Vous commencez à sentir…, par Taoufiq Bouachrine
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- 26 août 2015 --
- Opinions
J’ai emprunté ce titre du cri lancé par les jeunes de Beyrouth quand ils sont sortis manifester cet été contre le gouvernement qui s’est révélé incapable d’assurer une correcte collecte des déchets de la ville… mais ce cri est également valable au Maroc où il serait bon de hausser le ton contre ceux qui utilisent leur argent pour et lors des opérations électorales…
En effet, dans l’élection du bureau de certaines chambres professionnelles, une voix a atteint le prix de 150.000 DH, et je vous laisse imaginer combien doit débourser le candidat à la présidence pour s’assurer 40 ou 50 votants grands électeurs et comment il fera ensuite pour rentrer dans ses frais, puis gagner…
Dans son dernier discours, le roi Mohammed VI a parlé de la nécessité de moraliser les opérations électorales, en passant par l’éloignement des porteurs de valises et d’intérêts personnels et particuliers. Quant au chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, qui supervise formellement du moins cette élection, il a également contesté et protesté contre l’argent, qui a été la voix la plus forte et la voie la plus sûre pour triompher dans les élections professionnelles.
Tout porte à croire que l’argent de la politique sera le fer de lance de la bataille du 4 septembre et surtout des tractations qui suivront pour constituer les bureaux des communes, des villes et des régions. Et tout cela se passera au vu et au su – et aussi face à l’impuissance – de tout le monde. En effet, les ministères de l’Intérieur et de la Justice ont adopté la politique des trois petits singes, muets, aveugles et sourds. Ils ont laissé le marché électoral livré à la rude loi de l’offre et de la demande, au prétexte qu’ils ont besoin de preuves irréfutables pour agir…
Cela veut dire que le citoyen lambda qui entend parler de l’argent qui coule à flots, qui apprend que le membre dirigeant de tel parti vote pour un autre parti, par pure philanthropie… que ce citoyen doit disposer d’un service de renseignement, de matériel fort onéreux et d’une équipe d’enquêteurs chevronnés pour traquer et confondre les indélicats des élections avant de les emmener pieds et poings liés chez Messieurs Hassad et Ramid pour qu’ils consentent, enfin, à activer polices, parquets et prétoires…
Mais soyons sérieux dans cet environnement aussi léger et irresponsable… l’échéance électorale à venir est en péril et il appartient en conséquence à l’administration, avec les moyens dont elle dispose, de se mettre en branle. Elle a entendu le message royal, et elle a entendu parler des plaintes du chef du gouvernement. Il lui appartient donc de se montrer à la
hauteur de ce moment historique et de sauver ce pays de l’argent sale qui menace de pervertir l’ensemble, transformant les électeurs en clients de ce grand marché qu’est devenue notre démocratie. L’administration doit fouiner un peu sur l’origine des fonds discutables qui rendent l’élection à son tour discutable… Si l’Intérieur a réussi à prendre des mesures disciplinaires contre 274 agents d’autorité suspectés de tomber dans les bras de certains candidats, comme n’a-t-il pas pu arriver, avec tous ses moyens logistiques et techniques, à ceux qui achètent les voix et les consciences à tour de bras ?
Il sera porté au débit de ce gouvernement d’avoir fait passer l’usage de l’argent pour payer les électeurs dans le passé à aujourd’hui, où ce même argent est destiné à s’assurer des candidats pour couvrir 30.000 circonscriptions alors que le meilleur de nos partis ne peut aligner 3.000 vrais militants. Ainsi, une nouvelle offre est apparue, à destination des citoyens afin qu’ils acceptent de mettre leur nom dans les listes à travers tout le territoire.
90% des partis marocains sont insignifiants, sans popularité, sans appareil électoral, et ne parlons même pas des programmes, des cadres et autres compétences. Voilà pourquoi ils ont recours aux courtiers et aux entremetteurs qui vont à Rabat prendre leur investiture avant de s’en aller infester villes et campagnes pour acheter les voix, certaines directement contre monnaie sonnante et trébuchante et d’autres indirectement, à travers les réseaux clientélistes entretenus durant l’année. Ces réseaux prennent la forme d’aides aux populations nécessiteuses, puis d’associations nées dans le sillage de l’Initiative nationale de développement humain, au nombre de 116.000 et attribuées à tort à la société civile, toutes créées depuis 2005, année de l’apparition de l’INDH. Les présidents de communes dépensent des milliards de DH chaque année pour ces associations, contre une reconnaissance des bénéficiaires d’aides et de subventions qui voteront le moment venu « bien » et « utile ».
Je connais le président d’une commune proche de Rabat qui a attribué à 1.500 personnes des emplacements pour des gargotes ou des logements plus ou moins salubres, et auxquels il ne demande rien, les protégeant contre les foudres du fisc et de la législation. En fait, il les tient en otages puisqu’il leur tient le discours suivant : « Tant que je suis en place, rien ne vous atteindra mais, si je pars, mon successeur vous délogera dès le premier jour de son entrée en fonction ». Comment donc ces familles pourraient-elles ne pas voter pour ce mafioso ? Leurs voix n’expriment plus un choix politique mais leur permettent de vivre, de survivre… Elles lui donneront leurs suffrages, le défendront, feront ses campagnes électorales, s’en prendront à ses adversaires ; leurs membres pourraient même tuer pour lui !
Akhbar Alyoum