une force nouvelle dont ils n’avaient jamais rêvé du temps où ils étaient dispersés dans leurs localités.

Akhbar Alyoum