C’est la crainte du peuple qui est à l’origine du problème, par Taoufiq Bouachrine

C’est la crainte du peuple qui est à l’origine du problème, par Taoufiq Bouachrine

Celui qui observerait avec une certaine attention l’enthousiasme actuel des partis à trouver des candidats pour couvrir le maximum de circonscriptions communales et régionales pourrait penser à la survenue possible d’une révolution blanche au Maroc le soir du 4 septembre prochain… Il pourrait aussi se dire, cet observateur,  que les futurs conseils communaux connaîtront un véritable changement dans la gestion des villes, que les partis auront enfin trouvé la formule magique de la politique de proximité, d’une vie meilleure avec les représentants du peuple pour changer un peu de notre désillusion à l’égard des agents d’autorité qui faisaient tout, défaisaient ce qu’ils voulaient et rapiéçaient le reste depuis des décennies.

Las… J’ai une crainte actuellement, dans la conjoncture politique qui est la nôtre, avec ces candidats qui cuisent si rapidement, sans mijoter, dans les marmites des partis politiques pour prendre les rênes de nos villes… ma crainte est que nous ayons la nostalgie des temps où l’autorité à travers ses walis, gouverneurs et caïds gérait tout cela, malgré les catastrophes enregistrées un peu partout de leur fait et malgré la situation catastrophique à laquelle ils nous ont conduits, avec cette affligeante paupérisation en termes d’élites locales et de compétences politiques, surtout quand on connaît la réalité faite de pauvreté de moyens, de rareté d’un soutien administratif efficace et le conflit dans les attributions et les compétences.

Ajoutons à cela l’absence d’expérience des candidats, dont la majeure partie n’arrive qu’en cette période électorale, à la dernière minute, juste à temps pour se peindre à la couleur de partis en hibernation durant les législatures, ce qui rend parfaitement incapables ces derniers d’aligner des cadres en nombre suffisant pour l’encadrement de ces nouveaux membres et candidats à la gestion des affaires locales…

Si on devait comparer la situation des communes actuellement au Maroc, on prendrait le cas d’une entreprise au bord de la faillite, employant une armée de salariés incompétents, avec un solde bancaire tendant vers le zéro absolu et des actionnaires attendant un miracle, des miracles… Quel être sensé accepterait-il de prendre la tête ou ne serait-ce que des responsabilités dans pareille société ? Et dans le cas où il serait partant, cet individu exigerait alors de l’argent, des pouvoirs et de solides collaborateurs…

Un parti, chez nous, pour couvrir l’ensemble des circonscriptions électorales, aurait besoin de 27.000 adhérents qu’il présenterait dans plus de 1.200 communes. Or, connaissant l’état affligeant et brinqueballant de nos partis, aucun ne peut faire cela ni aligner autant de cadres… alors, pour assurer sa présence presque partout, à 80 ou 90% de


l’ensemble des circonscriptions, les formations politiques vont faire des emplettes auprès des notables et autres courtiers électoraux, voire parfois des gens (très) peu recommandables. Ces gens tiennent à leurs démarcheurs des partis le discours suivant : je veux bien porter les couleurs de votre parti et brandir son symbole afin que son chef puisse se pavaner à Rabat, égrenant le nombre de sièges obtenus, mais en échange, il faudra me laisser ensuite les mains libres dans les conseils, afin que « j’y puisse m’y débrouiller »… le marché est donc posé de cette façon, et le dindon de la farce est bien évidemment le peuple et ses intérêts. C’est pour cela qu’il existe encore dans ce pays des communes qui vivent comme si nous étions encore au Moyen-âge…

Le mode électoral est en faillite et malgré toutes les retouches dont il fait l’objet, il ne peut donner que des résultats navrants… Ce mode de vote débouche sur des conseils élus « balkanisés », peuplés de gens de peu (en compétence et s’expérience s’entend) et donnant des décisions calamiteuses. Il ne s’agit pas d’un mode qui œuvre sérieusement à conférer aux électeurs le pouvoir de gérer leurs collectivités locales ni même à leur permettre d’exprimer leur volonté… ce système avait été mis en place par le ministère de l’Intérieur du temps de feu Driss Basri pour corrompre les élites, disperser les partis et assurer la domination des walis, gouverneurs, pachas et caïds sur les élus communaux… C’est, en peu de mots, ainsi que les choses sont vues et conçues et c’est ainsi qu’elles fonctionneront encore et encore… le reste n’est que savantes spéculations, petits calculs et grandes arnaques qui ne sortiront pas 12 millions de Marocains de la pauvreté, de la précarité et de la grande nécessité. On a tourné, on tourne encore, on tournera toujours pour revenir invariablement à la case départ.

Si nos partis sont incapables de rassembler 27.000 candidats et de couvrir 1.200 communes, pourquoi ne pense-t-on pas alors à réduire le nombre de ces circonscriptions électorales, créant de grandes agglomérations et des conseils plus importants ? Pourquoi n’élabore-t-on pas un mode électoral qui permette de dégager des majorités qui fassent sens, des dirigeants qui prendraient appui sur une administration compétente, avec des moyens financiers et techniques adéquats ? Pourquoi n’érige-t-on pas assez de garde-fous pour éviter l’intrusion des brebis galeuses et pourquoi  ne prévoit-on pas des mesures contre celles qui réussiraient à se glisser dans ces conseils ?

La réponse est politique, non pas administrative ou législative. Ce n’est donc que quand le pouvoir ne craindra plus le peuple que de grands problèmes pourront être, enfin, résolus.

Akhbar Alyoum