Les dérapages verbaux et comportementaux d’Abdelilah Benkirane, par Fatima Machichi Talbi

Les dérapages verbaux et comportementaux d’Abdelilah Benkirane, par Fatima Machichi Talbi

Il semblerait que le chef du gouvernement pense encore qu’il est en mesure de mener une campagne électorale en vue d’attirer à lui les électeurs par l’invective, l’insulte et la diffamation directes contre ses adversaires, ainsi qu’il en avait pris l’habitude lors du scrutin 2011. Cela est un indicateur de la stagnation et de la stérilité de notre classe politique d’une part et, d’autre part, d’une certaine capacité et propension à l’opportunisme qui ne tiennent nullement compte de l’intérêt supérieur du pays et de ses habitants.

Cette fois, le chef du gouvernement a usé de deux concepts importants dans « la science politique » et dans « l’art » de conduire des campagnes électorales : « le fripon » (saâlouk) et le « respect conditionné » (taouqir)…

En effet, Benkirane a qualifié l’un de ses adversaires de fripon, un adjectif qui revient en récurrence à différentes occasions, de même qu’il a parlé d’une autre personne, lui promettant le respect tant qu’elle se maintient dans les limites de sa fonction. Cela signifie que c’est aujourd’hui le chef de notre gouvernement qui définit les identités des gens, qui désigne leurs fonctions et qui délimite les contours et les limites de leurs actions.

Ainsi, et bien que Benkirane sait pertinemment que ses chances de remporter cette bataille électorale politique s’amenuisent de jour en jour et aussi qu’il ne saurait indéfiniment se prévaloir du pouvoir tant qu’existeront dans ce pays des institutions et une pluralité politique qui forme notre paysage partisan et distribue les responsabilités…  et aussi puisque le Maroc est une nation de diversité qui sait parfaitement gérer ses choix démocratiques et ses orientations sociales,  alors les déclarations et propos du chef du gouvernement dévoilent une fois de plus ses véritables intentions absolutistes, antinomiques avec l’esprit de la constitution.

De plus, une série d’événements et de comportements ont conduit le chef du gouvernement à se départir de son calme et à devenir enragé en faisant exploser son vocabulaire fort éloigné de la pratique politique : son appel à la dissolution d’un parti déterminé, son refus de reconnaître son revers dans les élections des chambres professionnelles, son attitude consistant à amenuiser volontairement le rôle des secrétaires généraux de partis et à donner sa vision personnelle sur leurs attributions, ses attaques répétées contre les médias et les journalistes, sa frayeur intense face à la perspective que les élections à venir mettront un terme aux « rêves du califat » ainsi que le conçoivent les Frères musulmans…

Mais en vérité, nous mettons en doute la perception par Benkirane du sens des mots qu’il emploie. Ainsi, le terme saâlouk (fripon dans l’arabe courant marocain)


désigne en arabe les gens qui se sont débarrassés des anciennes coutumes tribales et leur ont préféré des pratiques et des idées plus ouvertes et plus libres. Dans l’histoire des Arabes, les Saâlik avaient mené une vie révolutionnaire aspirant à la libération de leurs peuples, même s’il fallait aboutir à cela par la rébellion… Et c’est pour cela que le chef du gouvernement, qui appartient à un courant religieux fondamentaliste, n’aime pas ceux qui sortent du rang, ceux qui récusent les anciens comportements et appellent à la liberté car lui et les siens prennent appui sur les traditions passées pour contenir et dominer une société dont les membres endurent de nombreuses contraintes et souffrent de pauvreté et d’analphabétisme.

Quant aux « respect conditionné », il est celui des sages et des gens raisonnés qui marquent un respect pour ceux qui usent de même avec eux. Mais nous doutons que le chef du gouvernement connaisse et retienne ce sens, lui privilégiant l’autre signification qui se fonde sur la menace. Cela rappelle l’attitude de ces enfants délinquants qui s’en prennent aux passants et leur promettent une pluie de pierres s’ils ne leur donnent pas un peu d’argent ou des sucreries. Dans le cas de Benkirane, il s’agit de faire comprendre à ses adversaires qu’ils seront exposés à son verbe déchaîné, servi par sa totale absence de sens moral, s’ils ne se soumettent pas à ce qu’il veut, lui, et s’ils n’adoptent pas le comportement que lui leur aura fixé, dans les conditions qu’il aura définies. Mais l’erreur commise par notre ami est qu’il pense que ce qui lui a profité une fois lui sera encore bénéfique, à l’infini, et que les Marocains qui ont avalé la pilule une fois continueront de le faire.

Et donc, à l’occasion de ces élections, il est demandé au chef du gouvernement et à son parti de présenter leur bilan, avec les succès et les revers dans la gestion des affaires publiques, et cela ne devra pas être fait à l’aune des attentes des Marocains mais en comparaison avec le programme présenté en 2011. Il faudra que Benkirane reconnaisse que les engagements qu’il avait faits n’ont pas été tenus, tant sur les plans économique que social ou encore législatif.

Si le chef du gouvernement a besoin de préciser ses connaissances en histoire et dans la signification des exemples arabes qu’il cite, alors il requiert également de fortes doses d’enseignements en matière de valeurs démocratiques afin qu’il accepte mieux et qu’il comprenne davantage le sens de la pluralité et de la diversité.