Echec et mat pour l'Arabie Saoudite, par Michel Santi

Echec et mat pour l'Arabie Saoudite, par Michel Santi

La déroute des tarifs pétroliers dépasse en amplitude celle de la crise financière globale de 2008 et de la crise asiatique de 1998. En gravité aussi. En cette fin d'été 2015, l'OPEP n'est plus que l'ombre d'elle même: c'est simple, elle est de facto dissoute et ce cartel ferait mieux de fermer ses bureaux viennois afin de réaliser quelques économies... De même est-il aisé de constater que la tactique saoudienne consistant à inonder le marché du pétrole s'est retournée contre elle. D'ores et déjà en déclin et très fragile du fait de recettes ne provenant d'exportations que d'un seul et unique produit (le pétrole), l'Arabie chavire pour avoir mené une guerre avec des armes appartenant au passé!

Une posture caduque

Les marchés pétroliers ont en effet fondamentalement changé depuis l'époque où les investissements n'étaient rentables qu'après une décennie. Les saoudiens étaient certes les maîtres incontestés dès lors qu'il s'agissait de consacrer des sommes très substantielles pour exploiter des puits qui ne produiraient que de longues années plus tard. Voilà pourquoi ils usèrent de ces grosses ficelles lors qu'ils décidèrent, en novembre 2014, de faire baisser les prix afin d'étouffer les producteurs américains de pétrole de schiste qu'ils pensaient rayer de la carte. Quant au manque à gagner du fait de la chute des tarifs pétroliers, il serait récupéré par eux lors de la remontée des prix, inéluctable à mesure de la disparition des producteurs US. Pourtant, cette posture consistant à faire baisser des prix afin de nuire à ses compétiteurs avant de les remonter pour mieux profiter de son monopole est désormais caduque.

Une méconnaissance profonde du "fracking"

Aussi, le pari fou de l'Arabie Saoudite d'augmenter sa propre production à 10.6 millions de barils/jours à l'hiver dernier au climax de la baisse des prix était-il perdu d'avance car il dévoile une méconnaissance profonde du "fracking" qui n'est pas une méthode d'extraction classique des ressources, qui n'exige pas d'investissement conséquent et qui ne requiert donc pas de prix élevés du pétrole pour être rentable.

Loin des modèles de production traditionnels, le fracking autorise aujourd'hui d'exploiter un puits avec aussi peu que 1 million de dollars tout en assurant des revenus immédiats. En


outre, les techniques s'améliorent quasiment au jour le jour et permettent d'exploiter jusqu'à dix zones en même temps, pendant que la sophistication des programmes informatiques détecte des craquelures couvrant de vastes étendues. En somme, l'évolution fulgurante de la technique du fracking -qui permettra de réduire les coûts associés à l'extraction de près de 45% sur la seule année 2015- révolutionne le monde du pétrole jusque là chasse gardée et apanage de certains États, car exigeant naguère des investissements préalables massifs. Extrêmement réactifs et flexibles, les exploitants du pétrole de schiste seraient du reste bénéficiaires même en cas de remontée des prix: hypothèse qui autoriserait du coup l'ouverture de zones d'exploitation encore plus nombreuses...agissant à leur tour en comprimant les prix du fait de l'augmentation de l'offre.

Incapable d'influer sur les tarifs pétroliers

L'Arabie Saoudite n'est donc plus aujourd'hui le producteur de référence, comme elle est désormais tout bonnement incapable d'influer sur les tarifs pétroliers. Ayant largement ouvert ses vannes afin de massacrer l'industrie du fracking, elle se rend compte que leurs coûts d'extraction sont ridicules et que toute tentative de manipulation des prix de sa part afin de laisser remonter les tarifs sera saisie par les frackeurs qui ouvriront aussitôt encore plus de puits pour profiter de cette manne.

Un déficit budgétaire!

Bref, l'Arabie Saoudite aura de gros ennuis dans environ deux ans et sera confrontée à une crise existentielle dans cinq! L'effondrement des prix du pétrole de près de 55% en un an fait en effet fondre les réserves monétaires de ce pays qui subit les affres et les humiliations du déficit budgétaire, et qui en est réduit à émettre un emprunt public (de plus de 5 milliards de dollars) afin de subvenir à ses besoins.

Pendant encore combien de temps l'Arabie Saoudite sera-t-elle en mesure de défendre son riyal indexé au dollar au cours de 3.75 ? Ayant impérieusement besoin d'un pétrole à 106 $ (le baril) afin d'équilibrer son budget, elle n'est pas près de revoir de tels prix en présence d'une industrie du fracking tout aussi dynamique qu'innovante et ayant allègrement su éviter son comportement de prédateur. Avis de grosse tempête de sable à venir pour le Royaume Wahhabite.

latribune.fr

* Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales.