Dans la peau d’un courtier électoral, par Hassan Tariq
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- 25 août 2015 --
- Opinions
Dans votre vocabulaire hautain et dédaigneux, je ne suis qu’un « entremetteur électoral ». Et bien évidemment, vous êtes victime de raccourcis faciles et de généralisations coupables, voire victimes de la langue elle-même. En effet, le courtage n’est finalement pas un mal ; il est un métier éminemment noble, exercé par bien d’honnêtes personnes…
Et puis, n’avez-vous donc point remarqué que des « analystes politiques » de la 25ème heure usent d’expressions comme « l’offre politique » ou encore « la demande électorale » ; il y en a même de plus audacieux qui vont jusqu’à s’aventurer à évoquer le « marché électoral » !
Alors, comment voulez-vous avoir de l’offre, de la demande et un marché, sans courtage ?
Vos qualificatifs et autres quolibets ne m’intéressent guère ni ne m’atteignent, du moment que jadis, la presse de la ci-devant opposition nous appelait, mes semblables et moi-même, des « créatures électorales » ou nous accusait de militer dans les rangs du « parti secret », quand nous n’étions pas, à leurs yeux toujours, des instruments makhzéniens remis entre les mains des « partis de l’administration » pour façonner des « majorités fabriquées de toutes pièces », encore une fois selon l’ancienne terminologie.
Au début des années 90, je m’étais porté candidat à une élection locale, poussé et encouragé par les gars du quartier et du bidonville d’à côté. J’étais alors un chômeur désargenté et je devais affronter un ancien ministre, chef adjoint d’un parti connu. Les mères et les jeunes s’étaient alors solidarisés avec moi, et plusieurs se sont mobilisés en raison des cours de soutien que je leur procurais. J’avais alors gagné l’élection contre mon adversaire, mais d’une courte tête, bien que ce Monsieur eût distribué beaucoup d’argent, de l’argent qui n’avait pas réussi à attirer autour de lui les agents d’autorité qui avaient fait campagne en ma faveur.
Je n’ai jamais prêté attention à la couleur, ni même au nom, du parti sous l’étendard duquel je me présentais. Le principal était qu’il soit dans les bonnes grâces du pouvoir. J’avais créé une association des jeunes du quartier puis, bien plus tard, deux autres structures alimentées par l’Initiative nationale de développement humain (INDH). J’étais alors devenu l’interlocuteur de l’autorité locale et du président de la commune pour les affaires du bidonville, et aussi la personne ressource des habitants pour leurs menus problèmes. Je distribuais des aides pour le ramadan et les fêtes religieuses, j’orientais les mécènes vers ceux qui avaient besoin de leurs largesses parmi les veuves et les orphelins. Et puis j’avais aussi supervisé les opérations de recensement des habitants dans la perspective de leur transfert de leur douar vers leurs nouveaux logements, plus dignes d’un
être humain.
Et puis, plus tard, le scrutin n’était plus uninominal, mais ce n’est pas bien grave car je me suis entretemps habitué aux négociations avec les têtes de liste pour me procurer une place éligible sur leurs listes. Ils connaissent tous en effet mon poids électoral. Pour les législatives, je suis parfaitement en mesure de procurer à celui des candidats avec lequel j’aurais signé un accord une évaluation très précise du nombre de voix qu’il obtiendra dans les dix bureaux les plus proches de ma zone d’influence électorale.
Je ne suis plus de prime jeunesse, j’ai la quarantaine lourde et bien avancée, et j’ai une famille à charge. Mais bon, je dois dire que j’ai sécurisé ma situation professionnelle en dealant avec un autre conseiller communal dont le président m’a offert un emploi de même nature que celui que mon président à moi lui a proposé, et qu’il a bien évidemment accepté.
Question matérielle, et hormis trois lots de terrain à différents endroits de la ville à moi offerts à diverses occasions par des promoteurs « amis », et deux appartements d’habitat social que j’ai obtenus lors d’opération de recasement de bidonvillois, je ne possède absolument rien. Il m’arrive souvent de sourire in petto quand des mauvaises langues et des envieux m’accusent de corruption, moi qui arrive tout juste à boucler mes fins de mois grâce aux « subventions » que me versent mes deux associations inscrites sous INDH.
Si mes activités me valent ce sobriquet d’ « entremetteur électoral », j’en suis pour ma part très fier, moi qui répond à l’appel de la nation sans hésitation ni rémunération. J’ai participé à la mobilisation des marcheurs à toutes les manifestations contre le terrorisme ; à diverses occasions aussi, j’ai toujours veillé à bien remplir deux bus au moins de femmes et d’enfants de mon quartier… que cela soit pour le congrès du parti ou pour les manifs du 1er mai. Bien sûr, je ne vous cache pas que c’était là des occasions de sortie et de divertissement pour la plupart des pauvres et nécessiteux que j’ai embarqués dans ces bus.
Mais en dehors de ces escapades de loisirs et de joie, j’ai répondu également à cet autre appel de la nation, quand il m’avait été demandé de mobiliser des jeunes du quartier pour affronter les entreprises aventurières et irresponsables de quelques écervelés qui se faisaient appeler les jeunes du 20 février !
Bien… je suis un entremetteur, un courtier, ce que vous voulez. Mais j’ai l’intime et solide conviction que je suis un soldat inconnu du projet démocratique moderne de ce pays.
Vous pouvez ne pas le croire, mais c’est la stricte vérité !
Akhbar Alyoum